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Les procès en sorcellerie faits à Najat Vallaud-Belkacem

Depuis sa nomination à la tête de l'Education nationale, la ministre semble la cible idéale pour une partie de la droite, de l'extrême droite, ainsi que pour certains opposants au mariage pour tous.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, salue les militants, lors de l'université d'été du PS, à La Rochelle (Charente-Maritime), le 30 août 2014. (JEAN-PIERRE MULLER / AFP)

Depuis sa nomination à la tête de l'Education nationale, les critiques et les calomnies fusent. Sexisme, racisme... Najat Vallaud-Belkacem est l'objet d'attaques plus que virulentes. 

Associée aux ABCD de l'égalité, censés selon leurs détracteurs véhiculer la "théorie du genre", la première femme ministre de l'Education nationale, numéro trois du gouvernement, est la cible idéale pour une partie de la droite, de l'extrême droite, ainsi que pour certains opposants au mariage pour tous. 

Francetv info liste les "tares" de la ministre aux yeux de la frange la plus dure de ses opposants. 

C'est une femme

"Quels atouts Najat Vallaud-Belkacem a-t-elle utilisé pour convaincre Hollande de la nommer à un grand ministère ?", s'interroge, dimanche 31 août, sur Twitter, un élu UMP. Franck Keller, conseiller municipal UMP de Neuilly-sur-Seine, accompagne son tweet d'une photo de la ministre, en jupe. L'élu a depuis supprimé son message. Se défendant de tout sexisme, il assure que son tweet a été "sorti de son contexte" et qu'il en accompagnait un autre, contenant un lien vers un article de Valeurs actuelles

Elle est franco-marocaine

Née au Maroc en 1977, Najat-Vallaud Belkacem a été naturalisée à l'âge de 18 ans. Elle possède la double nationalité. Une double nationalité attaquée par des militants d'extrême droite, sur fond de racisme et d'islamophobie. 

Minute, hebdomadaire d'extrême droite, qui lui consacre la une de son numéro du 3 septembre, titre ainsi : "Une Marocaine musulmane à l'Education nationale. La provocation Vallaud-Belkacem". Quant à Valeurs actuelles, magazine de la droite traditionnelle et conservatrice, il qualifie la nouvelle ministre de la "Rééducation nationale" d'"ayatollah"

 

 

Des internautes hostiles à la nomination de la nouvelle ministre de l'Education nationale ont aussi diffusé une fausse carte d'identité laissant entendre que Najat Vallaud-Belkacem s'appellerait en fait Claudine Dupont. Un "vrai nom" modifié à des fins électoralistes et pour obtenir plus rapidement une promotion au PS, croient savoir ces opposants qui font circuler ce faux grossier datant de 2013. SOS Racisme a lancé une pétition pour soutenir la ministre : "Najat Vallaud-Belkacem est une cible idéale pour tous ceux qui veulent distiller l’idée qu’une femme d’origine immigrée ne saurait avoir légitimement sa place au sein d’un gouvernement", écrit l'association.

Ce n'est pas la première fois que l'ancienne ministre des Droits des femmes est la cible d'attaques racistes. En plein débat sur le mariage pour tous, en novembre 2013, des opposants à la loi Taubira lui avaient lancé : "Puisque tu l'aimes tant que ça, le mariage pour tous, t'as qu'à le faire dans ton pays !", rapportait L'Express.

Elle s'est engagée pour le mariage pour tous

Avec Christiane Taubira, Najat Vallaud-Belkacem est l'autre bête noire des opposants au mariage pour tous. Elle a ouvertement soutenu cette réforme. Elle a aussi assisté à la première union entre deux hommes, à Montpellier, le 29 mai 2013. Un engagement de longue date de la part de celle qui fut secrétaire nationale du Parti socialiste en charge des questions de société et des droits des personnes LGBT avant d'être nommée ministre en 2012. Mais un engagement qui lui vaut nombre d'attaques. En février 2014, Le Figaro magazine (article payant) qui lui consacre un portrait la qualifie de "Khmère rose". Dans le même article, Hervé Mariton, député UMP en pointe contre le mariage pour tous, la décrit comme une "Viêt-minh souriante" . Deux qualificatifs à l'inspiration quelque peu mystérieuse...  

A peine nommée à l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem a déclenché les foudres de la Manif pour tous, le mouvement né pendant le débat sur le mariage pour tous qui a notamment fédéré de nombreux catholiques conservateurs. Sa présidente, Ludovine de la Rochère, s'est dite "horrifiée". "Ce choix est une provocation pour un grand nombre de Français, ceux qui se sont exprimés dans la rue depuis novembre 2012 pour dire leur désaccord contre les projets de société de François Hollande, portés par Christiane Taubira et Najat Vallaud-Belkacem", explique-t-elle au Figaro

Sur Twitter, des militants, plus ou moins proches la Manif pour tous, voient dans la nomination de Najat Vallaud-Belkacem une "guerre contre la famille", ou le symbole de l'entrée du "lobby LGBT" à l'Education nationale.

Elle a défendu les ABCD de l'égalité

Autre sujet de discorde avec la Manif pour tous ainsi qu'avec une partie de l'UMP et de l'extrême droite : les ABCD de l'égalité, que Najat Vallaud-Belkacem a défendus lorsqu'elle était ministre des Droits des femmes. De quoi s'agissait-il ? D'un projet expérimental conçu pour lutter contre les stéréotypes fille-garçon à l'école, de la grande section de maternelle au CM2, dans dix académies. Mais le projet a été torpillé par les opposants les plus radicaux au mariage pour tous. Transformant les études sur le genre (recherches interdisciplinaires qui tendent à démontrer que le sexe biologique ne suffit pas à faire un homme ou une femme et que les normes sociales y contribuent) en "théorie du genre", ils luttent contre une soi-disant idéologie qui viserait à nier toute différenciation sexuelle. D'autres fantasmes et rumeurs achèveront de diaboliser la "théorie du genre" et de faire de Najat Vallaud-Belkacem sa représentante.

Et le retrait en juin par Benoît Hamon, alors ministre de l'Education, des ABCD de l'égalité au profit d'une formation des futurs enseignants pour lutter contre les clichés sexistes à l'école n'y a rien fait. La nomination de Najat Vallaud-Belkacem à la tête de l'Education nationale a révolté Laurent Wauquiez, ancien ministre UMP, qui la taxe d'"ultra progender" (ultra progenre, en français, c'est-à-dire ici partisane de la "théorie du genre")Pour la députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen, la ministre est une "pasionaria du gender à l’école". Pour l'éditorialiste Eric Zemmour, elle est la "grande prêtresse de la théorie du genre"... Face à ces attaques, Najat Vallaud-Belkacem martèle : "La 'théorie du genre', cela n'existe pas." Et ironise : "Même ma coupe de cheveux courte serait la preuve ultime que j'essaie de transformer les filles en garçon."

Dans le registre le plus extrême, Farida Belghoul, figure de la Marche des beurs dans les années 80 devenue proche d'Alain Soral et de Dieudonné et à l'origine des Journées du retrait de l'école, collectif qui prône un boycott mensuel de l'école pour protester contre la "théorie du genre", s'est aussi fendue d'un communiqué écrit dans un style... particulier. "La nomination de monsieur Najat Belkacem au poste de ministre de l’Education Nationale est une déclaration de guerre aux familles de France", écrit-elle. "Ils pressent le pas car leur défaite est à l’horizon. Ils tentent donc le tout pour le tout et plantent une femme 'arabe'  dans le dos d’une autre femme 'arabe' [elle-même, Farida Belghoul]. Ils oublient que l’une des deux, et c’est ce qui la caractérise bien plus que sa race, est prête à mourir pour sauver les enfants." 

Autre exemple de la prose incendiaire, surréaliste et nauséabonde que Najat Vallaud-Belkacem peut susciter : Riposte laïque, un site proche de l'extrême droite et des identitaires, publie le 30 août un article consacré à une visite de l'ancienne ministre des Droits des femmes dans une crèche, en 2012. On peut y voir un petit garçon savonner un poupon en plastique, dans une crèche qui lutte contre les stéréotypes de genre qui assignent aux enfants des rôles différents en fonction de leur sexe, expliquait Madame Figaro à l'époque. Aujourd'hui, Riposte laïque s'alarme de "l’effrayant regard de sorcière de Belkacem devant un garçonnet français transformé en fillette…" Mais le site ne s'arrête pas à la "sorcière" qui "émascule" le "petit prince". Najat Vallaud-Belkacem est aussi taxée de "lâche",  de "perverse" et autres choses encore plus odieuses.

 

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