Présidentielle : comment Eric Zemmour parasite la campagne de Marine Le Pen
Le candidat de Reconquête espère prendre la place du Rassemblement national pour se hisser au second tour de l'élection présidentielle. Son travail de sape à commencé.
L'extrême droite à couteaux tirés. Eric Zemmour déploie son énergie à rattraper Marine Le Pen. A 70 jours du premier tour de l'élection présidentielle, le candidat de Reconquête tente de profiter des différends internes au Rassemblement national pour grignoter des points dans les sondages et tenter de se hisser au second tour. Pour le moment, Marine Le Pen est créditée de 13 à 21% des intentions de vote quand Eric Zemmour oscille entre 10 et 16%, marges d'erreur comprises.
La stratégie d'Eric Zemmour n'a pas échappé au Rassemblement national. Sur BFMTV, dimanche 30 janvier, le président par intérim du parti, Jordan Bardella, a dénoncé des "méthodes déloyales" destinées à attirer les cadres du RN pour la suite de sa campagne présidentielle. Comment s'y prend-il ? Explications.
En taclant nommément Marine Le Pen
"Marine Le Pen ne m'intéresse pas beaucoup", a déclaré Eric Zemmour, le 13 janvier, dans l'émission "Face à BFM", avant de moquer une "candidature de routine" de Marine Le Pen, avant de la comparer à la figure emblématique de Lutte ouvrière et six fois candidate à la présidentielle : "C'est un peu notre Arlette Laguiller de la droite nationale, Marine Le Pen."
En peu de temps, le candidat de Reconquête a réussi à contraindre Marine Le Pen, "à mener une campagne de premier tour, elle qui avait prévu de faire une campagne de second tour", analyse le politologue spécialiste de l'extrême-droite, Jean-Yves Camus, interrogé par franceinfo. La candidate du RN se retrouve donc à devoir affronter un candidat qui appartient à un camp "pas si éloigné du sien" et qui "ne cesse de dire d'elle qu'elle incarne une droite centriste" loin de la "droite radicale" que prône Eric Zemmour.
Les tacles s'enchaînent, par médias interposés, entre la candidate d'une droite nationaliste populiste et le candidat d'une droite identitaire. Mais à force "de se donner de noms d'oiseaux", "ils risquent de rendre compliqué un éventuel report de voix de l'un vers l'autre en cas de présence au second tour de l'un des deux", anticipe Jean-Yves Camus.
En draguant ses soutiens
Chez "Eric Zemmour, ils ont contacté tout le monde, ils promettent de l'argent, des investitures aux élections législatives, ce sont des méthodes déloyales. Je me demande si l'opération Eric Zemmour n'est pas là pour empêcher l'élection de Marine Le Pen", a dénoncé Jordan Bardella, dimanche, sur BFMTV.
Eric Zemmour a en effet réussi à attirer des poids lourds du RN. Parmi les arrivants, il y a ceux qui croient en sa capacité à atteindre le second tour, à l'instar de l'eurodéputé Jérôme Rivière. Celui-ci a intégré l'équipe de campagne en qualité de vice-président et porte-parole de Reconquête, le 19 janvier. Cet ancien porte-parole de la candidate du RN estime que "Marine Le Pen n'est pas en situation de gagner l'élection présidentielle". D'autres rejoignent Eric Zemmour pour "les idées", comme l'avocat et eurodéputé Gilbert Collard, qui a affirmé ne rien avoir "contre le Rassemblement national ni contre Marine Le Pen", le 22 janvier. Ces deux cadres ont été exclus du RN par un vote de groupe le 25 janvier.
Cette série de départs vers Reconquête a jeté le trouble dans les rangs lepénistes. Lors d'un déplacement à Madrid, samedi, l'eurodéputé Nicolas Bay a ainsi refusé de dire s'il resterait aux côtés de Marine Le Pen jusqu'au premier tour de la présidentielle. Recadrage immédiat de la candidate : "Ceux qui veulent partir (du RN) partent, mais ils partent maintenant", lui a indirectement répondu Marine Le Pen.
"Avoir des gens qui aujourd'hui font semblant d'être ici, alors qu'en réalité leur cœur ou leur esprit est ailleurs, c'est insupportable. C'est un manque total de dignité et de respect à l'égard de l'ensemble de nos militants."
Marine Le Penen déplacement à Madrid
Reste que pour Jean-Yves Camus, ce ne sont pas les ralliements "spectaculaires et médiatisés" qu'il faut sonder, mais plutôt "les défections de la base", ces conseillers municipaux et les élus locaux qui passent chez Eric Zemmour. "Ce sont eux, qui sont sur le terrain au plus proche des citoyens, qui touchent les électeurs et peuvent avoir un réel impact sur le vote de leurs administrés", souligne-t-il.
En profitant des tensions familiales
Parmi les nouveaux venus chez Reconquête se trouvent aussi des personnes qui ont "une bonne dose de ressentiment personnel vis-à-vis de Marine Le Pen, qui ont des ambitions plus grandes que celles possibles au sein du RN ou qui jouent le coup d'après avec les législatives", rappelle Jean-Yves Camus.
Serait-ce le cas de Marion Maréchal ? Bien qu'elle se donne encore un mois pour réfléchir, la nièce de Marine Le Pen a déjà confié au Parisien et au Figaro qu'elle ne soutiendrait pas sa tante pour cette élection présidentielle et qu'elle envisageait de rejoindre son rival. Une nouvelle qui fait sourire le candidat Eric Zemmour : "C'est une belle semaine", a-t-il réagi, au micro tendu de BFM, vendredi.
De quoi rappeler les psychodrames qui secouent régulièrement la famille Le Pen, qui domine le paysage d'extrême droite en France depuis les années 1980. Notamment ceux entre le patriarche Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine qui lui a succédé à la tête du parti Front national en 2011 (devenu depuis le RN) et l'en a exclu en 2015 après qu'il eut de nouveau tenu des propos controversés sur la Shoah.
Concernant la position de sa nièce, Marine Le Pen a jugé "violent" qu'elle songe à quitter le RN, en insistant sur "l'aspect personnel" de leur relation et en assurant être "mieux placée" pour gagner en avril.
En assumant sa position à l'extrême droite de l'échiquier politique
Dès son premier meeting de campagne, Eric Zemmour a clairement affiché ses positions radicales, en particulier vis-à-vis de l'immigration et de l'islam. "L'immigration zéro deviendra un objectif clair de notre politique", a-t-il promis. Concernant le rôle et le pouvoir du président de la République, notamment face aux garde-fous constitutionnels, le candidat souhaite que le rôle occupé par le Conseil constitutionnel soit moins important qu'aujourd'hui. "Dans ma conception de la démocratie, c'est le peuple qui décide et non pas le Conseil constitutionnel", a-t-il asséné lors d'un échange avec le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, dans l'émission "Elysée 2022" de France 2 en décembre. Ce dernier lui a alors répondu qu'il avait "toutes les prédispositions pour devenir" dictateur.
En s'assumant comme le candidat "civilisationnel", Eric Zemmour opère une "véritable fracture idéologique tant dans le contenu que la manière de le dire" par rapport au discours tenu par le RN, analyse Jean-Yves Camus.
"Il y a une forme de radicalité dans son discours de droite identitaire que Marine Le Pen ne veut plus soutenir."
Jean-Yves Camusà franceinfo
En face, la candidate du RN s'inscrit, elle, dans une stratégie de dédiabolisation pour convaincre plus largement. "Elle est d'ailleurs revenue sur la suppression de la double nationalité [qui était une pierre d'achoppement de la doctrine nationale du RN]", souligne le spécialiste.
Mais il y a également une radicalité, chez Eric Zemmour, que la candidate du RN "ne peut plus soutenir", complète Jean-Yves Camus. Car la courbe du score de son parti à l'élection présidentielle est montante : en 2012, le FN affichait 17,9% au premier tour, avant un bond à 33,90% au second tour de 2017. Actuellement "le RN est crédité de 44-45% d'intentions de votes si Marine Le Pen était au second tour" assure le politologue. "Marine Le Pen constate que la dédiabolisation du discours, ça paie, contrairement au type de discours tenus par son père", conclut-il. C'est d'ailleurs la ligne tenue par Jordan Bardella, qui accuse Eric Zemmour de "recomposer autour de lui toutes les chapelles les plus radicales, les plus brutales".
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