Récit "Du Barnier pur jus" : à l'Assemblée nationale, le Premier ministre tente "le grand écart" pour ne "brusquer" personne lors de sa déclaration de politique générale

Michel Barnier a présenté mardi après-midi sa feuille de route devant les députés, en tentant de donner des gages aux oppositions sur certains points.
Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec - avec Julien Nény
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Michel Barnier, Premier ministre, à la tribune de l'Assemblée nationale, à Paris, le 1er octobre 2024. (ALAIN JOCARD / AFP)

"C'est le meilleur moment !" raille un député du Rassemblement national. Il est 16h20, mardi 1er octobre, et Michel Barnier vient d'annoncer à la représentation nationale que sa déclaration de politique générale touche à sa fin. Le Premier ministre a promis de délivrer son discours pendant une heure à la tribune de l'Assemblée nationale. Il est finalement resté un peu plus longtemps, à l'image de ce qu'avaient fait ses deux prédécesseurs, Gabriel Attal et Elisabeth Borne.

Durant une heure et 22 minutes, Michel Barnier a présenté son programme législatif, en détaillant les chantiers qu'il compte entreprendre depuis Matignon. Impassible face aux invectives des députés de La France insoumise, le Premier ministre s'est livré à cet exercice imposé sans se départir d'un certain flegme, lui qui a été le négociateur en chef du Brexit. "Il s'est beaucoup préparé à ça, auprès de ceux qui ont connu l'Assemblée depuis 2022", confiait un ministre, croisé au Palais-Bourbon plus tôt dans la journée. La chambre basse, devenue un véritable chaudron dans le contexte de majorité relative depuis deux ans, n'est pas inconnue à Michel Barnier : il a été député et ministre à de multiples reprises. Mais c'était le temps des majorités absolues.

"Un filet d'eau tiède"

Durant son discours, l'ancien commissaire européen a listé ses cinq priorités à la tête du gouvernement : le niveau de vie des Français, les services publics, la sécurité au quotidien, la maîtrise de l'immigration et davantage de fraternité dans un pays qui s'est divisé en trois grands blocs lors des dernières élections législatives. Dans l'hémicycle, l'accueil est d'abord très silencieux. Le Savoyard monte à la tribune sans aucun applaudissement pour l'accompagner, comme si aucun des 11 groupes politiques n'osait le soutenir ouvertement. Le contexte, aussi, est lourd : en ouverture de la séance, les députés ont rendu hommage, lors d'une minute de silence, à Philippine, l'étudiante de 19 ans violée et tuée au bois de Boulogne le week-end du 20 septembre. Il est 15 heures, le Premier ministre prend la parole. 

"J'ai conscience de la gravité et de l’importance de ce moment pour notre action commune et pour les Français qui nous regardent et qui nous écoutent."

Michel Barnier, Premier ministre

lors de sa déclaration de politique générale

Deux minutes plus tard, les députés de La France insoumise sortent leur carte d'électeur pour dénoncer l'illégitimité du nouveau gouvernement. "Ça fait quatre mois que les insoumis n'ont pas été dans le chaudron, ça va être le boxon", pronostiquait un député Les Républicains, il y a quelques jours. Mais le reste des groupes de gauche n'embraye pas et les huissiers interviennent promptement pour faire cesser le coup d'éclat. Le Premier ministre poursuit son exposé, sans relever.

Les élus de La France insoumise brandissent leur carte d'électeur à l'Assemblée nationale, à Paris, le 1er octobre 2024. (ALAIN JOCARD / AFP)

Progressivement, les invectives des élus de gauche radicale se tarissent et baissent d'intensité, dans un hémicycle bercé par le ton du chef du gouvernement. "Sur la forme, c'est un homme d'Etat face à des insurgés rendus muets", savoure un député LR proche de Michel Barnier. "Un discours de commissaire européen venu vendre un plan d'austérité imposé par le coup de force de Macron et implorer la bienveillance de Le Pen", fustige l'élu LFI Matthias Tavel. Après un peu plus d'une heure de discours, Mathilde Panot laisse échapper un bâillement. "C'est à l'image du bonhomme : lent et monocorde", glisse une députée macroniste. "L'exercice n'est pas simple, mais sur la forme comme sur le fond : un filet d'eau tiède", appuie un autre député du bloc central.

"Le mot 'compromis' n'est pas un gros mot"

Michel Barnier s'est pourtant évertué à défendre une méthode faite d'"écoute" et de "dialogue", deux mots répétés une dizaine de fois chacun mardi après-midi. Une remise en cause du macronisme ? Mis de côté lors de la précédente réforme des retraites, les partenaires sociaux devront "réfléchir à des aménagements, raisonnables et justes, de la loi" de 2023. Alors que le gouvernement s'était emparé de la dernière réforme de l'assurance-chômage, les partenaires sociaux reprennent là aussi la main. "Il y a plus d'utilisation des corps intermédiaires que ne le faisait la macronie", vante le député LR Yannick Neuder.

Face à la verticalité souvent reprochée au macronisme, Michel Barnier vante la culture du compromis, louée par Elisabeth Borne avant lui. "Le mot 'compromis' n'est pas un gros mot. On ne se compromet pas quand on fait un compromis", met-il en garde les députés de cette Assemblée plus morcelée que jamais. Cependant, le Premier ministre n'entreprend aucune rupture majeure avec la politique menée depuis 2017. "Il y a beaucoup de reprises de ce que nous avons fait ou de ce sur quoi nous travaillions", se félicite l'ancien ministre Franck Riester. Sauf, point important, sur la question fiscale. Michel Barnier entend "demander une contribution exceptionnelle aux Français les plus fortunés" ainsi qu'une "participation au redressement collectif aux grandes entreprises qui réalisent des profits importants". Pour une partie du camp présidentiel, ces pistes ne sont pas souhaitables.

"Je suis d'accord pour des corrections mais pas pour des augmentations en vue de créer un rendement nouveau."

Franck Riester, député EPR et ancien ministre

à franceinfo

"Je suis toujours très très sceptique sur les hausses d'impôts. Je pense que ça va endommager le pays", confie une députée Ensemble pour la République. "On aurait dit du Attal en moins bien dit, avec moins de leadership et avec des hausses d'impôts", raille un ancien ministre.

"Chacun y retrouve ses petits"

Tout au long de son discours, le Premier ministre a aussi tenté de donner des gages aux autres groupes politiques. "L'avantage de n'avoir pas annoncé grand-chose de concret, c'est que ça ne donne rien à la gauche pour lui taper dessus", s'amuse un député LR. Comme elle l'avait annoncé, la gauche va déposer en fin de semaine une motion de censure pour tenter de faire tomber le gouvernement. Mais une partie du Nouveau Front populaire a salué l'abandon du projet de loi constitutionnelle sur la réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, qui devait être soumis au Congrès. 

Du côté du Rassemblement national, les élus saluent la réflexion entamée à propos de la proportionnelle aux élections législatives et la fermeté affichée en matière d'immigration. Les propositions de Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, "ne sont pas sans me rappeler un certain programme présidentiel", sourit Marine Le Pen, à la tribune. La patronne des députés RN exclut, pour le moment, de censurer le gouvernement Barnier, alors qu'elle et d'autres cadres du parti d'extrême droite sont jugés depuis lundi au procès des assistants parlementaires du FN.

Qui le Premier ministre a-t-il vraiment déçu avec son long discours ? "Chacun y retrouve ses petits et personne n'est brusqué. (...) Il tente le grand écart, ça crie, mais ça peut tenir" , philosophe un conseiller ministériel. "Sur le fond, c'était du Barnier pur jus. Quitte à perturber les eurosceptiques et les ultra-libéraux du socle commun", estime un élu proche du locataire de Matignon. Malgré un discours "lénifiant", comme l'a qualifié le socialiste Arthur Delaporte, le Premier ministre est loin de s'être mis la majeure partie des députés dans la poche. Y compris ceux de son "socle commun".

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