"C'est le genre de controverse qui démarre très rapidement" : comment les punaises de lit ont envahi le débat politique
"On n'est pas en pleine épidémie d'Ebola. A un moment, il faut arrêter !" Le député du MoDem Bruno Millienne s'agace devant le "battage médiatique" concernant les punaises de lit : "On a l'impression que la France entière est infestée." D'autres élus de la majorité partagent son opinion. "Je pense qu'on en fait beaucoup trop", estime un parlementaire Renaissance, selon qui ce sujet, "très parisien", "n'existe pas" dans sa circonscription.
Pourtant, la multiplication des signalements de punaises de lit, ces dernières semaines, dans les transports, les écoles, les hôpitaux, les cinémas, mais aussi chez les particuliers, est confirmée par les chiffres de la Chambre syndicale de désinfection, désinsectisation et dératisation. Les interventions des professionnels ont ainsi augmenté de 65% cet été par rapport à la même période de 2022.
>> VRAI OU FAUX. Le gouvernement est-il inactif face au fléau des punaises de lit ?
Face à l'inquiétude grandissante des Français, et alors qu'ils sont 55% à demander "un plan national contre les punaises de lit" selon un sondage YouGov pour le HuffPost, une réunion interministérielle consacrée à ce dossier doit avoir lieu vendredi 6 octobre. Elle devrait déboucher sur "des décisions et des orientations", selon le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran. "C'est de la com' pure, c'est une manière de dire que l'on s'en occupe", assure le communicant Philippe Moreau-Chevrolet. Pour lui, la couverture internationale de ce sujet a obligé l'exécutif à réagir : "Il y a un énorme enjeu avec les JO 2024, c'est très embarrassant pour le gouvernement."
"Il y a un risque de psychose"
Du côté de l'opposition, La France insoumise a fait de ce sujet l'un de ses combats, et ce, depuis plusieurs années. A la suite des récents signalements, Mathilde Panot, cheffe de file LFI à l'Assemblée nationale, est montée au créneau dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ainsi, sur Sud Radio, le 29 septembre, elle a demandé que les punaises de lit soient reconnues comme "un problème de santé publique." "J'avais fait un premier plan d'urgence en 2019 en demandant au gouvernement d'agir face à quelque chose (...) qui était déjà un fléau à l'époque, mais qui s'est encore accru", peste-t-elle. "LFI a un levier pour attaquer le gouvernement sur le sujet du moment, qui n'est pas idéologique", analyse Philippe Moreau-Chevrolet.
"Les 'insoumis' surfent sur quelque chose de simple. Normalement, ils ne sont pas les champions du sanitaire, mais là, ils ont un dossier qu'ils peuvent prendre à bras-le-corps et sur lequel l'exécutif est pris en défaut."
Philippe Moreau-Chevrolet, communicantà franceinfo
Toujours le 29 septembre, Bruno Studer, député Renaissance qui avait lancé un groupe de travail sur les punaises de lit en 2019, a reconnu dans une interview au Figaro que "les réponses du gouvernement n'ont pas été assez concrètes". "On en arrive à une situation où les punaises de lit deviennent un élément structurant du débat public. Les capteurs du gouvernement sont déficients, ils ne sont pas capables de repérer les signaux faibles, décrypte Philippe Moreau-Chevrolet. Aucune leçon n'a été tirée du Covid-19 sur le plan sanitaire et voilà que les punaises de lit défient le gouvernement !"
Dans l'équipe d'Elisabeth Borne, seul Clément Beaune, ministre des Transports, a dans un premier temps pris la parole après que des images de punaises dans le train ou le métro ont été diffusées sur les réseaux. Il a annoncé le 29 septembre sur X (ex-Twitter) une réunion avec les opérateurs de transports "pour rassurer et protéger". "Il a tout de suite compris que sur un tel sujet, aussi angoissant pour les gens, il y a besoin d'une réponse politique et étatique très rapide et puissante", affirme un conseiller de l'exécutif. D'autres ministres se sont inquiétés de l'absence de réaction au plus haut niveau. "Je milite pour que l'on bouge sur les punaises de lits ! Il y a un risque de psychose, d'autant que l'on n'a pas d'outils de mesure", a expliqué l'un d'eux, lundi, à France Télévisions.
Renaissance va présenter une proposition de loi
Sur France Inter, mardi, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a adopté un discours rassurant. Considérant qu'il n'y a "pas de motif à une panique générale", il a assuré que la France n'était "pas envahie" par ces nuisibles.
Quelques heures plus tard, Sylvain Maillard, le président du groupe Renaissance, a cependant annoncé en conférence de presse au Palais-Bourbon qu'une proposition de loi pour lutter contre les punaises de lit serait examinée le 4 décembre. "Sans action [du gouvernement], il était important de montrer qu'on est sur la balle et que, surtout, on bosse sérieusement sur le sujet depuis 2019", souligne une source du groupe parlementaire.
Interrogés sur le timing de cette annonce, les députés se défendent de réagir sous le coup de la pression médiatique. "C'est un vrai gros sujet, il est normal que les députés s'en emparent. En même temps, il n'est absolument pas nouveau", répond la parlementaire Violette Spillebout. "Cela fait un moment qu'on en parle entre nous donc on ne peut pas vraiment dire qu'on ait été contraints de réagir", abonde Sacha Houlié, président Renaissance de la commission des lois.
Néanmoins, certains, sous couvert d'anonymat, ne sont pas dupes. "Sylvain Maillard n'a fait que reprendre des projets de deux collègues et en a profité pour se saisir du sujet", lâche un parlementaire. En réponse à la conférence de presse de Renaissance, LFI a attaqué quelques minutes plus tard le gouvernement devant les journalistes et distribué une proposition de résolution, tandis que le PS a aussi annoncé une proposition de loi.
Un hémicycle qui s'enflamme
Mais c'est lors des questions au gouvernement, mardi après-midi, que la tension s'est particulièrement manifestée, majorité et opposition se renvoyant la balle. "Nous avons perdu six ans !", "Vous m'avez ri au nez, vous n'avez rien fait", a lancé Mathilde Panot, montrant une fiole contenant des punaises de lit mortes. S'adressant à Elisabeth Borne, la parlementaire a de nouveau réclamé un plan national de prévention et la création d'un "service public de la désinsectisation".
Sur les bancs de la majorité, ces attaques ont fait réagir. "Dire que l'on n'a rien fait, c'est un mensonge. Oui, ça augmente, mais on va traiter les choses dans le calme et avec un minimum de sérieux", confie Bruno Millienne. Le regard noir, la Première ministre a répliqué à Mathilde Panot, jugeant que "sur ce sujet, il ne devrait pas y avoir de clivage", tout en dénonçant l'"outrance" de la députée LFI.
"Les punaises de lit, c'est typiquement le genre de controverse dans l'espace public qui démarre très rapidement. Puis on découvre un problème qui est en réalité là depuis très longtemps", analyse le politologue Bruno Cautrès. "C'est toujours la même séquence médiatique : les réactions entraînent d'autres réactions, et l'exécutif est sommé d'apporter des réponses."
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