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Guerre fratricide, conversion à l'écologie et selfies en série : à Lyon, Gérard Collomb livre son dernier combat

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Gérard Collomb, le 25 mai 2019 à Lyon. (JEFF PACHOUD / AFP / BAPTISTE BOYER)

L'ancien ministre de l'Intérieur brigue, à 72 ans, la présidence de la métropole lyonnaise. Mais l'insubmersible maire de Lyon affronte la dissidence d'une partie de ses troupes et l'avancée des écologistes dans les sondages.

Il fend la foule, enchaîne les selfies et n'hésite pas à poser avec le traditionnel dragon. Gérard Collomb est tout sourire à l'occasion du Nouvel An chinois, le 26 janvier, dans les rues du 7e arrondissement de Lyon. Au lendemain de l'inauguration de son local de campagne, l'actuel maire LREM de la ville a d'ailleurs choisi ses mots pour lancer l'année du Rat, premier animal du cycle du zodiaque chinois. "Nous sommes repartis pour un cycle zodiacal de douze ans, et même si ce n'est pas douze… Six ans, c'est bien aussi !" lance-t-il en conclusion de son discours, réclamant à ses électeurs de lui faire une nouvelle fois confiance.

A 72 ans et après trois mandats de maire à la tête de la capitale des Gaules, Gérard Collomb est encore candidat. Mais cette fois, le parrain d'Emmanuel Macron en politique vise la métropole de Lyon, pas l'hôtel de ville. Cette nouvelle collectivité territoriale est devenue le principal lieu de pouvoir de l'agglomération, en héritant de prérogatives étendues.

>> Municipales 2020 : le mode d'emploi pour les élections à Lyon et sur la métropole lyonnaise

Gérard Collomb se prête au jeu des selfies lors du Nouvel An chinois, le 26 janvier 2020, dans la rue Pasteur à Lyon. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Pour les municipales, il a choisi, pour prendre son relais, l'ancien gymnaste Yann Cucherat, 40 ans, son actuel adjoint aux sports. La loi sur le non-cumul des mandats empêche le maire sortant de diriger les deux exécutifs.

Sur le papier, tout est donc en ordre de marche. Mais la dernière campagne de Gérard Collomb – il assure qu'il ne se représentera pas dans six ans – se révèle plus délicate que prévu. Le camp Collomb est talonné par les écologistes dans les intentions de vote pour la métropole, et même devancé dans la ville de Lyon. "Toutes les campagnes sont difficiles, relativise l'ancien ministre interrogé par franceinfo. Comme à chaque élection, c'est extrêmement compliqué, mais on essaye d'aller de l'avant. Il faut, comme toujours, recommencer, battre le terrain et rencontrer la population."

Les graines de la division

De stand en stand, de la rue Passet à la rue Pasteur, Gérard Collomb peut mesurer sa notoriété au regard du nombre de photos qu'on lui réclame, mais n'échappe pas aux commentaires. "Tiens, voilà notre maire, on sent que les élections approchent", ironise un jeune homme. "Ah bon ? Il se représente ?" s'étonne un passant dans un sourire. "C'est papy selfie", se moque enfin un opposant.

A quelques mètres de l'ancien ministre d'Etat, l'actuel président LREM de la métropole, David Kimelfeld, moins connu, vient d'arriver pour participer à la fête. Il rejoint le maire de Lyon autour d'une infusion fumante devant un restaurant chinois. Le regard est glacial. L'échange, bref. "On s'est déjà salués", conviennent les deux hommes.

Gérard Collomb et David Kimelfeld (à droite), adversaires pour les élections métropolitaines, se retrouvent lors du Nouvel An chinois, le 26 janvier 2020, rue Pasteur à Lyon.  (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Pour comprendre cette animosité, il faut préciser à ce moment de l'histoire que David Kimelfeld a choisi de présenter une candidature dissidente pour conserver la tête de la métropole, malgré l'investiture LREM obtenue par Gérard Collomb. L'ancien bras droit du maire de Lyon a entraîné derrière lui toute une série d'élus, dont l'actuel premier adjoint à la mairie, Georges Képénékian, qui se présente face à Yann Cucherat à Lyon. Les quatre députés LREM des circonscriptions lyonnaises ont également rejoint la rébellion.

Tout a commencé au moment du rapatriement de Gérard Collomb dans son fief rhodanien en 2018, après sa courte expérience gouvernementale au ministère de l'Intérieur. "J'ai désapprouvé les conditions de ce retour rocambolesque, précipité. Quand on a en charge la sécurité des Français, on ne part pas comme ça", juge le député LREM Thomas Rudigoz.

Il est revenu avec une volonté de tout reprendre en main, avec un autoritarisme, des pratiques d'un autre temps, qui n'ont pas été respectueuses des gens qui étaient en place. Et je pense qu'il y a eu un ras-le-bol.

Thomas Rudigoz, député LREM

à franceinfo

Le camp de la dissidence revendique désormais le soutien d'une cinquantaine d'élus lyonnais, dont 11 conseillers municipaux sur les 46 de la majorité. "C'est une situation assez exceptionnelle. Cela montre qu'il y a une vraie rupture entre Gérard Collomb et une partie de la classe politique lyonnaise", estime Thomas Rudigoz. "On a aussi une vraie différence sur l'orientation politique. Gérard Collomb a des têtes de liste qui représentent majoritairement l'aile droite de LREM, ce qui ne me convient pas", ajoute David Kimelfeld, qui vient comme Gérard Collomb du Parti socialiste.

Siffler et persifler

La guerre est désormais ouverte, sur les marchés comme dans les couloirs de l'hôtel de ville. Lors de la cérémonie des vœux du 4e arrondissement, le 22 janvier, Gérard Collomb a récolté des sifflets et quelques huées sur les terres de David Kimelfeld. Furieux, le maire de Lyon a quitté la salle en criant au scandale, raconte Le Point. "Ce n'est pas moi qui l'ai sifflé ! Et puis, ils étaient dix, relativise David Kimelfeld. En faire un incident, c'est complètement déplacé, c'est du niveau cour d'école et pas à la hauteur d'un ancien ministre de l'Intérieur."

Parfois, l'affrontement est direct, comme en novembre 2019, lorsque le conseiller municipal Roland Bernard s'en prend à son collègue Thomas Rudigoz, qui vient de rejoindre la dissidence. "Traître", "putassier", "minable", éructe le collombiste dans la cour de l'hôtel de ville, devant la caméra de France 3.

Au milieu des plateaux de friandises et des verres de beaujolais du Nouvel An chinois, Gérard Collomb et David Kimelfeld ne se laissent pas aller à de tels esclandres. Mais les commentaires restent acerbes. "Gérard Collomb joue la carte de la notoriété et enchaîne les photos. Je préfère prendre le temps de parler aux gens, confie David Kimelfeld. Il pense que la marque Collomb est suffisamment forte pour tout emporter. J'espère qu'il fait erreur et que les gens s'intéressent aussi aux idées, et pas seulement à un logo, à une marque." Dans le camp du maire de Lyon, Yann Cucherat déplore cette ambiance fratricide. "C'est une campagne qui n'est pas saine et je le regrette. Ce sont eux qui ont pris la décision de partir, et j'espère qu'ils reviendront", affirme-t-il. "Ce serait dommage que les problèmes personnels prennent le pas sur les projets politiques", ajoute Romain Blachier, membre de l'équipe de campagne de Gérard Collomb.

Plus vert que vert

La division du camp LREM profite aux écologistes, qui se sentent pousser des ailes dans les sondages. "On ne prend pas ça comme une vérité, mais cela révèle une envie forte d'écologie des citoyens et cela démontre que cette élection va se faire entre la vision obsolète de Gérard Collomb et notre projet", estime ainsi Bruno Bernard, candidat EELV à la métropole. Dans une ville marquée depuis longtemps par des problèmes de pollution, tous les candidats se sentent désormais obligés de placer l'écologie au cœur de leur programme. Un récent sondage confirme d'ailleurs qu'il s'agit de la première préoccupation des Lyonnais.

"Nous entrons dans une nouvelle ère, la conscience écologique est de plus en plus forte, il faut entendre la crainte des jeunes", a ainsi déclaré Gérard Collomb en décembre, provoquant l'étonnement du journal Le Monde face à cette "spectaculaire conversion" écolo. "Je ne vois pas pourquoi ce serait une conversion, répond Romain Blachier. Depuis 2014, Gérard Collomb a quand même fait des pistes cyclables, développé les transports en commun, le bio dans les cantines, des repas sans viande, les premiers composts associatifs… Tout ça, ce n'est pas rien." Mais cela reste insuffisant, selon Bruno Bernard : "Aujourd'hui, il faut aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite sur l'environnement."

On ne peut pas se revendiquer écolo et continuer à porter des projets qui ne sont pas conformes aux enjeux d'aujourd'hui.

Bruno Bernard, candidat EELV à la métropole

à franceinfo

Au cœur des désaccords, le projet de l'Anneau des sciences, une autoroute souterraine qui doit passer à l'ouest de la ville afin de boucler le périphérique. Ce plan, dans les cartons depuis de nombreuses années, vise à désengorger la circulation dans le centre-ville. Mais, en dehors des candidats de droite, Gérard Collomb se retrouve bien seul pour défendre ce projet.

  (GRAND LYON)

De David Kimelfeld à l'extrême gauche, les candidats ont pris position contre cette infrastructure. "C'est un projet climaticide qui va coûter plusieurs milliards d'euros. Toutes les études montrent qu'à chaque fois que vous rajoutez une infrastructure, ça ne fait qu'augmenter la circulation", dénonce Bruno Bernard. "Gérard Collomb n'a qu'une obsession : l'attractivité. Il en oublie les questions écologiques et sociales", regrette aussi Thomas Rudigoz. "Je crois qu'au contraire, c'est un projet à la fois économique et écologique, parce qu'aujourd'hui la voiture passe par le cœur de la ville, répond le maire de Lyon. Lors de mes vœux dans le 5e arrondissement, j'ai été extrêmement applaudi, parce que ce sont des gens qui ont des dizaines de milliers de voitures sous leurs fenêtres tous les matins."

"On est à la fin d'une époque"

Les partisans de Gérard Collomb vantent le bilan d'une ville transformée, des aménagements sur les quais de Rhône au nouveau quartier de la Confluence situé dans le sud de la presqu'île. Ils évoquent aussi le Vélo'v. "Il a fait beaucoup pour le développement économique, l'attractivité", se félicite Romain Blachier. "On ne peut pas nier que Gérard Collomb a profondément transformé la ville. Dans la continuité des anciens maires Michel Noir et Raymond Barre, Lyon est devenue une métropole européenne", reconnaît Etienne Blanc, candidat LR à Lyon.

Conseiller municipal depuis 1977, maire depuis 2001, Gérard Collomb assure qu'il a encore l'énergie. "Vous avez vu, on continue à avoir une grande forme", lance le candidat entre deux poignées de main à ses concitoyens. Après un début de campagne assez calme, le maire de Lyon est bien entré dans la bataille en cette fin janvier. "On va faire une campagne courte, mais une campagne punk à la Chirac", prévient Romain Blachier, qui décrit un Gérard Collomb dynamique, capable de mixer aux platines d'un DJ pour l'inauguration d'un espace vert dans le 3e arrondissement. "Il a un côté très sérieux, mais il a aussi un côté alternatif."

Mais les adversaires du maire de Lyon estiment que l'heure est au renouvellement. "Gérard Collomb a été un bon maire de Lyon sur plusieurs sujets par le passé, mais sa vision est aujourd'hui dépassée", juge l'écologiste Bruno Bernard. "Si vous faites les comptes, il cumule près de 110 années avec ses différents mandats. A un moment donné, il faut passer la main", pique aussi Andréa Kotarac, candidat RN à la métropole. "C'est la différence entre un homme politique et un chef d'entreprise. Ce dernier sait en général transmettre, passer le flambeau", estime aussi son ancien allié David Kimelfeld. Une campagne de fin de règne qui ressemble de plus en plus à un référendum pro ou anti-Collomb. "Chacun se dit qu'il y a une opportunité d'exister, il y a un espace politique, résume Etienne Blanc (LR). Il y a le sentiment qu'on est à la fin d'une époque, qu'il faut tourner une page."

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