Cet article date de plus de neuf ans.

Pourquoi virer Eric Zemmour d'i-Télé n'empêchera pas la diffusion de ses idées

Son éviction a suscité de nombreuses réactions, parfois outrées, tout au long du week-end. Pour autant, le polémiste a d'autres moyens pour se faire entendre. Ses thèses gagnent d'ailleurs du terrain dans la société française.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Eric Zemmour, à Lyon, le 21 novembre 2014. (MAXPPP)

Ses propos controversés sur la déportation des musulmans auront été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour la direction d'i-Télé. La chaîne d'information en continu a mis fin, vendredi 19 décembre, à sa collaboration avec son chroniqueur Eric ZemmourLe polémiste participait depuis dix ans à l'émission de débat "Ça se dispute".

"On a l’impression qu’il se parle à lui-même et à son public"s'est justifiée Céline Pigalle, la directrice de la rédaction d'i-Télé. "On a de moins en moins le sentiment qu’on peut débattre. Le dialogue est devenu de plus en plus difficile, voire impossible", a-t-elle ajouté. Son éviction a suscité un torrent de réactions tout au long du week-end. Pour autant, Eric Zemmour a d'autres moyens pour faire entendre ses idées. 

Sa médiatisation ne passe pas que par i-Télé

"Ça se dispute" s'arrête donc après dix ans d'antenne. Dans cette émission politique et polémique, Eric Zemmour a d'abord débattu avec Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L'Express, avant d'être confronté à Nicolas Domenach, ancien journaliste de Marianne, devenu chroniqueur pour Challenges. "C’est l’émission phare d'i-Télé. Des gens ne connaissent pas la chaîne mais connaissent 'Ça se dispute'D'ailleurs, elle draine l’audience du vendredi soir et du samedi [lors des rediffusions]", expliquait aux Inrockuptibles Léa Salamé, chargée de jouer la médiatrice entre les deux contradicteurs, en mai 2014.

De fait, la chaîne d'info a pu réaliser de bonnes audiences grâce à l'émission qui alternait débats, coups de gueule et foire d'empoigne. Selon nos informations, depuis septembre, Zemmour et Domenach attiraient environ 0,5% des téléspectateurs chaque vendredi soir, soit à peu près 117 000 personnes devant leur poste. Des chiffres corrects pour i-Télé (à la traîne derrière BFMTV), mais loin d'offrir au discours d'Eric Zemmour une exposition médiatique optimale.

Si son éviction d'i-Télé a déclenché une vague d'indignation chez ses partisans, hurlant à la censure et dénonçant une atteinte à la liberté d'expression, Zemmour est très loin d'être privé d'antenne. Le polémiste reste chroniqueur dans la matinale de RTL, tranche horaire la plus écoutée à la radio – et ce, même si la société des journalistes de RTL "déplore vivement et tient à se désolidariser des propos tenus par Eric Zemmour" sur les musulmans et estime que ses prises de position "ternissent les valeurs de vivre ensemble qui ont toujours été défendues par RTL".

Il co-anime aussi "Zemmour et Naulleau" sur Paris Première, tient une tribune dans Le Figaro Magazine... Ajoutez à cela le fait que les sorties polémiques de l'essayiste sur les immigrés, les femmes, les homosexuels entraînent systématiquement des reprises dans les autres médias, ainsi que des invitations à s'expliquer ou à prolonger le débat. "Parler de censure est un oxymore" dans le cas d'Eric Zemmour, estime ainsi Nordine Nabili, directeur du Bondy Blog, sur Libération.fr"L’inventaire de ses collaborations professionnelles ou de ses interventions médiatiques est long comme une file d’attente de préfecture", ironise-t-il.

Son livre fait un carton en librairie

Si vous n'avez jamais entendu parler du Suicide français, vous devez sûrement vivre sur une autre planète depuis le 1er octobre. Le brûlot de Zemmour, sorti aux éditions Albin Michel, s'est vendu à plus de 250 000 exemplaires, selon Le Monde (article payant). L'ouvrage a été tiré à 400 000 exemplaires, un record pour un essai. Zemmour se paye même le luxe de bousculer les classements littéraires, avec Valérie Trierweiler et Merci pour ce moment, en reléguant les œuvres de fiction, prix Goncourt compris, au second plan.

Dans ce livre, Eric Zemmour dépeint une France qui s'éteint et l'auteur multiplie les provocations et dérapages : Vichy et les juifs, l'immigration, les femmes, Mai 68, la lutte contre le racisme, l'IVG... Tout y passe. Lors de la sortie de son livre, le chroniqueur a multiplié les interventions médiatiques. Car Eric Zemmour est un "bon client" pour les médias : l'avoir sur son plateau offre la garantie de déclarations polémiques, de reprises dans les autres médias et donc de visibilité. "On n'est pas couché" sur France 2, "C à vous" sur France 5, "Le Grand Journal" de Canal +, "Ce soir (ou jamais !)" sur France 2, invité de la matinale de France Inter, de RMC... On ne compte plus les articles consacrés au livre ou à son auteur dans la presse écrite et sur le web. Le phénomène Zemmour et le "discours du déclin" ont même eu droit à leur article dans le très prestigieux New Yorker (en anglais). 

Ses idées trouvent un écho dans la société française

Le succès et l'omniprésence d'Eric Zemmour ne se mesurent pas seulement à travers sa présence médiatique. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes défendent l'homme ainsi que ses idées. Des sites internet, parfois proches des milieux identitaires et d'extrême droite, appellent à soutenir l'essayiste et à boycotter i-Télé. Les vidéos de ses "clashs" les plus spectaculaires comptabilisent des centaines de milliers de vues. Ses thèses, notamment sur l'immigration, autrefois cantonnées à l'extrême droite et à un public plus confidentiel, gagnent une audience plus large. "Aujourd'hui, il est plus suivi que vilipendé", expliquait ainsi Eric Naulleau, son ancien compère d'"On n'est pas couché", au Figaro (article payant)"Avant, il prêchait dans le désert. Il fait partie maintenant d'un chœur."

Selon un sondage publié en octobre par Le Parisien, 42% des Français (contre 56%) sont d'accord avec les thèses développées par Eric Zemmour dans Le Suicide français. C'est au cœur de l'électorat de droite que les idées du polémiste semblent faire mouche. Si dans leur majorité, les sympathisants du Front national ne se disent pas choqués par la thèse selon laquelle le régime de Vichy aurait sauvé des juifs français, elle choque 55% des sympathisants de l'UMP. "Son jugement négatif sur l'impact de l'immigration est partagé par un Français sur deux, séduisant autant la droite (à 73 %) qu'il révulse (à 74 %) la gauche", expliquait Gaël Sliman, président d'Odoxa qui a réalisé l'étude, au Parisien. En revanche, 81 % des personnes interrogées réprouvent l'idée selon laquelle la féminisation de la société entraînerait le déclin. "Il n'y a pas une 'zemmourisation' de la société française, mais une mithridatisation des idées de l'extrême droite vers la droite parlementaire, dont les sympathisants (surtout les gaullistes) semblent accepter de plus en plus facilement des thèses qui les auraient choqués il y a une dizaine d'années", estimait Gaël Sliman.

Eric Zemmour distille également ses idées à travers des conférences qui font salle comble. Ce fut le cas à Béziers (Hérault), ville remportée par Robert Ménard. Là aussi, il a été question d'immigration – notamment de "transferts de population" – et de la féminisation entraînée par la série Hélène et les garçons. Même chose à Toulouse, Rennes, Lyon... Des conférences qui prennent des allures de meetings politiques. Même si le principal intéressé s'en défend. "Je mélange le journalisme, la politique et la littérature dans cette vieille tradition française que j’admire tant", explique Zemmour à l'envi. "Aujourd’hui, mes confrères se confinent trop exclusivement dans l’information et les politiques ne savent plus écrire", a-t-il par exemple déploré à Béziers, le 16 octobre, comme le rapporte Le Monde (article payant). En novembre, sur France 5, le patron de RTL dressait un autre portrait de son chroniqueur : "Zemmour est un intellectuel, sûrement pas un homme politique et de moins en moins un journaliste."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.