Moulin à Giverny, villas Serena et Pamplemousse, riad à Marrakech... La vie de château des Balkany devant la justice
Le patrimoine immobilier du couple était au cœur du jugement que le tribunal correctionnel de Paris a rendu vendredi. Dans ce volet – Patrick Balkany est aussi jugé pour "corruption" –, le maire de Levallois-Perret a été condamné à quatre ans de prison avec incarcération immédiate.
Ils étaient soupçonnés d'avoir dissimulé à l'administration fiscale un patrimoine d'environ 13 millions d'euros. Le couple Balkany a été reconnu coupable de fraude fiscale, vendredi 13 septembre. Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), a été condamné à quatre ans de prison avec incarcération immédiate. Il doit dormir dès vendredi soir à la prison de la Santé, à Paris. Son avocat, Eric Dupond-Moretti, a immédiatement annoncé son intention d'"interjeter appel".
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Isabelle Balkany, première adjointe de son époux, a été condamnée à trois ans de prison ferme mais sans mandat de dépôt, le tribunal tenant compte de son état de santé au moment du procès. Elle n'y avait pas assisté, convalescente après une tentative de suicide début mai. Le couple a également été condamné à dix années d'inéligibilité et dix ans d'interdiction de gérer une société.
Le jugement dans le principal volet du procès, pour "corruption" et "blanchiment", sera rendu le 18 octobre. Villas, riad, demeure... Le patrimoine présumé caché du couple se nichait dans plusieurs propriétés.
Le moulin de Cossy, pour le soir et les week-ends
Suivez le guide. "Avec 1 300 m2 carrés habitables, la propriété s’élève sur quatre niveaux et s’étend sur plus de quatre hectares comprenant deux piscines, un parcours de golf, un court de tennis, une salle de gymnastique, un hammam et un bar. L’immeuble compte également une dizaine de chambres", décrit France 3 Ile-de-France au sujet du moulin de Cossy, à Giverny (Eure), propriété depuis 1986 de Patrick et Isabelle Balkany, respectivement maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et première adjointe. La visite se poursuit ainsi : "Entourée de majestueux saules pleureurs, la demeure du XIXe siècle est un musée qui dévoile du mobilier Louis XVI, des trophées de chasse, des statuettes hindoues et des toiles de maître."
"Achetée une bouchée de pain dans les années 1980, cette villégiature de campagne a coûté une blinde en rénovations", souligne le site d'information Les Jours. Le moulin de Cossy a donc pris de la valeur. Les travaux sont évalués à "sept à huit fois le prix de la maison" par Didier Schuller. Lui, c'est l'ami de Patrick Balkany, avec lequel il s'est lancé en politique dans les rangs du RPR. Mais Didier Schuller doit s'exiler aux Bahamas en 1994, quand surgit l'affaire de l'office HLM des Hauts-de-Seine. Quand il revient, au début des années 2000, Didier Schuller est jugé dans cette affaire au côté du maire de Levallois-Perret. Il est condamné, Patrick Balkany est relaxé. Didier Schuller ne le digère pas. Alors il met la puce à l'oreille aux magistrats instructeurs à l'automne 2013.
J'ai payé ma dette, je constate aujourd'hui que le président de l'office des HLM de l'époque, M. Balkany, a été relaxé. M. Balkany (...) aurait à sa disposition un palais à Marrakech, une résidence de luxe à Saint-Martin et l'usufruit du Moulin de Giverny. Je suis heureux de voir que ce que je pensais être du financement politique a pu profiter à d'autres fins et sans doute personnelles.
Didier Schuller, face aux juges d'instructionle 24 octobre 2013
Outre les déclarations de Didier Schuller, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée en 2013, estime que cette demeure fastueuse est sous-évaluée par les Balkany dans leur déclaration de patrimoine. Le moulin de Cossy ne leur appartient plus directement, rétorque le couple. "Depuis qu'ils en ont fait donation à leurs enfants, en 1997, Patrick et Isabelle Balkany n'en ont que l'usufruit, ce qui leur permet de déclarer à peine 150 000 euros de patrimoine pour l’ensemble du domaine", explique Libération.
En outre, les magistrats instructeurs découvrent que l'architecte en charge des travaux de rénovation de la propriété de Giverny a également obtenu le contrat pour la construction de la ZAC du Front de Seine, en 1987 à Levallois-Perret. En contrepartie, l'architecte a réalisé les études pour les travaux sans honoraires, "à titre amical". Ce dernier "refuse de parler de 'corruption' mais évoque plutôt un 'service rendu'", écrit le journaliste Laurent Valdiguié dans L'enquête Balkany (Robert Laffont, 2017).
Le moulin de Cossy a été saisi par la justice en 2016. Mais le couple vit encore dans cette demeure, où ils ont accueilli leurs amis les week-ends pendant de nombreuses années. Ils s'y rendaient aussi le soir après leur travail en mairie. Pour la petite histoire, c'était un policier municipal en détachement qui conduisait les Balkany dans cette résidence secondaire située à 80 km à l'ouest de Paris. Jusqu'à ce que la justice ouvre une enquête pour "détournement de fonds publics". Montres de collection, toiles de maître, mobilier Louis XVI... Par ailleurs, la demeure regorge de trésors, mais aucun n'est déclaré dûment. Le moulin de Cossy est également le lieu où, le 1er mai, Patrick Balkany a découvert son épouse "inanimée", après sa tentative de suicide.
La villa Serena et la villa Pamplemousse, pour l'été
Cap sur les Antilles françaises. La villa Serena offre un cadre idyllique : située au bord de la plage de sable blanc de Baie Rouge sur l'île de Saint-Martin, elle comporte une piscine avec vue sur la mer, une salle multimédia avec écran géant, cinq chambres et autant de salles de bains. "C'est comme si une villa de rêve en Provence avait été transportée sur l'une des plus belles plages des Caraïbes", argumente l'agence immobilière sur son site internet. Car la villa est toujours proposée à la location au prix de 34 650 dollars la semaine en haute saison (30 853 euros).
Louer la villa en famille et non l'acheter : c'est ce que prétendaient avoir fait le maire de Levallois et sa femme jusqu'en 2016. "Patrick Balkany nie absolument posséder une quelconque propriété à Saint-Martin", écrivait déjà en 1997 L'Express. Pourtant, les enquêteurs ont fini par obtenir la preuve que Patrick Balkany a acquis la villa Serena en 1989, via une cascade de sociétés cachées, notamment immatriculées au Liechtenstein. Elle a été revendue en 2002 pour un montant de 3,5 millions de dollars. Patrick Balkany est soupçonné d'en avoir caché l'existence et la cession grâce à des comptes offshore. Mais les enquêteurs découvrent que la somme issue de la vente va servir à rénover et mener des travaux... dans une autre villa.
Car, cinq ans plus tôt, Isabelle Balkany a acheté une autre propriété, située non loin de là, toujours sur l'île de Saint-Martin. Elle est surnommée la "Maison du soleil", avant d'être rebaptisée villa Pamplemousse. C'est la jumelle de la première : estimée à cinq millions d'euros, elle est dotée de cinq suites et d'une vue imprenable, comme le décrit "Complément d'enquête", diffusé sur France 2 en 2015. Des photos ont aussi été mises en ligne par le magazine Challenges.
Après avoir nié en être propriétaire, la première adjointe de Levallois a reconnu détenir la somptueuse habitation lors de sa cinquième audition devant les juges, le 22 mai 2014. Isabelle Balkany invoque un héritage familial pour justifier cet achat, conteste toute utilisation de l'argent du contribuable et dédouane son mari : "Je suis la seule et unique bénéficiaire." "La villa Pamplemousse a été achetée le 3 juin 1997, via Real Estate, dont effectivement, comme elle l'a reconnu, Isabelle Balkany est l'ayant droit économique", précise Laurent Valdiguié dans L'enquête Balkany. Aujourd'hui, la villa a trouvé un nouvel acquéreur mais le prix de la vente a été saisi par la justice française. "Mais entre juin 1997 et la vente de Serena, le 21 juillet 2002, (...) les Balkany ont donc eu deux maisons à Saint-Martin !", insiste le journaliste. Or ils ne l'ont jamais déclaré au fisc.
Le riad à Marrakech, pour le reste de l'année
Saint-Martin, c'est loin. Pour de courts séjours luxueux, on peut tout aussi bien traverser la Méditerranée et atterrir au Maroc. C'est ce qu'ont fait les Balkany à partir de 2009. Ils imaginent Noël au soleil, les vacances de la Toussaint passées près de la médina. Au printemps, en présence des agents immobiliers et du vendeur, ils jettent leur dévolu sur une somptueuse villa aux murs saumon, entourée de palmiers verts, dans la banlieue de Marrakech. Un visiteur du riad se souvient pour Le JDD, en 2014, de ce "temple du luxe bling-bling avec des tableaux partout" et "une douzaine d'employés de maison à plein temps". "J'en ai beaucoup entendu parler par des personnes qui y sont allées. C'est un palais oriental luxueux", affirme aux juges Didier Schuller.
Patrick Balkany et son épouse se lancent, mais pas seuls : ils achètent le riad avec l'aide de Mohamed Al-Jaber, promoteur saoudien qui négocie des droits à construire avec la ville de Levallois-Perret - pour un projet de tours jumelles avorté -, ainsi qu'avec l'appui du bras droit de Patrick Balkany, Jean-Pierre Aubry, et de l'avocat d'affaires et ex-associé de Nicolas Sarkozy, Arnaud Claude. Tous les trois sont aujourd'hui renvoyés devant le tribunal correctionnel avec le couple, qui finalise l'achat en janvier 2010, pour un montant de 2,75 millions d’euros. C'est ce qu'ont pu établir les magistrats instructeurs, au terme de cinq ans d'enquête.
Car, au moment de l'acquisition du riad à Marrakech, les Balkany ont pris le soin de n'apparaître dans aucun document signé dans les paradis fiscaux suisse et singapourien. Aujourd'hui, ils nient toujours en être les propriétaires. Pourtant, les enquêteurs affirment que le couple est bien derrière la société civile immobilière (SCI) Dar Gyucy. Cette société constituée au Maroc le 20 juillet 2009 est l'acquéreur du riad.
Comment ont-ils fait le lien ? Entre autres grâce au nom choisi : ils y retrouvent le "Gyu" de Gyula, prénom du petit-fils des Balkany, accolé au "cy" de Lucy, leur petite-fille (parfois écrit "ci" par la justice). Officiellement, le riad est loué par le fils des Balkany, Alexandre. Mais durant une perquisition en 2015, les enquêteurs ont notamment trouvé des peignoirs portant les initiales "PB" et des caisses annotées "Balkany". A ce jour, le riad marocain est lui aussi bloqué par la justice, tout comme les meubles prestigieux qui s'y trouvaient. "De tous les biens des époux Balkany (...), la villa Dar Gyucy est le plus sulfureux. En raison de l’origine trouble des fonds, mais surtout des montages financiers ayant permis son acquisition", résume Libération.
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