Présidentielle américaine 2024 : pourquoi des détracteurs de Kamala Harris affirment qu'elle "n'est pas noire"

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié
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La vice-présidente américaine Kamala Harris, à Madison (Wisconsin), le 19 septembre 2024. (BRETT JOHNSEN / AFP)
Donald Trump avait utilisé cette fausse information pour tenter de discréditer son adversaire démocrate dans la course à la Maison Blanche. Une fake news récemment relayée par la chanteuse Janet Jackson.

"Elle n'est pas noire. C'est ce que j'ai entendu. Qu'elle est indienne." En tenant ces propos au sujet de Kamala Harris, samedi 21 septembre, dans une interview au quotidien britannique The Guardian, la chanteuse Janet Jackson a relayé une fausse information sur la candidate démocrate à la présidentielle américaine vieille de plusieurs années. "Son père est blanc. On m'a dit qu'ils ont découvert que son père était blanc", ajoute la sœur de Michael Jackson dans cet entretien.

Depuis qu'elle est vice-présidente des Etats-Unis, Kamala Harris est régulièrement la cible de théories complotistes sur son identité. Des accusations qui rappellent celles qui affirment que Barack Obama n'est pas né aux Etats-Unis, ce qui le rendrait inéligible à la Maison Blanche. A l'inverse de la France où l'approche est universaliste, les identités raciales et religieuses peuvent apparaître sans tabou aux Etats-Unis. La "race" y est un concept d'identification défini par le Bureau de recensement américain et les résidents peuvent choisir la ou les catégories auxquelles ils s'identifient le mieux : amérindien, asiatique, noir ou afro-américain, hispanique ou latino, blanc...

Récemment, lors d'un échange à Chicago avec des journalistes afro-américains, le mercredi 31 juillet, Donald Trump a aussi remis cette rumeur sur la table, accusant sa nouvelle rivale d'être "devenue noire" par calcul politique. "Elle était indienne à fond et, tout d'un coup, elle a changé et elle est devenue une personne noire", a-t-il assuré.

Née d'un père jamaïcain et d'une mère indienne, Kamala Harris a rétorqué sur le réseau social X que "les Américains mérit[aient] mieux que la division et le manque de respect" de l'ancien président. Donald Harris, le père de la vice-présidente, est né en Jamaïque, où la quasi-totalité de la population est noire ou métisse (98,2%), selon une estimation de la CIA. Sa mère, Shyamala Gopalan, est une Indienne tamoule née dans la ville de Madras, selon le site de sa fondation. Tous les deux ont été naturalisés Américains.

Une double origine revendiquée 

"C'est une question qui est seulement posée par les racistes aux Etats-Unis", relève Keeanga-Yamahtta Taylor, professeure à l'université de Princeton et spécialiste des inégalités raciales aux Etats-Unis. "Kamala Harris est métisse, noire et indienne. Elle a été élevée dans les religions hindoue et chrétienne. Elle a épousé un homme de confession juive et a un foyer recomposé", détaillait la chercheuse Célia Belin auprès de franceinfo en 2021. Le clan Harris "est une famille moderne comme on en a jamais vu à la tête du pays", estimait la docteure en sciences politiques.

L'ex-sénatrice de Californie a brisé plusieurs plafonds de verre en devenant la première femme à occuper le poste de vice-présidente des Etats-Unis en 2021, et qui plus est, la première femme noire et première femme asiatique. Contrairement à ce que laisse entendre Donald Trump, elle a toujours revendiqué sa double origine en racontant la rencontre de ses parents, à l'université de Berkeley, lors de rassemblements pour la défense des droits civiques. Après leur divorce, Shyamala Gopalan a élevé ses deux filles afin qu'elles deviennent "des femmes noires fières et fortes". "Elle nous a aussi élevées pour que l'on soit fière de notre héritage indien", avait déclaré Kamala Harris, lors de la convention démocrate, en juillet 2020.

Plus jeune, elle avait aussi choisi de faire ses études à l'université d'Howard, considérée comme "la Black Harvard" de Washington. "Elle y a intégré une sororité noire, et toute sa sociabilité étudiante et professionnelle s'est faite dans ces cercles-là", rappelle Esther Cyna, maîtresse de conférences en civilisation des Etats-Unis à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

"C'est juste une femme puissante, et ça, ça perturbe beaucoup de gens."

Esther Cyna, spécialiste des Etats-Unis

à franceinfo

Pourquoi Donald Trump et les adversaires de la candidate sèment-ils le doute sur l'identité de Kamala Harris ? "Il avait construit toute sa campagne sur le fait d'attaquer Joe Biden, et tout s'est effondré quand celui-ci s'est retiré de la course à la Maison Blanche. Ça l'a déstabilisé", observe Esther Cyna. "C'est une récidive à l'envers. Pour Barack Obama, il n'y avait pas de débat pour savoir s'il était noir ou pas. Alors Donald Trump l'a attaqué en demandant : 'Est-il vraiment américain ?' Pour Kamala Harris, on ne se pose pas la question, elle est américaine. Il questionne : 'Est-elle vraiment noire ?' Il attaque la légitimité de ses adversaires pour les discréditer", analyse la spécialiste des Etats-Unis.

La légitimité de la vice-présidente américaine faisait déjà débat au sein de la société américaine, bien avant que Donald Trump ne la cible. "Elle est en dehors de beaucoup de codes. Parce qu'elle est biraciale, il y a cette peur qu'elle capitalise sur une identité noire, alors que certaines personnes ne la voient pas comme une porte-parole de la communauté noire", explique Esther Cyna. Kamala Harris a notamment été critiquée pour son bilan en tant que procureure générale de Californie, jugé particulièrement dur à l'égard des minorités. Certaines associations antiracistes lui ont reproché sa passivité sur des affaires de tirs de police sur des hommes noirs.

Critiquée pour son appartenance sociale

Par ailleurs, la règle du "one drop rule", bannie en 1967, a laissé un fort héritage dans la société américaine. Il suffisait jusqu'à cette date d'une goutte de sang noir pour qu'une personne soit considérée comme Noire – une mesure destinée à empêcher les mariages interraciaux. Aujourd'hui, si les personnes sont libres de s'auto-identifier racialement lors des recensements, un principe d'hypodescendance persiste. Il s'agit de l'assignation d'un enfant métis au groupe marginalisé d'un parent plutôt qu'au groupe privilégié de son autre parent. Autrement dit, un enfant issu d'une union entre une personne afro-américaine et une personne blanche sera considéré comme noire.

"Quand Barack Obama, en tant que président des Etats-Unis en 2010, s'auto-identifie sur le recensement comme étant uniquement noir, alors qu'il a la possibilité de dire qu'il est aussi blanc, ça indique, si ce n'est la 'one drop rule', que le principe d'hypodescendance est intériorisé y compris par le chef de l'Etat", illustre le politiste Daniel Sabbagh, spécialiste des discriminations et de l'histoire du recensement aux Etats-Unis, à France Culture. De la même façon, Kamala Harris est bien noire, au même titre que Barack Obama.

Mais au-delà de son appartenance raciale, c'est l'appartenance sociale de Kamala Harris qui divise. Fille d'une biologiste et d'un économiste de Stanford, peut-elle compter sur le soutien des Afro-américains ? Des critiques étaient formulées à son encontre par l'association American Descendants of Slavery ("Américains descendants de l'esclavage" en français) : "Kamala Harris a grandi avec l'expérience des immigrants aisés, et non 'l'expérience noire'. Son niveau de richesse et son expérience de vie reflètent la stabilité de la blancheur, plutôt que la précarité de la noirceur", pointait sa fondatrice Yvette Carnell sur X en 2022.

"Les personnes afro-américaines votent démocrate", rappelle Esther Cyna. Selon un rapport de Pew Research Center, 92% du vote des Noirs est allé à Joe Biden lors de l'élection suprême de 2020. "Ce vote dépasse la personnalité de Kamala Harris", avance la chercheuse. La candidate n'a d'ailleurs pas fait de son identité un argument de campagne : "Lors de son discours d'investiture [à la convention démocrate], elle n'a pas mentionné la race ou le genre une seule fois. Le sentiment autour de sa campagne, c'est qu'elle fait une déclaration en étant simplement elle-même, et qu'elle n'a pas à s'expliquer auprès des autres", rapporte le Wall Street Journal. Selon un sondage pour CNN, paru en juillet, 78% de l'électorat noir compte voter pour Kamala Harris face à Donald Trump. Ils étaient 70% à se positionner pour Joe Biden face au même adversaire.

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