Présidentielle américaine 2024 : comment l'engouement autour de la candidature de Kamala Harris déstabilise Donald Trump
"La course n'est plus la même." Ce constat est signé Corey Lewandowski, conseiller de longue date de Donald Trump, auprès de Reuters. Le candidat républicain doit désormais battre Kamala Harris pour remporter l'élection présidentielle américaine, le 5 novembre. La vice-présidente a pris la relève de Joe Biden, 81 ans, qui s'est retiré de la course fin juillet après des semaines de polémiques autour de son âge et de ses capacités physiques et mentales. Kamala Harris doit être officiellement adoubée par son camp lors de la convention du Parti démocrate, qui débute lundi 19 août à Chicago (Etat de l'Illinois).
Pour les républicains, l'heure est à la mise en place d'une nouvelle stratégie... à trois mois du scrutin. "Ils ont préparé une campagne contre Joe Biden, tout a explosé. Qui peut monter en cent jours une autre campagne présidentielle performante ?", s'interroge Steven Ekovich, professeur de sciences politiques à l'American University of Paris. Le retrait de Joe Biden était pourtant envisagé depuis mai, comme le montre une note interne de l'équipe de campagne républicaine consultée par Reuters. Mais la stratégie à adopter dans le cas où Kamala Harris prendrait le relais n'était pas détaillée.
Les républicain ont "construit leur campagne autour de l'âge de Joe Biden, son acuité mentale et son aptitude à la fonction", rappelait le 22 juillet la journaliste Caitlin Huey-Burns sur CBS. Maintenant que Kamala Harris, 59 ans, représente le camp démocrate, "c'est Donald Trump, 78 ans, qui est le bonhomme âgé", souligne Steven Ekovich.
"Il donne l'impression d'être perdu"
En outre, la campagne de la vice-présidente, accompagnée de son colistier Tim Walz, commence bien. Leur tournée du pays début août a rassemblé entre 10 000 et 15 000 personnes par meeting, selon l'équipe de campagne démocrate. Cette dernière précise par ailleurs que Kamala Harris a récolté 310 millions de dollars de fonds en juillet (282 millions d'euros) – deux fois plus que Donald Trump le même mois – et cumule 385 millions de vues sur Tik Tok en 20 jours, soit plus du double que Joe Biden en cinq mois, d'après CNN.
Cet engouement se confirme dans les sondages, qui la placent devant Donald Trump dans les Etats clés du Wisconsin, du Michigan et de la Pennsylvanie. Au niveau national, la candidate démocrate est créditée à 49% des voix, quand son rival républicain en réunit 47%, selon la moyenne des sondages calculée et publiée par le New York Times.
De quoi déstabiliser Donald Trump. "On est habitués à des propos décousus, mais là, il donne l'impression d'être perdu et de ne pas avoir de message cohérent", estime Ludivine Gilli, directrice de l'observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. Pendant sa conférence de presse dans le New Jersey, jeudi, le candidat républicain était entouré de produits alimentaires du quotidien pour dénoncer la hausse des prix sous le mandat de Joe Biden. Mais en pleine démonstration sur l'inflation, Donald Trump a été distrait par une boîte de céréales exposée sur la table, rapporte Associated Press. "Je n'ai pas vu des Cheerios depuis longtemps. Je vais les rapporter à mon chalet", a-t-il soudainement déclaré.
L'ancien président a par ailleurs souvent dévié du script pour dénigrer sa rivale démocrate. Interrogé par les journalistes sur ces piques à répétition, il a assuré "être très en colère contre elle" et estimé avoir "le droit de faire des attaques personnelles".
"Son équipe de campagne essaye de l'encadrer, mais a du mal"
Mais si Donald Trump a habitué le monde entier à ses attaques acerbes, celles visant sa nouvelle opposante sont jugées moins percutantes par les analystes, voire contre-productives. Début août, l'ancien président a déclaré lors d'une interview que Kamala Harris était "devenue noire", après avoir "été indienne à fond", par calcul politique.
"En l'attaquant sur son identité, il s'en prend à elle de manière très maladroite. C'est un repoussoir à électeurs."
Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unisà franceinfo
Donald Trump a ensuite qualifié son opposante de "méchante" sur le plateau de l'émission "Fox & Friends", de "folle", puis de femme "stupide" et "au faible QI" lors de ses meetings. "On s'étonne un peu de la manière dont il se comporte depuis le retrait de Joe Biden, dans le sens où on ne voit plus de stratégie", estime Ludivine Gilli.
Cette attitude inquiète son propre camp, qui aimerait plutôt le voir attaquer le bilan de Kamala Harris en tant que procureure de Californie, puis vice-présidente de Joe Biden, d'après les observateurs interrogés par franceinfo. "Son équipe de campagne essaye de l'encadrer, mais a du mal, car Donald Trump est impulsif. Toute tentative de stratégie électorale échoue parce qu'il n'arrive pas à tenir la ligne", juge Steven Ekovich.
Après avoir dominé la campagne face à Joe Biden, le milliardaire "ne parvient pas à assurer une course présidentielle disputée qui nécessiterait de la discipline et des messages efficaces. Et nous voyons un candidat et une campagne qui s'effondrent complètement", s'agace auprès du média américain Politico Matthew Bartlett, stratège républicain et ancien membre de l'administration Trump.
"C'est ce qu'on pourrait appeler une dépression nerveuse publique."
Matthew Bartlett, ancien membre de l’administration Trumpà Politico
Les attaques contre son propre camp n'arrangent pas la situation. Lors de son meeting en Géorgie, Donald Trump s'en est à nouveau pris à Brian Kemp, gouverneur républicain de l'Etat, qui avait refusé de rejeter la victoire de Joe Biden en 2020. "Attaquer le gouverneur populaire d'un Etat clé n'a aucun sens", a réagi Bobby Saparow, l'ancien directeur de campagne de Brian Kemp, auprès de Politico. Pour Ludivine Gilli, "ça montre une déstabilisation. Ça donne l'impression d'une campagne qui ne sait pas où taper, contre qui taper".
Reprendre l'ascendant grâce aux débats
Donald Trump a-t-il toutefois fini par écouter les conseils de son camp ? Lors de son meeting à Asheville, en Caroline du Nord, mercredi, le républicain a davantage critiqué la politique des démocrates que lors d'autres événements récents, a constaté Reuters (tout en lâchant cependant quelques attaques personnelles contre Kamala Harris).
Pour reprendre l'ascendant, l'ancien président a proposé à Kamala Harris deux débats en plus de celui du 10 septembre, déjà prévu avant le retrait de Joe Biden. "En général, c'est le candidat en position de faiblesse qui va avoir intérêt à débattre pour reprendre l'avantage", rappelle Ludivine Gilli. D'autant que "Donald Trump est quelqu'un contre qui il est difficile de débattre, car il enchaîne les mensonges, les attaques et les propositions irréalistes. C'est donc aux auditeurs de faire le tri", explique la spécialiste des Etats-Unis.
L'adepte des fake news a par exemple accusé l'équipe démocrate d'avoir massifié la foule sur les images d'un meeting à Detroit (Michigan), le 7 août, avec l'intelligence artificielle (IA). Des photos prises sur place, par des agences de presse, comme Reuters et l'AFP, ainsi que différentes vidéos pris par les personnes présentes, montrent pourtant bien une foule massive. En analysant ces images, Checknews, service de vérification des faits de Libération, a jugé quasi impossible la génération par l'IA des clichés mis en cause.
L'équipe de Donald Trump, de son côté, met les bouchées doubles sur la communication électorale. "Nous avons diffusé des publicités dans tous les Etats clés et nous avons élargi la carte afin d'inclure des Etats traditionnellement acquis aux démocrates, comme le Minnesota et la Virginie", a expliqué la porte-parole du parti républicain Anna Kelly à Reuters.
De fait, les élections ne sont pas jouées. "Il est tout à fait possible que Donald Trump reprenne ses esprits", pointe Ludivine Gilli. Quant à l'élan populaire autour de la démocrate, qualifié de "lune de miel" par Tony Fabrizio, sondeur de la campagne de Donald Trump, il pourrait finalement bien durer, selon la chercheuse : "Kamala Harris commence à surfer sur cette dynamique et la convention démocrate devrait contribuer à l'entretenir." De quoi faire regretter à Donald Trump son ancien adversaire démocrate. "Je ne suis pas un fan de [Joe] Biden. Mais d'un point de vue constitutionnel, de n'importe quel point de vue, ils lui ont volé cette élection, a-t-il lancé le 9 août, lors d'une conférence de presse à Mar-a-Lago. Il avait le droit d'être candidat."
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