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Attentats en Europe : "De plus en plus de projets d'attaque passent à travers les mailles du filet"

On compte une quinzaine d'attentats en Europe depuis le début de l'année, contre une dizaine seulement en 2015 et 2016. Comment expliquer ce phénomène ? Yves Trotignon, ancien analyste de la DGSE et spécialiste du jihadisme, a répondu aux questions de franceinfo.

Article rédigé par Pierre Godon - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les unes de la presse espagnole au lendemain des attentats qui ont frappé Barcelone et Cambrils le 17 août 2017. (GABRIEL BOUYS / AFP)

L'Espagne meurtrie. Deux attentats ont frappé la Catalogne (Espagne), jeudi 17 août. L'un à Barcelone, qui a fait 14 morts et une centaine de blessés selon un bilan provisoire, l'autre à Cambrils où six personnes ont été blessées. Deux attaques qui s'ajoutent à la longue liste des attentats commis en Europe depuis 2015. Avec le sentiment d'une accélération depuis le début de l'année, où l'on compte une quinzaine d'attaques meurtrières (notamment Londres, Manchester ou Stockholm). Comment expliquer ce phénomène ? Éléments de réponse avec Yves Trotignon, ancien analyste de la DGSE et spécialiste du jihadisme.

>> Attentats en Catalogne : suivez l'évolution de l'enquête dans notre direct 

franceinfo : Y a-t-il réellement une multiplication du nombre d'attentats depuis le début de l'année 2017 ?

Yves Trotignon : Il y a un effet d'accumulation, qui donne au citoyen le sentiment que ça ne s'arrête jamais. Pour se faire une idée plus juste de la menace terroriste, il faut compter le nombre d'attentats qui ont eu lieu et ceux qui ont été déjoués. A ce titre, on sait qu'il y a eu une quinzaine d'attentats déjoués en France en 2016, et sept depuis le début de cette année. En Angleterre, le gouvernement a communiqué le chiffre d'une demi-douzaine de tentatives déjouées au moment de l'attentat de Manchester. Le phénomène auquel on assiste, c'est qu'il y a de plus en plus de projets d'attaque qui passent à travers les mailles du filet. Mais ces attentats sont pour l'instant moins meurtriers qu'en 2015 ou 2016. 

Les cibles de ces attentats se diversifient : Cambrils est par exemple une ville beaucoup plus petite que Barcelone…

Le fait que les terroristes se soient attaqué aussi à Cambrils, qui n'est pas une ville connue en dehors de l'Espagne, envoie le message que tout le monde est concerné. Comme lors de l'attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray, en juillet 2016 en France. Le but des terroristes, c'est que tous les Européens craignent qu'ils puissent frapper chez eux, et pas que dans les grandes métropoles. 

Ce déchaînement constaté en Europe est-il lié aux défaites militaires de l'Etat islamique en Irak et en Syrie ?

On ne peut pas nier un sentiment de vengeance. L'Etat islamique perd militairement, donc il attaque en Europe. Il ne faut pas oublier que les attentats permettent de recruter de nouveaux membres. Ce qui se passe dans l'ancien territoire de l'EI, avec les exactions des milices chiites de la coalition à Mossoul ou à Raqqa, pousse aussi certains à se dire que ce sont les jihadistes qui avaient raison.

Mais ce serait réducteur d'expliquer uniquement ainsi l'accroissement des attentats. Sinon, en poussant le raisonnement, cela voudrait dire qu'en leur laissant le territoire qu'ils revendiquent, ils devraient arrêter les attentats – ce qui ne se produira pas. Et cette défaite militaire ne sonnera pas le glas de l'EI. Sur le terrain, les chefs de l'organisation ont commencé à entrer dans la clandestinité. Ils l'avaient déjà fait en 2007-2008 quand ils avaient été battus une première fois par la coalition menée par les Etats-Unis.

On observe aussi que de plus en plus d'attentats se font à l'aide d'une fourgonnette. Ce mode opératoire plus simple a-t-il poussé des sympathisants jihadistes à passer à l'acte ?

L'Etat islamique incite régulièrement ses sympathisants à frapper n'importe où. Ils ont ainsi encouragé le fait de mettre le feu à des forêts pendant l'été, à saboter des transports en commun ou, récemment, à provoquer des déraillements. Il existe toute une littérature jihadiste qui aide les aspirants terroristes à passer à l'acte. Dans un numéro du magazine d'Al-Qaïda, on trouvait un dossier avec des conseils sur la bonne camionnette à louer pour faire un maximum de dégâts en fonçant sur une foule. Le magazine de l'EI avait de son côté publié un dossier sur les voitures piégées, qui expliquait comment procéder avec les bonbonnes de gaz…

Autant de synthèses extrêmement habiles qu'on appelle le terrorisme "open source". Le plus incroyable, c'est que ces magazines proposent des retours d'expérience. Celui d'Al-Qaïda commente les actions terroristes de l'EI en soulignant les bons et les mauvais points. On assiste à une forme d’émulation entre groupes rivaux, qui s’affrontent mais reconnaissent qu’ils ont des ennemis communs.

Cela renforce-t-il le côté "amateur" du terrorisme actuel ? 

Il existe, schématiquement, deux types de personnes susceptibles de passer à l'acte. D'un côté, l'amateur éclairé, qui va puiser sur internet les ressources pour commettre son attentat de proximité. De l'autre, le noyau dur de l'Etat islamique en Irak ou en Syrie, qui revient au bercail après avoir survécu à la guerre. Ceux-là sont les plus dangereux, les plus radicaux et surtout les plus convaincus par le projet politique de l'EI. Ce sont les plus susceptibles de mener un attentat à l'explosif, coordonné, comme à Paris le 13 novembre.

Interpol fait circuler une liste de 173 jihadistes susceptibles de commettre des attentats d'envergure à leur retour en Europe – et ils sont en train de devenir. Ce sont deux menaces distinctes, mais qui se complètent. Un attentat sophistiqué de l'EI a ainsi été déjoué en Australie en juillet : l'organisation faisait parvenir à une cellule sur place des pièces détachées et des consignes pour fabriquer une bombe artisanale.

On risque donc d'assister à de plus en plus d'attentats en Europe dans les années à venir ?

C'est une tendance lourde depuis 2013-2014 et l'attentat du musée juif de Bruxelles. Après, il faut faire une distinction entre ce que perçoit le grand public et ce que perçoivent les spécialistes. L'homme qui a attaqué des militaires à Orly en mars n'était pas jihadiste ; idem pour celui qui a foncé dans une pizzeria en Seine-et-Marne, mi-août. D'un point de vue judiciaire, il n'est pas poursuivi pour tentative d'attentat. Et pourtant, cela renforce le sentiment de peur du grand public.

C'est pour ça qu'on a toujours les militaires de l'opération Sentinelle dans les rues, alors que nombre de spécialistes estiment que ça ne sert à rien et qu'ils constituent plus des cibles qu'autre chose. Le consensus général au sein des chercheurs était qu'on en avait pour une ou deux générations à vivre avec la menace terroriste. Le chiffre a été revu à la hausse récemment, et certains observateurs craignent que ce ne soit un des phénomènes du siècle.

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