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Conflit Israël-Palestine : l'article à lire pour comprendre les enjeux derrière l'escalade militaire

Article rédigé par Louis Boy, Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Une femme se tient devant l'immeuble détruit qui abritait les médias AP et Al-Jazeera, à Gaza, le 16 mai 2021. (ADEL HANA / AP / SIPA)

Israël et des groupes armés palestiniens menés par le Hamas étaient engagés depuis le 10 mai dans une escalade militaire inédite depuis l'été 2014, jusqu'à l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu, dans la nuit de jeudi à vendredi.

Après dix jours de combats, les sirènes d'alarme se sont arrêtées. Israël et le Hamas ont fini par approuver un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, qui est officiellement entré en vigueur, vendredi 21 mai. Les violences ont causé la mort d'au moins 240 personnes, soit le bilan le plus lourd depuis 2014.

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Mais le nouvel épisode militaire entre Israël et le Hamas n'est qu'un des pans de cette séquence complexe. Celle-ci a aussi été marquée par la mobilisation contre l'expulsion de familles palestiniennes d'un quartier de Jérusalem et des affrontements autour de l'esplanade des Mosquées. Elle frappe également par la mobilisation inédite des Palestiniens d'Israël et, de l'autre côté, de groupes juifs d'extrême droite plus visibles et violents que jamais.

Si vous vous perdez dans ces multiples enjeux, franceinfo vous aide à y voir plus clair.

Pourquoi un quartier de Jérusalem est-il une des sources de tensions ?

Depuis plusieurs semaines, des Palestiniens se rassemblent dans le quartier de Cheikh Jarrah pour dénoncer la menace d'expulsion de familles palestiniennes de leur logement au profit de colons israéliens. Comme le reste de Jérusalem-Est, ce quartier est occupé par Israël depuis 1967, en violation du droit international selon l'ONU. 

Des groupes religieux juifs mènent des actions en justice pour récupérer des terrains où vivent depuis des décennies des Palestiniens. Ils s'appuient sur une loi israélienne leur permettant (mais pas aux Palestiniens) de recouvrer la propriété des logements qui appartenaient à leurs ancêtres avant la création d'Israël en 1948. Les décisions de la justice israélienne ont déjà abouti à l'expulsion de plusieurs familles palestiniennes de Cheikh Jarrah depuis 2002.

La situation s'est imposée sur le devant de la scène lorsque des rassemblements de soutien à six familles menacées d'expulsion ont été violemment dispersés par la police israélienne, et lorsque des extrémistes religieux juifs se sont rendus sur place pour s'opposer à eux. Face aux tensions, la Cour suprême israélienne a repoussé d'un mois la décision qu'elle devait rendre à ce sujet le 10 mai.

Pourquoi la situation de l'esplanade des Mosquées a-t-elle aussi joué un rôle ?

L'esplanade des Mosquées, dans la vieille ville de Jérusalem, est considérée comme le troisième lieu saint de l'islam, après La Mecque et Médine, et on y trouve notamment le dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Elle se situe sur une colline désignée par les juifs comme le mont du Temple, plus sacré des lieux saints du judaïsme – c'est là que se trouve le mur des Lamentations (photo). Ce double statut, le difficile partage de l'esplanade (les juifs n'ont le droit de le visiter qu'à des heures précises, seuls les musulmans peuvent y prier) et le contrôle exercé sur place par les forces de sécurité israéliennes sont des sources anciennes de tensions.

Le mur des Lamentations, au premier plan, et le dôme du Rocher, au fond à gauche, à Jérusalem, le 13 mai 2018. (MENAHEM KAHANA / AFP)

En avril, des incidents avaient déjà émaillé le début du ramadan. Le 7 mai, de nouveaux affrontements se sont étendus à l'intérieur même de la mosquée Al-Aqsa, la police israélienne y tirant des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène. S'ajoutait à ce contexte brûlant l'imminence de la journée de Jérusalem, célébration annuelle de l'annexion de la partie est de la ville par l'armée israélienne en 1967. Elle est l'occasion pour certains extrémistes nationalistes d'organiser une "marche des drapeaux" dans la vieille ville, vécue comme un affront par les Palestiniens. Au dernier moment, son passage par les abords de l'esplanade a finalement été interdit, entraînant son annulation.

Le 10 mai, la situation a néanmoins conduit à de nouvelles violences, à nouveau jusqu'à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa. Plus de 300 Palestiniens ont été blessés, selon le Croissant-Rouge palestinien, ainsi qu'au moins neuf policiers israéliens, d'après la police. C'est dans les heures qui ont suivi que le Hamas a lancé ses premiers tirs de roquettes vers Israël.

Qui sont les groupes extrémistes juifs impliqués dans ces événements ?

Les menaces d'expulsions de Palestiniens à Cheikh Jarrah sont l'œuvre de "groupes d'entrepreneurs fondamentalistes religieux", explique Sylvaine Bulle, autrice de Sociologie de Jérusalem (La Découverte, 2020). Ils agissent au nom "d'une logique raciste (...) qui veut voir Jérusalem-Est redevenir juive, et les Palestiniens en disparaître", poursuit la sociologue. Cité par le New York Times*, Arieh King, maire adjoint de Jérusalem, ne cache ainsi pas sa volonté d'installer "des couches de juifs" en remplacement des Palestiniens à Jérusalem-Est, afin d'assurer le futur de la ville toute entière comme "capitale juive du peuple juif".

Début mai, Cheikh Jarrah a notamment reçu la visite du député Itamar Ben-Gvir, issu du courant kahaniste, des suprémacistes juifs d'extrême droite. Ces forces politiques "se sentent de plus en plus légitimes à intervenir dans le débat public", explique Sylvaine Bulle. La crise politique fait même de Ben-Gvir, unique représentant de son parti au Parlement, un possible futur membre du gouvernement.

Cet essor des extrémistes s'est aussi traduit par des actes de violence. Le 21 avril, à Jérusalem, des centaines de membres du groupe d'extrême droite Lehava ont ainsi défilé aux cris de "mort aux Arabes", s'en prenant aux passants palestiniens. Le 12 mai, à Bat Yam, c'est sous l'objectif d'une caméra qu'un homme arabe a été très violemment agressé par la foule lors d'un autre rassemblement d'extrême droite. Un phénomène d'une ampleur "tout à fait inédite", observe Stéphanie Latte Abdallah, chercheuse au CNRS. "Ce type d'actions étaient déjà menées en Cisjordanie, mais il est frappant que cela se passe à l'intérieur d'Israël et de façon aussi décomplexée. La droite et l'extrême droite, au pouvoir depuis des années, ont une responsabilité politique extrêmement forte."

En face, comment des Palestiniens se mobilisent-ils ?

La contestation ne s'est pas limitée à Cheikh Jarrah et à l'esplanade des Mosquées. Des rassemblements ont eu lieu en Cisjordanie, où au moins 24 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes depuis le 10 mai. Mais aussi en Israël, notamment dans les rares villes "mixtes", où vivent à la fois des Israéliens juifs et des Palestiniens citoyens d'Israël. A Lod, notamment, la colère a éclaté après la mort par balles d'un Palestinien d'Israël tué lors d'une confrontation avec des nationalistes juifs. Une synagogue et un centre religieux ont été incendiés, poussant Israël à décréter l'état d'urgence dans la ville.

L'Etat hébreu "n'a pas vu venir" cette colère des Palestiniens d'Israël, explique Sylvaine Bulle, qui le juge aveugle à leur ressenti face aux discriminations et au fait que, même dans les villes mixtes, les deux communautés vivent de manière ségréguée. "C'est une société dont les Israéliens juifs n'avaient pas mesuré le niveau de fracture, ni essayé de penser un minimum de réparation et une égalité de fait." Fin avril, l'ONG Human Rights Watch qualifiait d'"apartheid" le traitement par Israël des Palestiniens, y compris ceux ayant la citoyenneté israélienne.

Ces dernières semaines mettent aussi en lumière l'émergence d'un nouvel activisme palestinien, porté par la jeunesse, constate Stéphanie Latte Abdallah. Il témoigne à ses yeux de la "volonté d'une société civile de s'organiser par elle-même", sans compter sur le Hamas ou le Fatah, le parti au pouvoir en Cisjordanie. Le 18 mai, des Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et d'Israël ont ainsi participé simultanément à une grève générale.

Pourquoi le Hamas est-il intervenu ?

Le 10 mai au soir, le Hamas annonce avoir lancé plus de 100 roquettes depuis la bande de Gaza vers Israël. Les jours suivants, le mouvement islamiste lance à nouveau des centaines de roquettes en direction de Tel-Aviv et de plusieurs villes de l'Etat hébreu. Au 19 mai, 12 personnes ont été tuées côté israélien.

"Il était clair que s'il y avait une intervention d'Israël à la mosquée Al-Aqsa, le Hamas allait intervenir car Jérusalem est au cœur de son discours politique et religieux", explique Stéphanie Latte Abdallah. Le mouvement s'est toujours positionné comme le défenseur de la ville sainte et son chef, Ismaël Haniyeh, a fait de la mosquée le symbole de l'identité palestinienne. Si la réponse du Hamas était prévisible, son envergure a toutefois surpris. 

"Le Hamas a su reconstituer un arsenal militaire important, notamment avec l'aide de l'Iran et du Hezbollah."

Stéphanie Latte Abdallah, chercheuse au CNRS

à franceinfo

Pour l'organisation, "il s'agit d'une victoire dans le sens où elle a réussi à faire fermer l'aéroport Ben-Gourion et où nombre de ses roquettes ont réussi à échapper au Dôme de fer [le système antimissiles israélien]", analyse Amélie Férey, chercheuse au Centre de recherches internationales de Sciences Po. L'implication du Hamas arrive également deux semaines après l'annonce par le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, du report des premières élections organisées dans les Territoires palestiniens depuis quinze ans. "Le Hamas souhaitait s'investir dans ces élections. Avec cette intervention, il reprend son rôle politique plus traditionnel de premier représentant de la résistance à l'occupation, ce qui le place aussi comme interlocuteur majeur du gouvernement israélien", poursuit Stéphanie Latte Abdallah.

Comment Israël répond-il ?

En représailles, l'armée israélienne masse des blindés le long de la barrière de séparation avec la bande de Gaza après avoir affirmé puis démenti que des soldats y avaient pénétré. Trois jours plus tard, l'aviation israélienne pulvérise un immeuble de la ville de Gaza qui abritait notamment la chaîne d'information qatarie Al-Jazeera et l'agence de presse américaine Associated Press (AP). Selon l'armée, le bâtiment abritait "des entités appartenant au renseignement militaire" du Hamas. Le "métro" – des tunnels souterrains permettant au Hamas, d'après Israël, de faire circuler ses munitions – ainsi que des maisons de commandants du groupe palestinien sont visés.

Au 21 mai, le bilan s'élevait à au moins 232 Palestiniens morts lors de ces différents bombardements, dont 65 enfants, selon le ministère de la Santé palestinien. "L'armée israélienne dit ne pas viser les civils, mais en réalité ses frappes atteignent des habitations, des hôpitaux, des écoles..." reprend Stéphanie Latte Abdallah. Quant aux sommations mises en avant par l'armée israélienne, censées laisser du temps aux civils pour évacuer, "il ne s'agit pas forcément de protéger les populations civiles, mais plutôt de se couvrir vis-à-vis du droit international", explique Amélie Férey.

Avec son "Dôme de fer", l'armée israélienne assure par ailleurs avoir intercepté 90% des roquettes lancées vers le sol israélien. "Notre campagne contre les organisations terroristes continue à plein régime", a réagi le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, répétant qu'Israël ne faisait qu'appliquer son "droit naturel à l'autodéfense".

Benyamin Nétanyahou a-t-il un intérêt à ce conflit ?

Le regain de tensions arrive aussi dans un moment de crise politique en Israël. Benyamin Nétanyahou n'a pas réussi à former un gouvernement de coalition après les élections législatives du 23 mars (les quatrièmes en moins de deux ans) et le leader de l'opposition, Yaïr Lapid (centriste), a été chargé de cette tâche d'ici le 2 juin, rappelle La Croix (édition abonnés). Son objectif est de former une alliance hétéroclite alliant la gauche, le centre, la droite nationaliste, religieuse, et le Raam, un parti arabe israélien islamiste.

Mais les affrontements compliquent ces discussions, laissant à l'actuel Premier ministre l'espoir de pouvoir se représenter lors d'une cinquième élection, si les délais pour former une coalition étaient dépassés. Poursuivi par la justice, notamment pour "corruption", Benyamin Nétanyahou a tout intérêt à rester au pouvoir. "Pour lui, l'essentiel est de tenir quelques mois de plus. En attendant qu'un nouveau round électoral lui donne enfin la majorité dont il rêve pour pouvoir échapper à son procès", estime l'ancien ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi, dans Libération.

Je n'ai pas eu le temps de tout lire, pouvez-vous résumer ?

Des heurts ont éclaté le 7 mai dans le quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est, secteur illégalement annexé par Israël selon le droit international, entre les forces de sécurité israélienne et des manifestants qui se mobilisaient pacifiquement contre l'éviction de familles palestiniennes au profit de colons israéliens. Le soir, des violences ont également éclaté sur l'esplanade des Mosquées, lorsque des dizaines de milliers de fidèles musulmans se sont réunis pour le dernier vendredi du ramadan.

La police israélienne, qui gardait l'accès de ce lieu saint de l'islam, a pénétré à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa en utilisant des grenades assourdissantes. Ces événements ont entraîné des émeutes dans des villes "mixtes" où vivent des Israéliens juifs et palestiniens. En réponse à la politique d'Israël à Jérusalem, le Hamas a tiré des centaines de roquettes en direction de l'Etat hébreu. L'armée a répliqué en frappant des positions de l'organisation et en visant selon elle ses "capacités militaires"

Pour la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah, l'enjeu majeur derrière ces violences est la politique coloniale menée par Israël depuis des années. Par ailleurs, ce regain de tension a lieu alors qu'Israël traverse une crise politique et que le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, est sur la sellette. De son côté, le Hamas tente de profiter du conflit pour renforcer son image face aux autres partis palestiniens.

Un cessez-le-feu est finalement entré en vigueur vendredi. Au 21 mai, au moins 232 Palestiniens sont morts, d'après le ministère de la Santé palestinien, ainsi que 12 Israéliens, selon Israël.

* Les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.

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