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Attaque iranienne contre des bases américaines en Irak : "On est dans une sorte de riposte graduée"

Le chercheur Thierry Coville, spécialiste de l'Iran, tire les premiers enseignements des frappes iraniennes en représailles à l'assassinat du général Qassem Soleimani.

Article rédigé par Benoît Zagdoun - propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une photo censée montrer les frappes de missiles iraniens sur des bases américaines en Irak, diffusée par la télévision d'Etat de la République islamique d'Iran, le 8 janvier 2020. (IRIB / AFP)

"Une gifle en pleine face". C'est ainsi que l'ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême de la République islamique d'Iran, a qualifié les tirs de missiles iraniens qui ont frappé des bases en Irak abritant des militaires américains, en pleine nuit mercredi 8 janvier. Le numéro un du régime iranien avait appelé à venger la mort du général Qassem Soleimani, homme fort de l'Iran en Irak, dans une frappe de drone américain près de l'aéroport de Bagdad, vendredi.

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Ces bombardements marquent-ils la fin d'un cycle de violences ou au contraire le début d'une nouvelle escalade ? Pour franceinfo, Thierry Coville, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques, spécialiste de l'Iran, tire les premières conclusions de ce nouvel épisode de tensions.

Franceinfo : Faut-il s'attendre à d'autres frappes iraniennes en représailles à la mort du général Soleimani ? 

Thierry Coville : Dans l'opinion publique iranienne, beaucoup de gens crient vengeance. Les autorités ont organisé énormément de cérémonies autour de l'enterrement du général Soleimani et la population a répondu massivement. Y compris parmi ceux très nombreux qui critiquent le régime. C'est le nationalisme iranien qui s'est exprimé et l'Iran joue sa crédibilité dans la région. Pour autant, je pense qu'il y a du côté des Iraniens une volonté de ne pas tomber dans l'escalade.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a dit sur Twitter : "On a donné notre réponse, c'est fini pour nous."

Et avant les frappes, le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, Ali Shamkhani, avait déclaré : "On a treize scénarios. On a choisi le plus faible." [Voici sa déclaration exacte : "Les Américains doivent savoir que pour l'heure treize scénarios de vengeance ont été débattus au sein du conseil et même si le consensus se forme autour du scénario le plus faible, sa mise en œuvre pourra être un cauchemar historique pour tous les Américains."]

Les Iraniens avaient toujours dit que leurs missiles avaient des portées qui leur permettaient de toucher toutes les bases américaines dans la région. Ils viennent de le prouver.

Thierry Coville

à franceinfo

Selon la BBC Persian, il n'y a cependant pas eu de pertes américaines, car il y a eu un avertissement donné aux soldats américains avant les frappes pour qu'ils quittent leurs bases. Cet avertissement, s'il a bien eu lieu, est forcément venu d'Iran, parce que ce sont les Iraniens qui ont procédé aux frappes. Si les Iraniens ont envoyé cet avertissement, cela signifie qu'ils ne veulent pas la guerre. C'est un signal donné. On est dans une sorte de riposte graduée où ils veulent marquer le coup mais ils ne veulent pas complètement entrer dans une logique de guerre.

L'Iran ne peut de toute façon pas se permettre une guerre avec les Etats-Unis. On a pas mal de gens qui nous décrivent un régime suicidaire, irrationnel. Mais même les plus durs en Iran savent très bien qu'ils ne font pas le poids et qu'ils n'ont aucun intérêt à entrer dans un conflit ouvert avec les Etats-Unis.

Va-t-il y avoir une riposte américaine ? 

Les Américains ont quand même été surpris par ces frappes. Aucun des missiles n'a été intercepté. Mais si Donald Trump a publié ce message sur Twitter en disant "Tout va bien", c'est qu'il n'y a pas eu de pertes américaines. C'est un point-clé. Son tweet laisse aussi penser qu'il n'est pas dans une logique de vouloir répondre par d'autres bombardements, notamment en Iran, ce qui, à mon avis, serait le geste à ne pas faire.

>> Comment la relation entre les Etats-Unis et l'Iran s'est dégradée sous la présidence de Donald Trump

Tout dépend maintenant de la réponse de Donald Trump. Pour lui, il y a énormément de paramètres en jeu : sa campagne de réélection, sa volonté de toujours avoir l'air le plus fort, de ne plus faire parler de la procédure de destitution, les durs autour de lui du parti républicain qui le poussent à ne pas avoir l'air faible...

Quand on a quelqu'un comme Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, c'est quand même assez difficile de prévoir ce qu'il va faire.

Thierry Coville

à franceinfo

Il faut reconnaître les difficultés qu'il pose. Il faut donc être très prudent. Mais je ne pense pas que Donald Trump veuille la guerre. Il a montré sa force en assassinant le général Soleimani.

Comment la désescalade peut-elle être amorcée ? 

S'il y avait des pertes américaines, on entrerait dans une logique de "Tu me frappes, je te frappe". Le casus belli serait des frappes américaines en Iran. A ce moment-là, les Iraniens seraient obligés de répondre, viseraient les bases militaires américaines dans la région et on entrerait dans un cycle infernal. Mais avec ce qui vient de se passer, on a l'impression que chacun a répondu à l'autre et que personne ne veut la guerre. S'il n'y a effectivement pas de pertes américaines, cela donne la possibilité aux deux pays de calmer le jeu.

On passe par des montagnes émotionnelles avec Donald Trump sur le dossier iranien. Après l'assassinat du général Soleimani, j'étais très pessimiste sur les possibilités de négociations entre l'Iran et les Etats-Unis. Mais on ne peut pas rester indéfiniment dans cette situation. Hier, le secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, a d'ailleurs donné l'ordre à ses diplomates de ne plus rencontrer des opposants de la République islamique d'Iran pour ne pas perturber les chances d'une éventuelle négociation avec l'Iran. Tout espoir n'est donc pas perdu.

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