Cet article date de plus de huit ans.

L'article à lire pour comprendre pourquoi les Grecs sont à nouveau appelés à voter

Le Premier ministre, Alexis Tsipras, de la gauche radicale Syriza remet son mandat en jeu. De nouvelles élections législatives sont organisées dimanche 20 septembre, huit mois après celles de janvier et deux mois après le référendum sur le plan d'aide des créanciers.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Capture d'écran avant un débat télévisé de la campagne législative opposant le Premier ministre grec, Alexis Tsipras (Syriza, gauche radicale), à Evangélos Meïmarakis (Nouvelle Démocratie, droite), le 14 septembre 2015. (MENELAOS MYRILLAS / SOOC / AFP)

Certes, le mot démocratie (de "démos", peuple, et "kratos", pouvoir) puise ses racines dans la langue de Périclès, mais pourquoi le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, convoque-t-il de nouvelles législatives dimanche 20 septembre, soit huit mois à peine après celles de janvier, remportées par son parti de gauche radicale, Syriza ? A quoi rime ce nouveau scrutin dans un pays pieds et poings liés par ses créanciers ? Francetv info vous explique pourquoi et dans quelles conditions les Grecs retournent aux urnes, pour la troisième fois en 2015.

Elles découlent de la crise de juillet, ces nouvelles législatives ?

Oui. En Grèce (comme dans d'autres pays européens), le Premier ministre est le chef du parti qui a gagné les législatives. A l'issue des élections du 25 janvier, remportées par son parti de gauche radicale, Syriza, Alexis Tsipras a logiquement pris la tête du gouvernement. Allié au parti Anel (souverainiste, de droite), il a réuni une majorité autour de deux idées-forces : alléger l'austérité imposée par les créanciers, et renégocier la dette (pour parler clair : obtenir un effacement partiel de l'ardoise).

Le dimanche 5 juillet, les Grecs l'ont soutenu une nouvelle fois en disant non à 60%, par référendum, aux conditions draconiennes du troisième "plan d'aide". Un vote pour rien : comme ses prédécesseurs avant lui, Alexis Tsipras a dû manger son chapeau et se plier aux exigences des créanciers (Banque centrale européenne, Union européenne, Fonds monétaire international) dans un affrontement qui a culminé au début de l'été. Que pouvait-il faire ? Il n'a pas voulu prendre le risque d'un "Grexit", une sortie de la Grèce de la zone euro, dont les conséquences pouvaient être dramatiques. Sans argent frais, le pays était étranglé financièrement, la BCE ne lui fournissant plus les liquidités qu'au compte-gouttes. Les retraits d'argent en espèces ont alors été plafonnés (à 60 euros par jour au distributeur), semant l'inquiétude chez les retraités, comme le montre le reportage de France 2.  

Donc, si je comprends bien, Alexis Tsipras n'a plus de majorité ?

Exactement. Cette majorité a fondu le 13 août lors du vote sur le troisième mémorandum. En échange du prêt de 85 milliards d'euros sur trois ans, les créanciers ont exigé une forte hausse de la TVA, un large programme de privatisations (aéroports, électricité, gaz…) et une série de réformes si dures qu'elles ont été baptisées "catalogue des horreurs" par le magazine allemand Der Spiegel, rapporte Le Monde. Mise sous tutelle, Athènes n'a plus le droit d'engager la moindre dépense budgétaire sans l'accord des prêteurs. Rentrés précipitamment de vacances, les députés sont contraints de voter d'un bloc un texte de 997 pages qu'ils n'ont pas eu le temps de lire. Olivier Drot, qui anime le site Okeanews, spécialisé sur la Grèce, montre l'épaisseur du document dans un de ses tweets :

Une couleuvre de trop à avaler. Furieux de ce qui leur apparaît comme une reddition, 25 députés de Syriza, à commencer par la présidente de l'Assemblée nationale, Zoé Konstantopoulou, claquent la porte du parti pour fonder un parti dissident, Unité populaire.

Devenu minoritaire, Alexis Tsipras démissionne pour provoquer de nouvelles élections. Car, "selon les règles politiques grecques, explique Le Mondeun gouvernement minoritaire doit en effet toujours s'assurer au moins 120 voix au sein de sa coalition. Or, seuls 118 députés de la Syriza et d'Anel, la formation de droite souverainiste associée à la Syriza dans la coalition gouvernementale, ont voté en faveur du plan."

La Grèce va mieux avec ce troisième mémorandum ?

Pas vraiment. Les 85 milliards d'euros lui maintiennent juste la tête hors de l'eau. Ils permettront à Athènes, détaille L'Obs, "de payer ses arriérés, de faire face à ses échéances [et] de recapitaliser les banques". Bref, ils serviront à rembourser une partie de la dette (qui s'élève à 320 milliards de dollars, soit 170% du PIB) et à donner un peu d'air aux banques quasi-asphyxiées cet été.

Et pour le reste ? Le document prévoit "un an et demi de récession", souligne La Tribune alors que tous les maux du pays persistent. The Guardian (en anglais) rappelle les chiffres-clés : une croissance en recul de 25% depuis 2010, 26% de chômeurs (50% chez les moins de 25 ans) et des salaires diminués de 38%. Pour couronner le tout, un tiers des Grecs vivent en dessous du seuil de pauvreté et 18% n'ont pas de quoi se nourrir convenablement. Une reprise supposerait des investissements massifs dans le pays, qui font cruellement défaut.

Et les Grecs sont confrontés à quel choix pour ces législatives ?

Quelque 19 partis se présentent aux élections du 20 septembre. Deux d'entre eux sont au coude-à-coude (autour de 30%) dans les sondages : le parti de gauche Syriza, mené par Alexis Tsipras, et le parti de droite Nouvelle Démocratie, conduit par Evangélos Meïmarakis.

Qui d'autre peut obtenir des députés ? A gauche, l'Unité populaire formée par les 25 députés dissidents de Syriza, le KKE (parti communiste), et le Pasok (parti socialiste dont l'électorat a fondu avec l'adoption des différents plans de rigueur). Au centre : To Potami, un parti social-démocrate. A droite : les souverainistes d'Anel. A l'extrême droite : le parti néonazi Aube dorée, qui compte prospérer sur la crise des migrants (quelque 124 000 réfugiés sont arrivés en Grèce entre le 1er janvier et le 31 juillet 2015). Les sondages lui accordent entre 4,9 et 7% des intentions de vote, malgré les poursuites judiciaires lancées depuis deux ans contre ses dirigeants pour association de malfaiteurs.

Les électeurs vont revoter pour Tsipras ?

Peut-être bien. Alexis Tsipras s'est d'ailleurs dit confiant dans sa victoire, mardi 15 septembre, lors d'une interview accordée à Euronews. Un brin présomptueux ? "Syriza sera sûrement le premier parti politique dans notre pays et je crois que la majorité absolue est un objectif totalement atteignable", a déclaré le Premier ministre sortant à la chaîne d'information européenne.

Pourquoi cette aura persistante, alors qu'il n'a pu tenir son programme ? Parce que, à 41 ans, le benjamin de la classe politique grecque est considéré comme plus apte à gouverner que son sexagénaire rival conservateur Evangélos Meïmarakis, selon les sondages. Egalement parce que les Grecs lui savent gré de leur avoir épargné une sortie de l'euro en signant le plan d'aide, même au mépris de ses promesses.

Et, surtout, parce que le chef de Syriza peut se prévaloir d'une intégrité qui tranche avec la réputation de la classe politique en Grèce. Dans sa vie personnelle, il reste fidèle à ses credos. Il vit en couple avec une ancienne camarade de lycée, mère de ses deux fils, sans être passé par la case mariage, prête serment sur sa conscience plutôt que sur la "sainte trinité" dans un pays orthodoxe resté très religieux, et ne porte pas de cravate. Mais il a déçu une partie des électeurs de janvier. Et notamment les plus jeunes, cette "génération perdue" promise au chômage ou, pour les plus diplômés, à l'exil. Pas sûr qu'ils mettront à nouveau le bulletin Syriza dans l'urne.

Et qui représente la droite ?

Le dirigeant de Nouvelle Démocratie, Evangelos Meïmarakis, qui préfère le prénom Vangelis, est peu connu hors des frontières grecques. A 61 ans, c'est pourtant un vieux routier de la politique. Cet apparatchik grisonnant a succédé à la tête du parti de droite à l'ancien Premier ministre Antonis Samaras.

"Vraie caricature d'une classe politique grecque" à l'image clanique et clientéliste, explique Géopolis, "il appartient à une famille d'hommes politiques liée à la droite grecque. Son père et son oncle ont été députés." Après des études de droit et de sciences politiques, cet avocat, qui a commencé comme leader des jeunes de son parti, a gravi avec succès tous les échelons de la direction de la Nouvelle Démocratie.

Député d'Athènes depuis 1989, il a émergé dans cette campagne électorale en recentrant le discours jusque-là très droitier de son parti. "Grande surprise de cette élection", selon l'hebdomadaire britannique The Observer, il se dit même prêt à tendre la main à Tsipras pour une grande coalition d'union nationale si son parti l'emporte.

Evangélos Meïmarakis, le dirigeant du parti de droite Nouvelle Démocratie, lors d'un meeting à Athènes, le 1er septembre 2015. (NICOLAS KOUTSOKOSTAS / CITIZENSIDE.COM / AFP)

A l'arrivée, qui va s'allier avec qui ?

Il n'y aura pas forcément de coalition puisque le parti arrivé en tête des élections se voit octroyer un bonus de 50 sièges. Avec 36,4% des suffrages en janvier, Syriza avait ainsi obtenu 149 sièges sur 300, ratant de 2 sièges à peine la majorité absolue. Si Syriza à gauche ou Nouvelle Démocratie à droite obtiennent cette majorité absolue, ils peuvent gouverner seuls.

Dans le cas contraire, le parti arrivé en tête devra conclure des alliances pour obtenir une majorité parlementaire. Deux formations peuvent se rapprocher de Syriza comme de Nouvelle Démocratie. Il s'agit de To Potami ("la Rivière"), 17 députés actuellement, parti de centre gauche créé en 2014 par un ancien journaliste de télévision, Stavros Theodorakis, et du Pasok (13 députés), dirigé depuis quelques mois par une femme, Fofi Gennimata.

Pour l'instant, Alexis Tsipras a fermé la porte à une alliance avec Nouvelle Démocratie. Mais le chef du parti de droite prône, lui, un gouvernement d'union nationale associant tous les partis ayant voté en faveur du plan, y compris Syriza.

Quelles seront les priorités du prochain gouvernement ?

Le prochain gouvernement aura le même agenda, celui des réformes prévues par le mémorandum. Sentiment général de l'Eurogroupe résumé samedi 12 septembre à Luxembourg par le ministre français des Finances, Michel Sapin : "Il n'y a pas de raison particulière d'être inquiet aujourd'hui, (puisque) tous les partis (grecs) susceptibles d'être au pouvoir d'une manière ou d'une autre ont voté le plan."

Le gagnant devra donc suivre à la lettre le plan dicté par les créanciers, à commencer par la suppression des aides fiscales aux agriculteurs et la poursuite des privatisations, notamment celle des ports et des aéroports régionaux, détaille Le Monde. En échange de quoi, il tentera encore et toujours d'obtenir une suppression d'une partie de la dette prônée par la plupart des économistes.

J'ai eu la flemme de lire cet énième article sur la Grèce. Un résumé ?

Le bras de fer entre le gouvernement dirigé par le parti de gauche radicale Syriza et les créanciers de la Grèce (UE, BCE, FMI) s'est conclu par une victoire totale de ces derniers. Malgré un référendum au cours duquel les Grecs ont dit non aux mesures d'austérité, le 5 juillet, le Premier ministre a dû faire voter toutes les mesures demandées par les prêteurs (hausse de la TVA, large programme de privatisations, etc.). Sa majorité n'y a pas résisté. Alexis Tsipras demande donc un nouveau mandat à ses électeurs.

Syriza à gauche et Nouvelle Démocratie à droite sont au coude-à-coude dans les sondages. Mais, à l'arrivée, ils ont la même feuille de route : l'application stricte des réformes exigées contre les 85 milliards d'euros alloués, pour l'essentiel, au service de la dette et à la recapitalisation des banques. Même si le vote est obligatoire et la politique, une passion nationale, plus d'un Grec, fatigué et perdu, préférera peut-être aller à la pêche au poulpe ce dimanche.

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