Union européenne : pourquoi la Hongrie risque de bloquer l'ouverture des discussions d'adhésion avec l'Ukraine

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, devant la cathédrale Métropolitaine de Buenos Aires (Argentine), quelques minutes avant l'inauguration du nouveau président, Javier Milei, le 10 décembre 2023. (JUAN MABROMATA / AFP)
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban espère un "changement de direction" dans la politique européenne vis-à-vis de Kiev. Pour cela, il mise sur une stratégie du blocage qui a fait ses preuves face à Bruxelles.

Viktor Orban peut-il faire tout capoter ? C'est en tout cas la crainte de l'Ukraine, alors que les chefs d'Etat et de gouvernements de l'Union européenne doivent décider, jeudi 14 décembre, d'ouvrir ou non des négociations d'adhésion avec Kiev lors d'un Conseil européen à Bruxelles. Début novembre, la Commission avait recommandé l'adoption d'une telle décision, satisfaite des réformes menées par le gouvernement ukrainien. Un mois plus tard, les Vingt-Sept ne sont toujours pas parvenus à un consensus. La Hongrie et son Premier ministre, Viktor Orban, refusent pour l'instant l'ouverture des négociations, jugeant que le pays en guerre contre la Russie est "à des années lumières" d'une adhésion, rapporte l'agence Associated Press.

Sans Budapest, un accord est impossible, le sujet requérant l'unanimité des 27 pays membres de l'UE. La perspective a de quoi donner des sueurs froides à Kiev. "Je ne peux pas imaginer (...) les conséquences dévastatrices si le Conseil européen échouait à prendre une décision", a ainsi lancé le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba, avant une réunion de ses homologues européens à Bruxelles. Le pays, enlisé dans une contre-offensive poussive contre Moscou, attends aussi le déblocage d'une nouvelle enveloppe de 50 milliards d'euros, ainsi qu'une aide militaire de 5 milliards d'euros. Mais là encore, la Hongrie bloque, au risque de mettre à mal l'unité européenne face à la Russie.

"Si l'UE n'ouvre pas les discussions avec Kiev, cela sera un très mauvais signal envoyé l'Ukraine, dans la guerre avec la Russie."

Andreas Bock, chercheur au Centre européen des relations internationales, spécialiste de la Hongrie

à franceinfo

Le refus de Budapest n'est pas une surprise pour les Européens tant le Premier ministre populiste hongrois, proche de Vladimir Poutine, est un habitué de cette stratégie. En 2022, la Hongrie avait laissé trainer des discussions sur une taxe internationale minimum sur les grandes entreprises, avant d'obtenir un feu vert à l'octroi des fonds du plan de relance post-Covid-19, rappelle Contexte. Face à une situation économique difficile en Hongrie, l'un des sujets qui obnubile Viktor Orban est une enveloppe de près de 21 milliards d'euros, selon les chiffres de la Commission européenne, de subventions. Ces fonds sont retenus par l'UE dans le cadre de procédures d'infractions sur l'Etat de droit, mais aussi la protection des personnes LGBT+.

De nouveaux alliés à l'extrême droite ?

Preuve de la réussite de la stratégie, la Commission a débloqué 10 milliards d'euros pour la Hongrie, mercredi, à la veille du Conseil européen. La décision était subordonnée à la mise en place de réformes en faveur de l'Etat de droit par le gouvernement hongrois, que Bruxelles juge "satisfaisante". Et elle fait hurler les activistes prodémocraties, alors que le Parlement hongrois a examiné cette semaine une loi visant à créer "un bureau de protection de la souveraineté", décriée comme un outil pour "faire taire toutes les critiques", rapporte The Guardian. Le déblocage des fonds ne pourrait cependant pas suffire pour dégoupiller le "non" hongrois.

"Cette fois, ce n'est pas vraiment à propos de l'argent, Viktor Orban souhaite une nouvelle politique européenne vis-à-vis de l'Ukraine."

Andreas Bock, chercheur au Centre européen des relations internationales, spécialiste de la Hongrie

à franceinfo

"Notre position vis-à-vis de l'Ukraine (...), et de nombreux autres problèmes, ne changera pas en fonction de ce qu'il se passe avec les fonds", a ainsi confié le porte-parole du gouvernement hongrois, Zoltan Kovacs, à Politico.

Face au blocage américain vis-à-vis d'une nouvelle tranche d'aide à Kiev, "le Premier ministre hongrois pense qu'il peut mobiliser une nouvelle coalition, en Europe, de pays qui veulent arrêter d'aider l'Ukraine", ajoute Andreas Bock. Viktor Orban "table sur un sentiment de fatigue vis-à-vis de la guerre, avec l'échec de la contre-offensive ukrainienne", mais aussi avec la poussée des partis d'extrême droite en Europe. Les victoires du populiste Geert Wielders aux élections néerlandaises de novembre et du prorusse Robert Fico en Slovaquie en octobre "lui laissent espérer un changement de direction", affirme Andreas Bock.

Un sentiment antieuropéen qui lui profite

Face à une baisse de popularité dans les sondages, la mise en scène des désaccords sur l'Ukraine avec le reste de l'Union européenne est aussi une façon pour Viktor Orban d'asseoir son pouvoir en Hongrie. Le chef du gouvernement accuse régulièrement "l'élite libérale" et "les bureaucrates" de l'UE, comme il les nommait dans une interview au Point, d'imposer des règles aux Hongrois. Son parti, le Fidesz, a lancé en novembre une consultation visant la politique européenne, rapporte Le Monde. Le questionnaire, dont l'une des questions est la suivante, "Bruxelles veut établir des ghettos de migrants en Hongrie. Qu'en pensez-vous ?", est accompagné d'une vaste campagne d'affichage mettant en scène Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, accompagnée des mots "Ne dansons pas quand ils sifflent".

Les vingt-six autres pays de l'UE devront-ils se résoudre à ce que les discussions n'aboutissent pas lors du Conseil européen de jeudi ? Plusieurs Etats ont en tout cas tenté de faire entendre raison au Premier ministre hongrois, dont Emmanuel Macron, qui l'a reçu lors d'un diner de travail jeudi 7 décembre. Si rien n'indique que Viktor Orban a changé d'avis, la rencontre a permis de "faciliter les discussions lors du Conseil européen" en "comprenant les demandes" du Premier ministre hongrois, détaillait l'analyste Mujtaba Rahman sur le réseau social X. Officiellement, la ligne hongroise n'a pas évolué depuis, mais les diplomates européens se préparent à des discussions qui pourraient durer toute la nuit.

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