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La guerre en Ukraine peut-elle accélérer la transition énergétique en Europe ?

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Près de 40% du gaz importé de l'Union européenne vient de Russie. Jusqu'à quand ? (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Alors que l'UE est dépendante à 44% du gaz russe, la crise sera-t-elle l'occasion de revoir l'avenir énergétique des pays européens et d'investir dans les énergies renouvelables pour les pays de l'UE dépendants aux gaz russe ? Des chercheurs, interrogés par franceinfo, veulent y croire.

"Nous mettrons fin à notre dépendance au gaz et au pétrole russe aussi vite que possible." La déclaration du chancelier allemand devant le Bundestag, mercredi 23 mars, en réaction à l'invasion russe de l'Ukraine, était forte. Mais cette transformation "ne pourra pas se faire du jour au lendemain" et un arrêt des importations pourrait causer "une récession", a immédiatement prévenu Olaf Scholz, cristallisant en une phrase le défi auquel font face les pays européens. Pour contrer les effets de la guerre sur les prix de son énergie, comparables "au choc pétrolier de 1973" selon le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, l'Europe doit réagir rapidement pour se passer des hydrocarbures russes. Une urgence qui pourrait accélérer la transition énergétique. Explications.

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Si la question de la dépendance aux hydrocarbures russes se fait si pressante, c'est que Moscou est de loin le premier fournisseur de gaz de l'Union européenne, à hauteur de 44%, mais aussi de pétrole, à 25%. Derrière ses chiffres se cachent d'importantes disparités : "En Allemagne, 60% du gaz importé est russe, en Hongrie c'est 70%, alors qu'en France, ce chiffre n'est que de 17%", détaille Nicolas Goldberg, expert en énergies chez Colombus Consulting. La situation est similaire pour le pétrole, les pays de l'est de l'Europe y étant beaucoup plus dépendants que ceux de l'ouest.

Quel serait l'impact d'une interdiction d'importation des hydrocarbures russes ? "Pour le pétrole, c'est moins problématique car il est possible de s'approvisionner ailleurs", souligne Thomas Pellerin-Carlin, chercheur à l'Institut Delors. L'or noir étant transporté par baril, il est plus aisé de changer de fournisseur ou de réorienter la production vers un autre pays. "Nous avons des raffineries en Arabie saoudite, et au lieu de prendre du pétrole saoudien et de l'envoyer en Asie, on l'enverra en France", expliquait ainsi Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, sur RTL.

Difficile de trouver une alternative au gaz russe

La question du gaz est beaucoup plus épineuse pour l'UE. D'abord parce que "les réseaux sont physiques" et "qu'il est plus compliqué de se fournir en gaz ailleurs qu'en Russie", relève Nicolas Goldberg. Autre problème : "les importations de gaz naturel liquéfié", seule alternative aux gazoducs, "ont déjà largement été augmentées depuis septembre 2021. Nous n'avons pas beaucoup de marge supplémentaire", estime Thomas Pellerin-Carlin.

Surtout, "certains pays de l'UE sont particulièrement dépendants du gaz pour leur industrie, leur production d'électricité ou pour se chauffer", rappelle Thomas Pellerin-Carlin. Sur ce point, "la Finlande, même si la majorité de son gaz est russe, est beaucoup moins dépendante de cette énergie fossile que la France", souligne le chercheur, puisque "comme la Suède, elle ne possède qu'un petit réseau de gaz et a largement rénové ses habitations depuis les années 1990".

La France, elle, n'a "pas tiré les conséquences de l'invasion russe de la Crimée en 2014", le gaz "étant la deuxième énergie finale [c'est-à-dire la quantité d'énergie consommée, en opposition à l'énergie primaire, qui correspond à l'énergie présente dans la nature] en termes d'importance, après le pétrole", ajoute le chercheur de l'Institut Delors.

Un pas vers davantage de sobriété ?

Même sans interdiction des importations, la forte hausse des prix du gaz, qui influe sur le prix de l'électricité, risque d'avoir un effet délétère sur l'économie de l'UE. Face à cela, deux solutions existent : la première "serait de se fournir ailleurs", relève Nicolas Goldberg, "mais la Norvège et l'Algérie sont déjà au maximum de leurs capacités de production". Les Etats-Unis ont bien promis à l'UE d'augmenter ses livraisons de gaz liquéfié, mais le montant évoqué ne correspond qu'à "10% des importations russes", affirme Politico (en anglais).

La deuxième option est "d'adopter des modes de consommation plus sobres", explique l'économiste Carine Sebi, spécialiste du secteur de l'énergie. "Il faut déclarer une mobilisation générale de la société pour économiser le gaz", abonde Thomas Pellerin-Carlin, qui suggère de s'inspirer des mesures d'économie mises en place après le choc pétrolier de 1973, comme "la fin de l'éclairage dans les vitrines la nuit" ou "baisser le chauffage des habitations".

Des renouvelables à développer 

Mais réorienter le système énergétique pour se passer du gaz russe prendra du temps, un tempo difficilement compatible avec l'urgence de la crise en Ukraine. "Regardez l'exemple des Etats-Unis, intime Carine Sebi. Le pays a mis des décennies après les premiers chocs pétroliers pour trouver une solution à leur problème d'indépendance énergétique. Le développement des hydrocarbures non conventionnels, notamment le gaz et le pétrole de schiste, n'a commencé qu'à partir des années 2000." 

Les perspectives de développement de gaz et pétrole de schiste, interdit en France, étant limitées en Europe, il faudra trouver d'autres sources d'énergie. Ailleurs dans le monde, certains pays se tournent vers le charbon pour contrer les conséquences de la crise, explique Le Monde. Mais dans l'UE, la crise du gaz russe pourrait accélérer la transition énergétique. Dans un plan expliquant comment l'Europe pouvait se passer du gaz russe, l'Agence internationale de l'énergie suggérait d'ailleurs aux dirigeants européens "d'accélérer le déploiement des installations solaires et éoliennes".

Les pays européens n'ont pas le choix, selon Nicolas Goldberg : "de gré ou de force, nous allons devoir faire des économies d'énergie et développer massivement les énergies renouvelables pour être indépendants de la Russie". La question relève du bon sens, pour Thomas Pellerin-Carlin, qui estime qu'accélérer la transition énergétique est "fondamental pour l'économie". 

"Il est plus logique de rénover les maisons plutôt que de financer les achats de gaz pendant 5 ans. Tant qu'on dépend du gaz, on dépend de plein de choses que l'on ne contrôle pas."

Thomas Pellerin-Carlin, chercheur à l'Institut Delors

à franceinfo

La crise comme électrochoc

L'Europe a-t-elle les moyens d'aller plus vite, alors que certains pays, comme la France, sont en retard sur ses objectifs climatiques ? "Nous avons toutes les feuilles de route à notre disposition pour mettre en œuvre la transition énergétique", insiste Carine Sebi. Les Etats membres de l'UE pourront notamment s'appuyer sur le paquet climat, nommé Pacte vert, qui vise 55% de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. La chercheuse "a bon espoir" que la crise agisse comme un électrochoc, alors que certains Etats demandent une mise en pause des objectifs pendant la durée de la guerre.

Certains pays ont déjà annoncé vouloir accélérer le calendrier de leur transition. C'est le cas de l'Allemagne, rapporte Euronews (en anglais), dont le gouvernement veut accélérer le passage d'une loi sur l'énergie et qui vise 80% de renouvelables dans le mix électrique d'ici à 2028. Un défi conséquent, alors que la coalition au pouvoir se prépare à rouvrir des centrales à charbon au cas où le gaz viendrait à manquer.

L'accélération de la transition dépendra surtout de la volonté politique des Vingt-Sept. "J'espère que le plan présenté par l'UE qui vise à se passer du gaz russe d'ici 2027 sera appliqué", souffle Nicolas Goldberg, alors même que l'exécutif européen, sous la pression de l'Allemagne, avait choisi de qualifier le gaz "d'énergie de transition" il y a quelques mois.

Thomas Pellerin-Carlin est plus méfiant : "La direction donnée est positive, mais c'est beaucoup trop long. Il faut faire 10 fois plus que ce que nous faisons actuellement." Une réalité difficile à accepter pour les gouvernements européens, alors que les prix de l'énergie flambent déjà.

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