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Guerre en Ukraine : on vous explique pourquoi les pays membres de l'UE se divisent sur l'octroi du statut de candidat à l'adhésion

Les Vingt-Sept doivent décider lors d'un Conseil européen s'ils permettent ou non à Kiev d'engager le long processus d'adhésion. Mais certains s'inquiètent des conséquences que cela pourrait avoir sur l'Union européenne.

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev (Ukraine), le 11 juin 2022. (SERGEI SUPINSKY / AFP)

Une étape hautement symbolique. Le Conseil européen, qui réunit tous les chefs d'Etat de l'Union européenne, pourrait se prononcer les 23 et 24 juin en faveur de l'octroi du statut de pays candidat à l'Ukraine. Première étape indispensable pour espérer rejoindre un jour l'UE, ce statut permet d'ouvrir officiellement les négociations sur une adhésion. Il ne s'agit que du tout début du processus – qui peut prendre plusieurs dizaines d'années. Cet "engagement juridique" est tout de même réclamé par Kiev, qui a fait part de sa volonté d'intégrer l'Union européenne "sans délai" après le début de l'invasion russe.

Lors de leur visite commune à Kiev, le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz, le chef du gouvernement italien Mario Draghi et le président roumain Klaus Iohannis ont annoncé être favorables à l'octroi du statut de candidat officiel à l'Ukraine. Et le lendemain, vendredi 17 juin, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s'est aussi prononcée en faveur d'une telle décision. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a réagi sur Twitter en se disant "reconnaissant envers Ursula von der Leyen" et en saluant "une décision historique".

Un signal à envoyer en plein conflit

Les chefs d'Etats, qui ont le dernier mot sur le sujet, suivront-ils ces recommandations ? Officiellement, les discussions sont en cours, mais en coulisses, les dirigeants des Vingt-Sept se montrent divisés sur la question. La Pologne, voisine de l'Ukraine et inquiète des agissements de la Russie, s'est notamment fait le porte-voix des aspirations ukrainiennes. Une décision européenne favorable "est d’une extrême importance, avant tout psychologique et politique”, a expliqué le président polonais Andrzej Duda, cité par L'Obs, lors d'une intervention devant le Parlement ukrainien, le 22 mai.

Les partisans d'un "oui" à l'Ukraine justifient leur position par la portée hautement symbolique de la décision. "L'argument de ces pays est qu'il faut donner une perspective européenne à l'Ukraine", explique Georgina Wright, la directrice du programme Europe de l'Institut Montaigne, un think-tank parisien.

"Les pro-Ukraine estiment que la guerre n'est pas seulement ukrainienne, mais européenne, et que l'on a un devoir de répondre à l'Ukraine."

Georgina Wright, spécialiste de l'Europe

à franceinfo

Une ligne défendue par Kiev, notamment par le chef de cabinet du président Volodymyr Zelensky, qui arguait auprès de Politico (en anglais) que "les soldats ukrainiens" se battaient "pour défendre les valeurs européennes".

Une frilosité à poursuivre l'élargissement

L'octroi du statut de candidat permettrait également à l'UE "d'aller plus loin", après "les six paquets de sanctions décidés par les Européens contre la Russie", relève Susi Dennison, analyste au Conseil européen des relations étrangères, un think-tank londonien. Une façon pour l'UE "d'afficher son soutien à l'Ukraine, alors qu'elle ne peut probablement pas faire beaucoup plus en termes de livraisons d'armes ou de sanctions". Malgré cette volonté affichée, la Pologne et ses alliés doivent faire face à un scepticisme de la part d'autres pays membres, notamment les pays scandinaves, l'Espagne et les Pays-Bas.

Plusieurs raisons expliquent cette frilosité. Le Danemark craint notamment pour "le respect de l'Etat de droit en Ukraine" car "le pays n'a pas implémenté assez de réformes, notamment en matière de lutte contre la corruption", relève Susi Dennison. En signant un accord d'association en 2014, l'Ukraine s'est toutefois engagée à réformer ses institutions et son économie, pour les faire correspondre aux standards de l'Union européenne.

Surtout, plusieurs pays sont préoccupés par "la capacité de l'UE d'absorber de nouveaux pays, alors qu'il est déjà compliqué de prendre des décisions à 27", analyse Georgina Wright.

"La France défend notamment une réforme du fonctionnement de l'UE et du processus d'adhésion, avant tout élargissement."

Georgina Wright, spécialiste de l'Europe

à franceinfo

En 2019, Emmanuel Macron s'était d'ailleurs opposé à l'entrée de la Macédoine du Nord et de l'Albanie dans l'union, pour les mêmes raisons.

Une promesse d'engagement de l'UE

Dans les couloirs des institutions européennes, les diplomates s'écharpent justement sur ce problème, considéré comme l'un des éléments bloquants des négociations. Il faut dire que plusieurs pays des Balkans – l'Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie – patientent déjà aux portes de l'UE depuis de longues années.

"Il ne faudrait pas donner l'idée que l'Ukraine a le droit d'aller plus vite que ces pays."

Susi Dennison, spécialiste de l'Europe

à franceinfo

Donner des gages à l'Ukraine, sans froisser les pays qui attendent, relève du numéro d'équilibriste, un exercice rendu d'autant plus difficile par le fait que la Moldavie et la Géorgie ont elles aussi demandé officiellement à être candidates, quelques semaines après le début du conflit. Si les deux pays partagent la peur d'une invasion par la Russie, la candidature de la Moldavie, qui s'est largement tournée vers l'Europe, fait consensus. C'est moins le cas de la Géorgie, jugée plus éloignée de Bruxelles.

L'enlisement des négociations d'adhésion – la Macédoine du Nord est devenue candidate en 2005 et n'est toujours pas membre de l'UE –, a d'ailleurs poussé Emmanuel Macron à prévenir en mai les Ukrainiens que le processus pourrait prendre "des décennies", rapporte France 24. D'où la proposition du président français de créer une "Communauté politique européenne" lors d'un discours à Strasbourg le 9 mai, une communauté que pourrait rejoindre l'Ukraine.

Une juste récompense pour Kiev

La proposition, aux contours encore flous, permettrait selon le chef de l'Etat, "aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs, de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération", en attendant leur entrée dans l'UE. Une façon, selon Georgina Wright, de proposer "une alternative, avant que l'UE ne repense les élargissements". Selon les informations de France Télévisions, l'idée devrait d'ailleurs être discutée lors du prochain Conseil européen.

Elle a pourtant été immédiatement rejetée par Kiev. "L'Ukraine respecte l'Union européenne, et nous voulons bénéficier du même respect", s'indignait ainsi le Volodymyr Zelensky devant des étudiants, peu après le discours de son homologue français. C'est simple, "ce serait un désastre", s'alarme Alyona Getmanchuk, directrice du think-tank ukrainien New Europe Centre. 

"Les Ukrainiens ne comprendraient pas pourquoi les choses sont aussi compliquées, alors que personne ne parle de devenir membre de l'UE immédiatement. Nous savons qu'il y a encore du travail."

Alyona Getmanchuk, directrice de New Europe Centre

à franceinfo

A l'inverse, une réponse positive "serait une façon de nous donner des ailes et d'ancrer l'Ukraine à l'Europe de l'Ouest", assure la chercheuse. Une façon de récompenser les Ukrainiens, alors que le drapeau européen était de toutes les manifestations pro-démocraties de 2014 dans le pays. Et puis, "donner le statut de candidat, ce n'est pas la même chose que de valider l'adhésion", souligne Georgia Wright.

Un refus qui paraît improbable

Les débats en amont du Conseil européen, qui devra aussi se prononcer sur le sort réservé la Géorgie et de la Moldavie, promettent d'être tendus. "Il semble probable que l'Ukraine soit déclarée candidate", confiait un diplomate européen à France Télévisions.

"Les pays réticents n'ont plus le choix maintenant que l'Allemagne, la France et l'Italie ont dit oui."

Un diplomate européen

à France Télévisions

Mais pas sans conditions. Celles-ci devraient consister "à demander à l'Ukraine des réformes institutionnelles, notamment en matière de corruption". Difficile en tout cas d'imaginer l'UE démarrer les négociations immédiatement, alors que le pays est toujours en guerre. Et pour ne pas se mettre les pays dont le processus d'adhésion stagnent à dos, "un signal sera également envoyé aux pays des Balkans". Lequel ? "Probablement des promesses d'approfondissement des partenariats déjà en place."

Mais les Européens ont-ils seulement le choix ? "Un refus aurait un coût politique très fort, alors que donner un accord ne coûte pas grand chose", soulignait le même diplomate. D'autant que les Vingt-Sept doivent compter avec la pression entretenue par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui a notamment déclaré lors de la visite d'Ursula von der Leyen à Kiev qu'un "oui" de l'UE "serait une réponse positive à la question de savoir si le projet européen a un futur tout court".

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