Pourquoi les tensions montent entre l'Ukraine et la Pologne
"Nous ne transférons plus aucun armement à l'Ukraine", a déclaré le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, mercredi 20 septembre. Il n'a pas précisé quand son pays, l'un des plus grands fournisseurs d'armes à l'Ukraine, avait cessé ces livraisons, mais cette dernière déclaration illustre les dissensions de plus en plus importantes entre les deux pays, à un moment clé de la riposte menée par Kiev contre la Russie.
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Pourtant, depuis le début de la guerre en Ukraine, la Pologne figure parmi les proches alliés de Kiev. Varsovie a accueilli plus d'1,5 million de réfugiés ukrainiens et a fourni plus de 11,9 milliards d'euros d'aide à son voisin. Le pays avait même pris la tête d'une coalition d'Etats militant pour livrer des chars Leopard à l'Ukraine, rappelle Le Monde. Comment expliquer cette volte-face ? Eléments de réponse.
Zelensky a accusé la Pologne de "feindre" sa solidarité
L'annonce du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki est intervenue quelques heures après la convocation "d'urgence" par Varsovie de l'ambassadeur ukrainien pour contester les propos du président Volodymyr Zelensky tenus à la tribune de l'ONU, mercredi. Lors de son intervention, le président ukrainien a fustigé que "certains pays feignent la solidarité [avec l'Ukraine] en soutenant indirectement la Russie", faisant directement allusion à la Pologne.
En réponse, le vice-ministre polonais des Affaires étrangères a dénoncé cette "thèse fausse" et "particulièrement injustifiée concernant la Pologne" qui soutient l'Ukraine "depuis les premiers jours de la guerre". "Faire pression sur la Pologne dans les forums multilatéraux" n'est pas une "méthode appropriée pour résoudre les différends entre nos pays", a averti la diplomatie polonaise. "Nous appelons nos amis polonais à mettre l'émotion de côté", a réagi de son côté la diplomatie ukrainienne.
Varsovie continue d'interdire l'importation de céréales ukrainiennes
Les tensions entre les deux pays sont montées d'un cran il y a une semaine, lorsque la Pologne a décidé de prolonger l'interdiction des importations des céréales ukrainiennes. Depuis le début de l'invasion russe, qui entrave l'accès à la mer Noire, les pays voisins de Kiev sont devenus des voies de transit essentielles pour le transport des céréales ukrainiennes vers l'Afrique et le Moyen-Orient.
Or, en mai 2022, l'UE a levé les droits de douane rendant les prix du blé, du maïs ou encore du colza ukrainiens avantageux comparé aux productions nationales. Face à cette concurrence et afin de "protéger [leurs] agriculteurs", la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie ont décrété un embargo unilatéral sur ces produits. Ces restrictions temporaires ont été autorisées par Bruxelles, sous réserve de maintenir le passage des céréales vers d'autres destinations.
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Cette autorisation a expiré le 15 septembre et la Commission européenne a décidé de ne pas la renouveler, évoquant "la disparition des distorsions" commerciales et l'amélioration des conditions d'acheminement. Mais la Pologne a refusé de suivre cette décision et a fait savoir qu'elle prolongerait l'embargo, en violation de la décision prise par la Commission, pourtant seule compétente en matière de politique commerciale de l'UE. "Dans l'intérêt des agriculteurs et des consommateurs polonais, nous prenons des mesures nationales", a déclaré le porte-parole du gouvernement polonais.
En représailles, l'Ukraine a donc annoncé une plainte devant l'Organisation mondiale du commerce contre les trois pays ayant prolongé l'embargo : Pologne, Slovaquie et Hongrie. Inflexible, le Premier ministre polonais a averti qu'il élargirait la liste des produits ukrainiens interdits d'importation si Kiev intensifiait ses représailles.
Varsovie se prépare à des élections législatives
Cette crise intervient alors que la Pologne se prépare à des élections législatives le 15 octobre prochain. En vue de cette échéance, le gouvernement de droite populiste a fait de la question des céréales ukrainiennes un sujet de campagne. "Nous défendrons sans aucun doute les intérêts des agriculteurs polonais", a déclaré le Premier ministre Mateusz Morawiecki, dont le parti Droit et Justice (PiS) bénéficie d'un fort soutien dans les régions agricoles.
"Les agriculteurs sont un pilier électoral du PiS, qui a récolté plus de 70 % de leurs voix lors des élections de 2019", observe auprès de Libération Edit Zgut-Przybylska, politiste à l'Académie polonaise des sciences. "La politique étrangère [polonaise] reste subordonnée aux intérêts de politique intérieure de l'élite populiste dirigeante." Pour conserver sa base électorale rurale, le PiS a ainsi multiplié les aides, en subventionnant notamment les céréaliers à la hauteur de la superficie de leurs exploitations, illustre Libération.
Toujours dans ce contexte électoral, le président polonais Andrzej Duda a multiplié lundi les critiques envers Kiev. "L'Ukraine est comme une personne qui se noie (…). Une personne qui se noie est extrêmement dangereuse, capable d'entraîner dans les profondeurs son sauveur", cite le Financial Times. Le gouvernement polonais envisage également de ne pas prolonger les aides actuelles accordées aux réfugiés ukrainiens. "Ces réglementations expireront tout simplement l’année prochaine", a déclaré le porte-parole du gouvernement polonais, mentionné par le quotidien britannique.
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