Guerre en Ukraine : "L'annonce n'aura pas d'effets directs sur les négociations", analyse un chercheur après l'annonce de la Russie de se concentrer sur le Donbass
Le commandement russe, par la voix de l'adjoint au chef de l'état-major Sergueï Roudskoï, a déclaré que "l'objectif principal" était désormais la "libération du Donbass".
L'annonce a créé la surprise. Vendredi 25 mars, l'armée russe a assuré vouloir désormais concentrer son offensive sur l'est de l'Ukraine. Le commandement russe, par la voix de l'adjoint au chef de l'état-major Sergueï Roudskoï, a déclaré que "l'objectif principal" était la "libération du Donbass". Des propos qui détonnent, alors que jusqu'ici, la Russie assurait vouloir "démilitariser et dénazifier l'Ukraine" dans son ensemble. Le lendemain, le président américain Joe Biden a déclaré à Varsovie qu'il "n'était pas sûr" que cette annonce signifiait un changement de la stratégie russe en Ukraine.
Julien Théron, chercheur à Sciences Po Paris, spécialiste en conflits et sécurité internationale et coauteur avec Isabelle Mandraud du livre Poutine, la stratégie du désordre (Ed. Tallandier, 2021) revient pour franceinfo sur les enjeux derrière cette déclaration.
Franceinfo : Le commandement russe a annoncé que l'objectif principal était à présent "la libération du Donbass". S'agit-il d'une affirmation fiable ?
Julien Théron : Il est important de rappeler que les arguments mis en avant par la Russie pour justifier l'offensive en Ukraine s'inscrivent dans un système de propagande auprès de la population russe. Depuis le début du conflit, les objectifs du Kremlin, censés être remplis, ne sont pas connus, on ne sait pas de quoi il est question. Le Premier ministre russe [Mikhaïl Michoustine] avait d'abord annoncé une extension des combats mais, même si la Russie a frappé dans l'ouest de l'Ukraine, cet objectif a échoué. La Russie avait ensuite annoncé vouloir prendre les villes les plus importantes. Ce plan a aussi échoué car les villes principales n'ont pas été prises. Même la ville de Marioupol, attaquée, n'est pas remportée par la Russie. Moscou avait ensuite dessiné une poussée de ses troupes du sud vers le nord de l'Ukraine, afin de couper le pays en deux, le long du fleuve Dniepr. En réalité, s'il y a des changements d'objectifs dans la stratégie donnée à l'armée, cela révèle de décisions politiques. C'est ce qu'il faut voir : il y a un lien entre une certaine incapacité militaire à pénétrer plus en profondeur dans les territoires ukrainiens et la redéfinition militaire de Moscou.
On a donc maintenant l'objectif de la prise du Donbass en entier. Mais lorsque Poutine a reconnu l'indépendance des deux entités séparatistes de l’est de l’Ukraine [les "Républiques populaires" autoproclamées de Donetsk et Louhansk], il ne reconnaissait pas l'ensemble du territoire administratif. En fait, Poutine est en train d'expliquer que ce qu'il veut, c'est prendre l'ensemble de ces deux territoires. Ce qui n'est pas encore fait. Le territoire de Louhansk est presque totalement contrôlé par la Russie, mais ce n'est pas le cas pour celui de Donetsk.
Quelles seront les répercussions de cette annonce pour le Donbass ?
On pourrait bien voir un renfort sur le front Est, mais il faudrait pour cela de nouvelles troupes. Or il est compliqué de mettre en place un tel renforcement. Un redéploiement des forces disposées ailleurs prendrait du temps. Il est compliqué, dans un territoire en conflit, de bouger des armées sur des centaines de kilomètres. Il est difficile de savoir comment la Russie pourrait vraiment renforcer ce front par rapport à ce qu'elle fait déjà depuis un mois. Sans oublier que les autorités russes maintiennent toujours leur objectif "de dénazifier" l'ensemble de l'Ukraine.
Cette déclaration pourrait-elle jouer sur les négociations entre Kiev et Moscou, actuellement au point mort ?
L'annonce, en elle-même, n'aura pas d'effets directs sur les négociations. La Russie n'a cessé de multiplier les effets d'annonce depuis le début de l'offensive. C'est le rapport de force militaire sur le terrain qui définit les objectifs politiques et donc les négociations diplomatiques. Plus la situation devient difficile pour la Russie, plus cela poussera Moscou à la négociation. Pour ce qui est des territoires de l'Est, l'idée pour l'Ukraine n'est pas de céder ces territoires à la Russie. L'idée, c'est que l'Ukraine gagne la guerre, ça a été très clair. Le président Volodymyr Zelensky a déclaré qu'il y avait des discussions, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il est prêt à accorder l'indépendance à ces territoires.
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