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Crise ukrainienne : comment les Européens œuvrent à l'unisson pour tenter de désamorcer les tensions avec la Russie

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président russe, Vladimir Poutine, lors d'une conférence de presse commune au Kremlin, à Moscou, le 15 février 2022. (KAY NIETFELD / DPA / AFP)

Après plusieurs semaines de crise, le Kremlin a annoncé mercredi le retrait d'une partie de ses troupes massées à la frontière avec l'Ukraine. Mais l'Union européenne, qui joue les médiateurs entre Moscou et Kiev, reste méfiante et attend des "actes" sur le terrain.

"La voie de la coopération entre la Russie et nous est encore possible." La présidente de la Commission européenne a appelé à la désescalade des tensions entre Moscou et les Occidentaux, mercredi 16 février, après plusieurs semaines d'inquiétudes autour d'une possible invasion de l'Ukraine par l'armée russe"L'Otan n'a pas encore vu de signes d'une quelconque réduction des troupes russes, et si le Kremlin choisit la violence contre l'Ukraine, notre réponse restera forte et unie", a toutefois mis en garde Ursula von der Leyen.

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Cette déclaration, entre la menace et la tentative d'apaisement, illustre l'intensité de la crise entre Moscou et les Occidentaux. Le déploiement d'importants contingents russes à la frontière avec l'Ukraine, depuis l'automne 2021, laisse toujours craindre un nouveau conflit sur ce front. Le Kremlin a pourtant annoncé mercredi le départ d'une partie de ses forces militaires de Crimée, péninsule ukrainienne annexée par la Russie en 2014. Jeudi, le ministère de la Défense russe a encore assuré que "certaines phases des exercices touchaient à leur fin, et qu'au fur et à mesure, les militaires retourneront à leurs bases d'attache". Mais "c'est un processus qui est étendu dans le temps", a-t-il précisé.

Une capture d'écran d'une vidéo diffusée le 16 février 2022 par le ministère de la Défense russ, montrant des véhicules militaires quittant la péninsule ukrainienne de la Crimée. (RUSSIAN DEFENCE MINISTRY / AFP)

"On peut voir [dans ces annonces] le résultat des efforts diplomatiques des Etats européens, qui ont fait entendre la nécessité de la désescalade", estime auprès de franceinfo Cyrille Bret, chercheur associé à l'Institut Jacques Delors. Car la bataille de communication entre Washington et Moscou sur la crise ukrainienne n'a "produit aucun effet en deux mois", relève l'enseignant à Sciences Po. En parallèle de ces discussions et de celles menées par l'Otan, l'UE s'est donc trouvée dans une position unique pour tenter de désamorcer la crise.

Les 27 font front commun sur ce sujet

Ces dernières semaines, on a assisté à un intense "ballet diplomatique européen", souligne Cyrille Bret. Les dirigeants des 27 Etats membres, Paris et Berlin en tête, ont multiplié les appels avec Washington, Moscou et Kiev. Emmanuel Macron, qui occupe la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, ont même fait le déplacement en Russie et en Ukraine pour faire avancer les négociations entre les deux pays. "La France et l'Allemagne sont les deux plus grands acteurs de l'UE, il est donc normal qu'ils soient leaders sur ce dossier", relève auprès de franceinfo Edouard Simon, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

"Historiquement, la France et l'Allemagne ont une position de dialogue et d'ouverture envers la Russie. Berlin pour des questions économiques, Paris pour des motifs géopolitiques. Mais en tant que leaders de l'EU, ils doivent défendre les intérêts des 27 dans leur ensemble."

Edouard Simon, directeur de recherches à l'Iris

à franceinfo

Depuis l'annexion de la Crimée, les membres de l'UE sont parvenus à présenter un front uni sur la question ukrainienne. Une tâche plus complexe qu'il n'y paraît. "L'UE a une politique étrangère commune, mais toute décision doit être prise à l'unanimité. Il suffit d'un pays en désaccord pour qu'aucune mesure ne soit adoptée", rappelle Edouard Simon. Dans le dossier ukrainien, ils ont pourtant réussi à s'entendre depuis près de huit ans : "Les 27 ont non seulement décidé des sanctions contre Moscou en 2014, mais ils les ont renouvelées systématiquement depuis."

Cette unité est d'autant plus notable que "sans diverger, les intérêts de chaque Etat envers la Russie sont différents". La Hongrie de Viktor Orban est la plus proche alliée de Moscou au sein de l'UE. A l'inverse, la Pologne et les Etats baltes adoptent une position dure vis-à-vis du Kremlin. "Le principal objectif des Européens reste néanmoins d'empêcher un retour de la guerre en Europe, poursuit Edouard Simon. L'inquiétude suscitée par l'annexion de la Crimée a donc permis une approche plus concertée des relations avec Moscou, bien que la politique étrangère relève plutôt de la compétence des Etats."

Bruxelles comme cheville ouvrière

Les institutions européennes assurent un rôle-clé dans ces discussions internes. Le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et son Haut Représentant pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, "font le lien entre les capitales pour adopter une position commune", explique Edouard Simon. Début février, la Russie a ainsi envoyé 27 lettres identiques aux Etats membres au sujet de la crise ukrainienne, dans une tentative évidente de jouer sur les divisions européennes. Mais le Kremlin n'a reçu qu'une unique réponse, de la part du chef de la diplomatie de l'UE, rappelle L'Express.

La présidente de la Commission européen, Ursula von der Leyen, et le Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, le 8 janvier 2020 à Bruxelles (Belgique). (DURSUN AYDEMIR / ANADOLU AGENCY / AFP)

Si les dirigeants de chaque Etat multiplient les conférences de presse, en coulisses, Bruxelles "effectue un important travail de cheville ouvrière : partage d'information auprès des 27, coordination du dialogue entre les capitales et de la prise de décision", liste Cyrille Bret. Cela a notamment permis aux ministres des Affaires étrangères de s'accorder sur une réponse commune (et ferme) face à la Russie, mi-janvier.

Face à ce front uni, Moscou a semblé ouvrir la porte à un apaisement, mardi. "L'annonce du retrait des troupes russes de la frontière avec l'Ukraine est un signe de bonne volonté qu'il ne faut pas surestimer", met toutefois en garde Cyrille Bret, qui rappelle que "la Russie sait souffler le chaud et le froid". "Le Kremlin pourrait décider de mener d'autres exercices militaires ou d'accentuer sa présence navale en mer Noire", illustre-t-il.

L'Otan a par ailleurs déclaré, mercredi, n'avoir "constaté aucune désescalade sur le terrain à ce stade""La Russie peut encore envahir l'Ukraine sans préavis, les capacités sont en place", a insisté le secrétaire général de l'organisation. La Maison Blanche a même accusé le Kremlin d'avoir déployé 7 000 soldats supplémentaires dans la région, où les Occidentaux estiment que plus de 100 000 militaires russes sont désormais positionnés. "Toutes les indications que nous avons, c'est qu'ils sont prêts à (...) attaquer l'Ukraine", a déclaré Joe Biden jeudi.

"A ce stade, la Russie n'a atteint aucun de ses objectifs"

Moins affirmatifs sur les intentions de la Russie, les dirigeants européens sont restés méfiants. "Les paroles, c'est bien. Nous attendons les actes. Si les actes sont là, ce sera encore mieux", a lancé le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, mardi. Ursula von der Leyen a, de son côté, assuré que l'UE était prête à réduire ou cesser ses commandes de gaz russe en cas d'agression en Ukraine. Si le "geste de bonne volonté" de Moscou pourrait constituer "un point de départ pour poursuivre les négociations", il ne signifie donc pas pour autant la fin de la crise, analyse Edouard Simon. "A ce stade, la Russie n'a atteint aucun de ses objectifs", notamment s'assurer que l'Ukraine ne rejoindra pas l'Otan et obtenir le retrait des troupes américaines d'Europe centrale et de l'Est, rappelle le spécialiste des questions de sécurité et de défense européennes.

Alors que les tensions restent au plus haut entre Moscou et Washington, l'UE est confrontée à une question cruciale : quelles nouvelles sanctions adopter contre la Russie en cas d'agression contre l'Ukraine ? Suspendre le projet de gazoduc Nord Stream 2 aurait des conséquences lourdes pour l'Allemagne, très dépendante de cette ressource énergétique. Et toute sanction contre Moscou aurait des répercussions économiques et géopolitiques pour l'ensemble des Européens. 

"La réponse à une agression russe en Ukraine relèverait probablement de compétences de l'UE, mais aussi de celles des Etats membres. Il s'agirait donc d'un test important pour l'unité des 27", juge Edouard Simon. Si la situation venait à s'envenimer, la tactique adoptée par Moscou serait déterminante. "S'il y avait une agression frontale, le consensus européen serait préservé", avance Cyrille Bret.

"Ce qui est certain, c'est qu'il devient de plus en plus difficile de faire entendre au sein de l'UE les voix qui soutiennent la Russie, qui apparaît comme une menace."

Cyrille Bret, chercheur à l'Institut Jacques Delors

à franceinfo

Face à cette situation explosive, les 27 dirigeants européens se sont réunis jeudi "pour faire le point sur les derniers développements liés" à la crise ukrainienne. "Nous exhortons la Russie à prendre des mesures concrètes et tangibles en direction d'une désescalade, parce que c'est la condition d'un dialogue politique sincère", avait rappelé le président du Conseil européen, Charles Michel, à la veille de cette rencontre. "Nous ne pouvons pas éternellement tenter la diplomatie d'un côté, alors que l'autre côté amasse des troupes."

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