Cartes Guerre en Ukraine : visualisez le grignotage du front par l'armée russe

Article rédigé par Louis Dubar, Pauline Paillassa
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des militaires russes dans la ville d'Avdiivka en Ukraine, le 6 mars 2024, lors d'une opération de déminage. (STANISLAV KRASILNIKOV / SPU / SIPA)
Depuis octobre 2023 et l'échec de la contre-offensive ukrainienne, les troupes russes gagnent du terrain. Elles ont repris plus de 500 kilomètres carrés en sept mois d'offensive.

Petit à petit, l'armée russe avance dans l'est de l'Ukraine. Le ministère de la Défense russe a annoncé, dans une publication sur Telegram, lundi 22 avril, la prise de Novomykhaïlivka. Ce village proche de Vougledar, une cité minière de la région du Donbass, est la dernière conquête revendiquée par Moscou. Elle s'ajoute à une liste de bourgades, de villes et de villages nouvellement occupés.

Après l'échec de la contre-offensive ukrainienne de l'été 2023, "nous avons assisté à une alternance dans l'initiative, à un changement en faveur de Moscou", analyse Thibault Fouillet, directeur scientifique à l'Institut d'études de stratégie et de défense (IESD). Depuis octobre 2023, les forces russes sont à l'offensive dans plusieurs zones de l'est et du sud du pays. "La grande offensive ukrainienne de l'été 2023, qui devait amener à une percée, à une rupture du front, a épuisé l'armée de Kiev (...) tandis que les Russes ont économisé leurs forces", poursuit le chercheur.

Une "progression lente et graduelle"

Outre le déséquilibre en termes d'hommes, de munitions et d'équipements entre les deux belligérants, la puissance de feu russe, supérieure à celle de l'Ukraine, a permis des avancées modestes, mais continues. "Dans le cadre d'une guerre moderne, il est presque impossible d'arrêter cette progression lente et graduelle si l'un des deux belligérants dispose d'une puissance de feu supérieure à celle de son adversaire", observe Frederik Mertens, analyste au Centre d'études stratégiques de La Haye (HCSS), aux Pays-Bas. 

L'Institute for the Study of War (ISW), un centre d'analyse américain qui suit l'évolution de la ligne de front jour après jour, apporte une estimation de ces gains territoriaux. Sur son site, il évaluait le 28 mars à 505 km2 la surface conquise par les forces russes depuis "le lancement des opérations offensives en octobre 2023". Le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, a quant à lui fourni une autre estimation, le 2 avril, sur Telegram. L'armée russe s'est, selon lui, emparée de 403 km2 de territoire ukrainien depuis le seul début de l'année.

Carte de la ligne de front ukrainien le 22 avril 2024. (FRANCEINFO)

Thibault Fouillet dresse un parallèle entre cette progression et les offensives de la Première Guerre mondiale : "Comme disait le maréchal Joffre, c'est du grignotage." Selon l'analyste, cette stratégie adoptée par l'état-major russe vise à "remporter des avantages tactiques et opérationnels" afin d'épuiser les Ukrainiens et "obtenir une rupture".

La place forte d'Avdïivka, premier gain majeur de Moscou

Décrite comme une ville forteresse, la cité industrielle d'Avdïivka est depuis le début de la guerre du Donbass en 2014 une place forte de l'armée ukrainienne. Les Russes y ont lancé un assaut surprise le 10 octobre. Pour briser les défenses adverses, Moscou a fait appel à ses bombardiers. L'armée de l'air russe a joué à Avdïivka "un rôle important et décisif, notamment parce que la défense anti-aérienne ukrainienne est moins efficace, ajoute Frederik Mertens. Pour la première fois depuis 2022, les Russes sont en mesure d'utiliser efficacement leur force aérienne (...) et ils perdent relativement peu d'avions."

Carte du front à Avdiivka. (FRANCEINFO)

Les chasseurs bombardiers russes ont largué sur la ville des bombes planantes, infligeant d'importants dommages aux fortifications érigées par les Ukrainiens. Ces infrastructures défensives "peuvent résister à une pluie d'obus de calibre 155 mm, mais pas à des bombes planantes", souligne Frederik Mertens. Ces munitions datant de l'ère soviétique ont été améliorées avec un système de guidage, permettant aux pilotes d'opérer des tirs à bonne distance du sol, précise l'hebdomadaire américain Newsweek. Selon le porte-parole d'une brigade de l'armée ukrainienne, cité par l'ISW, l'aviation russe a utilisé près de 73 bombes planantes de type KAB sur la seule journée du 16 février, un jour avant le retrait des Ukrainiens de la ville.

La prise de la ville, le 17 février, s'est toutefois révélée très coûteuse en vies humaines pour l'armée russe. Quelques jours avant son suicide, le blogueur militaire russe Andreï Morozov, connu sous le pseudonyme "Murz", a évoqué sur sa chaîne Telegram, le 19 février, le chiffre de 16 000 soldats russes tués, blessés ou disparus. 

Tchassiv Iar, nouvel épicentre des combats

Une bataille gagnée, une autre commence. Après la prise d'Avdïivka, le regard du haut commandement russe se porte sur Tchassiv Iar, un autre verrou défensif situé à moins de 30 kilomètres de Kramatorsk, la principale ville du Donbass encore sous contrôle ukrainien. Sa conquête permettrait à Moscou de pénétrer dans la région orientale. "L'objectif opérationnel global est de conquérir dans la profondeur de grandes agglomérations et des nœuds logistiques, mais l'armée russe doit d'abord conquérir les localités sur le chemin, commente Thibault Fouillet. L'enjeu est de grignoter le front, tout en conservant assez de capacités opérationnelles pour enchaîner les offensives." 

Carte du front à Tchassiv Iar. (FRANCEINFO)

Mais la conquête de cette cité industrielle s'annonce difficile. Située à 200 mètres d'altitude, la ville est traversée par un canal, deux caractéristiques géographiques qui favorisent la défense et freinent la progression russe. Le 4 avril, la chaîne Telegram DeepState, proche de l'armée ukrainienne, rapporte un premier accrochage avec l'armée russe en périphérie de l'agglomération. Les Russes "ont mené un assaut massif combiné, qui a été stoppé par les forces de défense au cours d'une bataille acharnée". Malgré le déluge de feu de l'adversaire, l'armée ukrainienne tient. Un officier, cité par l'ISW, rapporte, le 21 avril, que ses combattants continuent d'assurer la défense de la ville, malgré "de lentes avancées russes au nord d'Ivanivske en direction de Tchassiv Iar". Les unités ukrainiennes ne sont cependant pas en capacité de reprendre le terrain à cause des "attaques aériennes et des assauts frontaux constants" des unités russes.

Robotyne, une conquête symbolique et politique pour Moscou

Sur le front sud, le village de Robotyne est un lieu symbolique pour les Ukrainiens. Libérée fin août 2023 après plusieurs mois d'occupation, cette bourgade de la région de Kherson est l'une des rares conquêtes réalisées par les troupes ukrainiennes dans le cadre de leur contre-offensive.

Carte du front à Robotyne. (FRANCEINFO)

Depuis cette localité, Kiev pensait pouvoir pousser plus au sud, vers Mélitopol, pour atteindre la mer et couper l'armée russe en deux. Mais aujourd'hui, entourée par les Russes, la bourgade est sous le feu de l'ennemi et difficile à défendre. D'après Thibault Fouillet, l'armée russe cherche à y atteindre un double objectif : "Réduire la taille du saillant, mais aussi répondre à un but politique." En clair, "la conquête de Robotyne permettrait de démontrer l'absence de résultats de la contre-offensive ukrainienne". Ces dernières semaines, l'armée russe a mené plusieurs attaques pour reprendre des positions, notamment en lançant de petits groupes d'assaut. Les attaques ont été repoussées, a affirmé le 3 avril le commandement ukrainien sur Telegram.

Ces gains territoriaux constituent-ils un tournant dans la guerre ? Pour Frederik Mertens, il ne faut pas surestimer l'importance tactique et stratégique de ces avancées. "Des villages inconnus, pour certains plus petits qu'un parc, deviennent des cibles de prestige et des objectifs symboliques", juge-t-il, assurant que "le contrôle de ces territoires n'est pas vital pour Kiev". Dans ces batailles coûteuses en hommes et en équipements, le but des Ukrainiens n'est pas, selon l'expert, d'adopter une attitude défensive jusqu'au-boutiste. "Ce qui est important, c'est la capacité de l'armée à tenir une ligne de défense et à maintenir sa cohésion."

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