"Méga-bassines" : cinq questions sur l'annulation par la justice de deux projets de quinze retenues d'eau en Poitou-Charentes

Le tribunal administratif de Poitiers a jugé que ces réserves dites de substitution étaient "surdimensionnées" et inadaptées "aux effets du changement climatique".
Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Une réserve d'eau à Mauzé-sur-le-Mignon, le 12 avril 2023 dans les Deux-Sèvres. (DAMIEN MEYER / AFP)

Deux projets qui tombent à l'eau. Le tribunal administratif de Poitiers (Vienne) a annulé, mardi 3 octobre, la construction et l'exploitation en Poitou-Charentes de deux ensembles de projets de quinze retenues d'eau au total. Destinées à l'irrigation agricole, ces installations sont surnommées "méga-bassines" par leurs opposants qui dénoncent un accaparement de la ressource.

Créées par des exploitants pour stocker les besoins essentiels à l'agriculture et à l'élevage, ces retenues artificielles, qui se multiplient en France alors que le pays connaît des épisodes de sécheresse aggravés par le réchauffement climatique, fonctionnent grâce au prélèvement de l'eau dans les nappes phréatiques en hiver de novembre à mars – afin de diminuer les prélèvements dans cette même nappe durant les fortes chaleurs – pour la mettre à disposition d'agriculteurs irrigants en été, lorsque la ressource manque.

La justice a ainsi mis un veto aux arrêtés préfectoraux de 2021 autorisant ces deux projets d'immenses bassines à ciel ouvert. Les quinze réserves dites "de substitution" devaient permettre de stocker environ trois millions de mètres cubes d'eau. Le tribunal administratif de Poitiers juge que ces projets étaient "surdimensionnés" et inadaptés "aux effets du changement climatique". Franceinfo fait le point sur cette décision de justice.

1Quels sont les projets concernés ?

Le litige portait sur la création de retenues d'eau dans l'ancienne région Poitou-Charentes. Le premier projet, sur les bassins de l'Aume et de la Couture, dans les départements de la Charente, Charente-Maritime et des Deux-Sèvres, comptait neuf "méga-bassines" – les agriculteurs et l'administration leur préfèrent le terme de "réserves de substitution". Elles devaient permettre de stocker un volume total de 1,64 million de mètres cubes d'eau.

>> REPORTAGE. Dans les Deux-Sèvres, face à la sécheresse, stocker de l'eau dans des "méga-bassines" ne coule pas de source

Le second projet, dans le sous-bassin de la Pallu dans le département de la Vienne, prévoyait six autres retenues pour un volume total de 1,48 million de mètres cubes d'eau, selon la décision du tribunal administratif de Poitiers, qui cite l'arrêté préfectoral.

2Cette décision concerne-t-elle la "méga-bassine" de Sainte-Soline ?

Non, la décision du tribunal administratif de Poitiers ne concerne pas Sainte-Soline (Deux-Sèvres), où des rassemblements organisés le 29 octobre 2022 et le 25 mars 2023 avaient donné lieu à de violents affrontements avec les forces de l'ordre. Le projet de 16 "méga-bassines" de la région du Marais poitevin, auquel est rattachée l'installation de Sainte-Soline, n'était pas visé par le recours déposé par plusieurs organisations, comme des associations locales de défense de l'environnement, mais aussi la branche locale d'UFC Que-choisir et la Ligue de protection des oiseaux (LPO).

3Pourquoi la justice a-t-elle annulé ces projets ?

Le tribunal administratif de Poitiers juge que ces "méga-bassines" sont inadaptées "aux effets du changement climatique". "Dans les deux cas, le tribunal a estimé que les projets étaient surdimensionnés", concluent les juges dans leur décision. Alors que ces retenues doivent prélever de l'eau dans les nappes phréatiques en hiver en prévision de l'été, où la ressource en eau est plus rare, le tribunal juge "la logique de substitution n'était pas effectivement respectée". Il note que "le calcul du volume des réserves projetées reposait sur des données anciennes, datant du début des années 2000, qui ne reflétaient plus le niveau des prélèvements effectivement réalisés en été depuis une quinzaine d'années".

>> "Méga-bassines" : au-delà de Sainte-Soline, quels sont autres les projets de retenues d'eau de ce type en France ?

Concernant les six retenues d'eau dans le sous-bassin de la Pallu, les juges soulignent là aussi le "surdimensionnement" du projet. Ils estiment que "la préfète de la Vienne avait, en autorisant ce projet, entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en œuvre du principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau".

Sur les neuf retenues d'eau envisagées dans les bassins de l'Aume et de la Couture, le tribunal considère que "le projet n'est pas associé à de réelles mesures d'économie d'eau". Les juges évoquent en outre "plusieurs irrégularités dans la composition du dossier au regard duquel l'autorisation a été délivrée".

4Comment ont réagi les différents acteurs ?

Les associations à l'origine des recours se disent "satisfaites des jugements prononcés". Elles "donnent un coup d'arrêt à la campagne de désinformation qui, depuis des années, présente les mégabassines comme un moyen de diminuer les prélèvements", jugent-elles dans un communiqué. Cette décision de justice est un "grand soulagement" et "une très bonne nouvelle pour tous ceux qui se battent pour l'eau et contre les 'méga-bassines'", a dit à l'AFP Julien Le Guet, porte-parole du collectif "Bassines non merci".

Dans un communiqué, la préfecture de la Vienne estime que les motifs invoqués par le tribunal "interrogent" et a annoncé qu'elle ferait appel de cette décision. Bertrand Lamarche, président de la société coopérative anonyme de gestion de l'eau de la Pallu, a déclaré au quotidien La Nouvelle République que les irrigants de la zone feraient, eux aussi, "certainement" appel.

5Quelle est la suite des événements ?

"L'annulation des deux arrêtés a pour effet d'empêcher la réalisation des réserves concernées", précise le tribunal administratif de Poitiers dans sa décision. Ainsi, les projets sont au point mort, même si les différents acteurs vont faire appel de cette décision. Mais ces voies de recours "n'ont cependant pas de caractère suspensif", ce qui veut dire que d'éventuels travaux ne pourraient pas avoir lieu pendant la procédure. Cette décision administrative n'est pas une première. Alors que de nombreux projets font l'objet de recours, des projets de "méga-bassines" en Charente-Maritime ont été retoqués en février 2023 par le Conseil d'Etat et la Cour administrative d'appel de Bordeaux.

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