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Bassines agricoles : pourquoi ces réserves d'eau sont-elles critiquées par les écologistes et des agriculteurs ?

Créées par des exploitants pour irriguer leurs cultures, elles sont notamment accusées de perturber le cycle de l'eau.

Article rédigé par franceinfo
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Une bassine de rétention d'eau à usage agricole à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), le 22 septembre 2021. (DELPHINE LEFEBVRE / HANS LUCAS / AFP)

Elles sont surnommées "méga-bassines" par leurs détracteurs. Les agriculteurs et l'administration leur préfèrent le terme de "réserves de substitution". Ces immenses bassins à ciel ouvert ont de nouveau donné lieu à une manifestation, samedi 29 octobre, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres).

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Créées par des exploitants pour stocker les besoins essentiels à l'agriculture et à l'élevage, ces retenues artificielles se multiplient en France, alors que le pays connaît des épisodes de sécheresse aggravés par le réchauffement climatiquePourtant, certains opposants, de plus en plus nombreux eux aussi, y voient le symbole d'une agriculture déraisonnée, qui donnerait la priorité aux rendements plutôt qu'à la sauvegarde de l'environnement. Franceinfo fait le point sur les principaux reproches faits à ces initiatives.

Parce que ces bassines centralisent d'énormes quantités d'eau à l'air libre

La multiplication et la taille de ces réservoirs artificiels font souvent grincer des dents les militants écologistes et altermondialistes. Dans les Deux-Sèvres par exemple, pas moins de 16 réserves d'eau doivent être construites pour satisfaire les besoins d'irrigation. Parmi les premières creusées, celle baptisée "SEV17" peut contenir un peu plus de 400 000 m3 d'eau, soit l'équivalent de 160 piscines olympiques. Les plus importantes de ce projet d'envergure départementale pourront stocker jusqu'à 650 000 m3.

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Pour constituer de telles réserves, les agriculteurs réunis en coopérative veulent pomper le précieux liquide directement dans les nappes phréatiques l'hiver (de novembre à mars), afin de ne pas avoir à le faire l'été. Cette pratique agricole, formalisée pour la première fois en France par un protocole d'accord signé en 2018 dans les Deux-Sèvres, est accusée de perturber le cycle de l'eau par certaines organisations de défense de l'environnement. Sur son site, le collectif Bassines non merci pointe du doigt les risques d'assèchement des cours, d'évaporation accélérée... ou encore de pompage dérégulé des nappes phréatiques.

"C'est mieux de stocker l'eau dans le sous-sol qu'au sol, estime Bruno Parmentier, ingénieur spécialiste des questions agricoles, interrogé sur franceinfo canal 27, samedi 29 octobre. L'été, quand il fait très chaud, entre 30 et 50% de l'eau que l'on a stockée s'en va, elle ne vous sert pas." Des alternatives sont avancées pour conserver l'eau sans passer par des bassines, comme la reforestation, le remplacement des cultures gourmandes en eau (comme le maïs) ou encore le retour des prairies.

Parce que certains projets sont réalisés illégalement

Toutes les réserves de substitution créées en France ne sont pas encadrées comme celles de Sainte-Soline. A 75 kilomètres de là, cinq bassines agricoles creusées à Cram-Chaban (Charente-Maritime) ont été jugées illégales par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 17 mai, a rapporté France Bleu. Après quatorze ans de procédure, la justice a confirmé que l'étude d'impact sur les milieux concernant ces retenues d'eau était "défaillante". Dans le détail, la cour a pointé le manque de précision quant aux conséquences sur les nappes phréatiques et les rivières.

Les protocoles d'accord, comme celui signé dans les Deux-Sèvres, doivent servir à empêcher une telle situation. Surtout que l'irrigation agricole est une pratique ancestrale. "A l'époque de mes parents, les agriculteurs creusaient un forage sur leurs terres et prenaient l'eau", expliquait par exemple à franceinfo en juillet dernier Thierry Boudaud, élu de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) et président de la Coop de l'eau 79, une société privée qui gère les réserves de Sainte-Soline.

Face aux polémiques, le gouvernement veut jouer la carte de l'apaisement. Pour le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, les opposants à ces projets "dénoncent quelque chose de juste, la nécessité qu'on diminue collectivement, et les agriculteurs aussi, nos usages d'eau", a-t-il déclaré sur France Inter samedi. Tout en soulignant, études à l'appui, que le projet de Sainte-Soline n'avait par exemple "pas de conséquences négatives pour les nappes" phréatiques. Pas de quoi rassurer les militants écologistes, qui réclament par ailleurs le contrôle des engagements (réduction des pesticides, plantation de haies...) pris par les exploitants qui utilisent ces bassines.

Parce qu'elles sont accusées d'accroître les inégalités entre agriculteurs

Du côté de certains agriculteurs aussi, la colère gronde concernant ces immenses réserves d'eau. "Il faut savoir qu'en France les surfaces irriguées représentent à peu près 10% de la surface agricole", expliquait samedi sur franceinfo Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, lui-même agriculteur et éleveur dans le Jura. "Cela veut dire que ces projets de bassines sont bénéficiaires pour une minorité d'agriculteurs, a-t-il ajouté. Il y a un accaparement de l'eau par cette minorité-là." 

La pilule passe d'autant plus mal pour les agriculteurs réfractaires aux bassines que ces projets bénéficient parfois d'importants fonds publics. La première tranche du projet de Sainte-Soline (soit six réserves) est par exemple financée "à 70% par l'agence de l'eau Loire-Bretagne et les fonds [du] plan de relance" expliquent ses gestionnaires sur leur site. Selon ces derniers, "le coût total du projet est estimé à 60 millions d'euros".

Alors que frémissent les craintes d'une "guerre de l'eau" dans l'Hexagone, les opposants aux bassines réclament un financement égal, voire supérieur, en faveur des solutions alternatives de stockage. "Il nous semble que si l'on veut mieux passer les épisodes de sécheresse, il faut au contraire avancer vers des pratiques agricoles qui permettent une meilleure infiltration de l'eau dans le sol, estime Nicolas Girod, pour que l'eau soit disponible pour tout le monde."

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