"Méga-bassines" de Sainte-Soline : cinq questions sur le procès des organisateurs des rassemblements interdits

Neuf responsables syndicaux et militants écologistes sont jugés vendredi après-midi à Niort pour avoir organisé des manifestations contre les "méga-bassines" à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.
Article rédigé par franceinfo
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Un rassemblement de soutien aux personnes jugées à Niort (Deux-Sèvres) le 8 septembre 2023 pour l'organisation des manifestations contre les "méga-bassines" à Sainte-Soline. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Ils dénoncent un procès "politique" destiné, selon eux, à museler l'opposition aux "méga-bassines", ces réserves d'eau dédiées à l'irrigation agricole, contestées dans les Deux-Sèvres. Neuf responsables syndicaux et militants écologistes sont jugés, vendredi 8 septembre à partir de 13h30, devant le tribunal correctionnel de Niort (Deux-Sèvres), pour avoir organisé des rassemblements contre le projet de "méga-bassines" dans le département, à Sainte-Soline. Des manifestations qui avaient été interdites au préalable par les autorités.

1Qu'est-il reproché aux personnes jugées ?

Deux manifestations interdites ont donné lieu à de violents affrontements avec les forces de l'ordre. Une première grande journée de protestation a été organisée le 29 octobre 2022 contre le projet de 16 "méga-bassines" dans le Marais poitevin, dont celle de Sainte-Soline. Ces retenues creusées visent à stocker de l'eau puisée dans les nappes phréatiques en hiver, afin d'irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient. Leurs partisans les jugent indispensables à la survie des agriculteurs irrigants, tandis que les opposants dénoncent un "accaparement" de l'eau par "l'agro-industrie".

A l'automne, des centaines de manifestants se sont rassemblés à Sainte-Soline et certains d'entre eux ont pénétré le chantier. Les forces de l'ordre ont tenté de bloquer les manifestants et des heurts ont éclaté. Puis, au printemps, une seconde manifestation a été organisée. Environ 30 000 personnes, selon les organisateurs, se sont rassemblées le 25 mars sur le site, encadrées par 3 000 personnels des forces de l'ordre, dans un climat de forte tension. La manifestation a rapidement dégénéré en affrontements avec les gendarmes. Deux manifestants ont passé plusieurs semaines dans le coma et de nombreux autres ont été blessés.

Or, ces deux grands rassemblements avaient été, au préalable, interdits par la préfecture des Deux-Sèvres. Ainsi, parmi les neuf infractions retenues contre les prévenus qui comparaissent vendredi, apparaît "l'organisation de manifestation interdite sur la voie publique". Les prévenus sont aussi jugés pour "participation à un groupement en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de bien", ou encore "dégradation ou détérioration du bien d'autrui", précise Libération. Tous encourent six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende.

2Qui sont les prévenus ?

Cinq prévenus, Benoît Feuillu et Basile Dutertre, militants des Soulèvements de la Terre, Benoît Jaunet et Nicolas Girod, représentants de la Confédération paysanne, ainsi que Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci, sont poursuivis pour la manifestation du 25 mars. Il leur est notamment reproché d'avoir cosigné les communiqués appelant à manifester et d'avoir participé aux actions menées contre le chantier de Sainte-Soline.

Julien Le Guet est particulièrement dans le viseur des enquêteurs. Mais aussi des services de renseignement : il dit notamment avoir retrouvé un traceur GPS sous sa voiture, comme le relate France 3 Nouvelle-Aquitaine. Le porte-parole du collectif BNM, ainsi que Benoît Feuillu et Basile Dutertre, sont aussi poursuivis pour avoir organisé la manifestation précédente. De même que deux syndicalistes de la CGT 79 et de Solidaires 79, David Bodin et Hervé Auguin, qui ont signé la déclaration de manifestation du 29 octobre 2022 et s'y sont rendus malgré son interdiction.

Deux autres prévenus comparaissent pour des faits de violences, vol et dégradations en lien avec les manifestations, selon l'AFP, qui précise que la justice reproche également à certains d'avoir refusé un relevé d'empreintes génétiques.

3Pourquoi dénoncent-ils un procès "politique" ?

Pour les prévenus, ce procès est "politique". Leurs avocats voient dans la procédure une atteinte au droit de manifester, dont l'objectif est de "décourager les mouvements sociaux", estime auprès de l'AFP Pierre Huriet, qui plaidera pour Solidaires. Sa consœur Alice Becker, conseil des syndicalistes CGT, fustige "une entrave à la liberté de manifester, d'opinion, mais aussi syndicale". Elle y voit également "une volonté d'intimider des individus et de faire peur".

Car la défense s'interroge sur les raisons de poursuivre des personnes physiques, plutôt que les organisations qu'elles représentent. "Ce n'est pas parce qu'on est porte-parole d'un mouvement qu'on est organisateur", estime dans Libération Marie Dosé, l'avocate de Julien Le Guet et Basile Dutertre.

Interrogés par l'AFP, les avocats de la Confédération paysanne, Chirine Heydari-Malayeri, Inès Giacometti et Balthazar Lévy, déplorent "une criminalisation de l'action politique et syndicale, d'autant moins tolérable que le syndicat agricole alerte sur la préservation de l'eau et d'un accès égalitaire à ce bien commun essentiel".

4Quels responsables politiques et syndicaux ont annoncé se déplacer pour les soutenir ?

A l'appel de leurs organisations, plusieurs milliers de personnes sont attendues en soutien vendredi à Niort. Parmi elles, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, une délégation de députés LFI dont leur cheffe de file, Mathilde Panot, et la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier. Cette dernière a dénoncé une entrave à la liberté de manifester et a déclaré, vendredi matin sur franceinfo, que "la non-violence" était "un principe fondateur de l'écologie politique", mais qu'il était de son rôle "d'alerter sur le sujet de l'eau".

Pour Sophie Binet, ce procès marque "un cap dans la répression" de l'action politique et syndicale. "S'il y a quelqu'un qui devait être devant ce tribunal, c'est le ministre de l'Intérieur. (...) La veille des rassemblements, il déclarait à la télévision que ça allait être violent, qu'il fallait s'y préparer", a asséné la secrétaire générale de la CGT, vendredi, sur franceinfo, depuis Niort. "Faute de pouvoir poursuivre des individus violents, on poursuit personnellement les dirigeants des organisations qui ont appelé à des rassemblements pacifiques", dénonce-t-elle.

5Ont-ils le droit de manifester devant le tribunal ?

La préfecture des Deux-Sèvres a pris plusieurs arrêtés pour encadrer cette importante manifestation de soutien aux prévenus. Déclarée en deux endroits dans la ville, elle n'a pas été interdite, mais la préfecture a proscrit tout "attroupement" aux abords du tribunal et autorisé la police à utiliser des drones pour surveiller le rassemblement.

La CGT, Solidaires et la Confédération paysanne, rejoints par le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, avaient déposé un référé-liberté contre ces arrêtés, qualifiés de "liberticides", mais le tribunal administratif a validé le dispositif de sécurité préfectoral.

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