Quatre questions sur le retrait des troupes américaines d'Afghanistan annoncé par Joe Biden
Le retrait américain d'Afghanistan d'ici au 11 septembre 2021, après vingt ans de guerre, est l'aboutissement d'une politique engagée par les administrations Trump et Obama. Franceinfo vous explique les enjeux de cette mesure.
Une page se tourne en Afghanistan. Joe Biden a confirmé, mercredi 14 avril, le retrait des troupes américaines déployées dans ce pays d'ici au 11 septembre 2021, vingt ans après les attentats du 11 septembre à l'origine de l'intervention militaire des Etats-Unis. Le retrait total des troupes, qui sera accompagné d'un désengagement des alliés de l'Otan, avait été négocié avec les talibans en 2020 par Donald Trump. Franceinfo dresse les enjeux de cette mesure.
Comment va se dérouler le retrait ?
Objectif 11 septembre 2021. Vingt ans après le début de l'intervention américaine en Afghanistan en réponse aux attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par le groupe terroriste Al-Qaïda, Joe Biden a annoncé le départ des troupes américaines du pays d'ici à cette date. "L'heure est venue de mettre fin à la plus longue guerre de l'Amérique", a jugé le président des Etats-Unis, expliquant que les troupes américaines auront "quitté l'Afghanistan avant le vingtième anniversaire de ces attentats odieux du 11-Septembre".
Le "retrait définitif" des 2 500 soldats américains encore déployés en Afghanistan, qui s'accompagnera d'un désengagement des alliés de l'Otan pour un total estimé à 9 600 militaires, débutera le 1er mai, et "pas de manière précipitée". Il avait été négocié par l'administration de Donald de Trump en 2020 : l'ancien président américain avait conclu à Doha un accord historique avec les talibans pour un retrait total des troupes américaines au 1er mai, en échange de leur engagement à lutter contre le terrorisme.
Joe Biden, qui a hérité de cet engagement, a simplement repoussé de cinq mois l'échéance. Il a aussi promis que les Etats-Unis allaient "continuer à soutenir le gouvernement afghan", face à la menace d'un retour des talibans au pouvoir et d'une guerre civile.
Pourquoi une telle décision ?
Le retrait total des troupes américaines en Afghanistan est "la concrétisation d'une politique qui se poursuit depuis dix ans", analyse sur RFI Gilles Dorronsoro, chercheur en science politique et spécialiste de l'Afghanistan. Barack Obama puis Donald Trump avaient déjà commencé à y travailler, le nombre de militaires américains passant de 100 000 en 2010 à 8 400 six ans plus tard. "En 2012, Obama a pris la décision d'un retrait presque total pour fin 2014 devant l'échec massif des opérations, et cette politique a été poursuivie par Trump", détaille Gilles Dorronsoro.
Le retrait des Etats-Unis répond également au souhait d’un peuple américain lassé face à une guerre sans fin, dont l'issue ressemble à une défaite pour Washington. "Les choses n'ont pas beaucoup changé sur place, stratégiquement et militairement", explique à franceinfo l'historien Michel Goya.
"Les Américains n’ont pas réussi à amener une paix durable ni à lutter contre le terrorisme qui est toujours là, donc c’est un échec pour eux sur ce point", analyse Zalmaï Haquani, ancien ambassadeur d’Afghanistan en France, pour qui la montée en puissance des talibans illustre l'échec de la politique interventionniste américaine. "Les talibans n'avaient pas cette force en 2001, alors qu'aujourd'hui ils revendiquent le monopole du pouvoir."
Quel est le bilan de cette guerre ?
Le bilan est lourd pour les Etats-Unis et l'Afghanistan. "Plus de 2 400 soldats [américains] sont morts et 2 000 milliards de dollars ont été dépensés dans cette région", explique sur franceinfo Michel Goya à propos de l'engagement américain, et "d'une guerre qui leur coûte très cher". L'intervention américaine a également été terrible pour le peuple afghan, dont les morts se comptent en dizaines de milliers : "On est toujours sur une situation de guerre un peu bloquée telle que l'Afghanistan la connaît depuis 1979."
"L’Afghanistan n’est jamais sorti de la guerre malgré l’intervention de 46 pays, et cette guerre s’est aggravée avec les talibans. La guerre n’a été ni bien préparée ni bien menée", explique l’ancien ambassadeur de l’Afghanistan en France Zalmaï Haquani.
"Il y a certes eu des progrès, Kaboul n’est plus en ruines et les femmes peuvent travailler, étudier, mais le bilan est négatif. C’est un désastre pour l’Afghanistan aujourd’hui, qui n’a pas retrouvé la paix et la sécurité malgré vingt d’années d'efforts. Et on ne sait pas où on va après ce retrait."
Zalmaï Haquani, ancien ambassadeur de l'Afghanistan en Franceà franceinfo
Peut-on redouter une reprise des combats après le départ des soldats américains ?
Pour justifier le retrait américain, Joe Biden explique que l'armée était intervenue pour "s'assurer que l'Afghanistan ne serve pas de base pour attaquer à nouveau" l'Amérique. Un objectif "rempli" selon lui, même si les doutes autour de la stabilité du pays sont nombreux. La Russie dit redouter une "escalade" qui "pourrait saper les efforts" de paix, alors que certains alliés des Etats-Unis ont aussi exprimé leurs réserves sur l'annonce américaine qui, selon la Belgique, risque de "diminuer la pression sur les talibans".
Les insurgés, qui avaient été chassés du pouvoir en 2001 par les Américains, ont progressivement repris du poids dans le pays. Ils ont entamé des négociations de paix directes inédites avec le gouvernement de Kaboul et du président afghan Ashraf Ghani, mais ces pourparlers piétinent. Ce qui fait craindre une éventuelle reprise des combats après le retrait américain.
Interrogé par RFI, le spécialiste de l'Afghanistan Gilles Dorronsoro explique que le retrait des troupes américaines ouvre la voie à deux scénarios : "un gouvernement d'union nationale qui permettrait aux talibans de s'installer à des postes de gouvernement et de prendre progressivement le pouvoir" ou "une vague d'offensives des talibans" dès le départ américain en cas d'absence d'union avec le gouvernement afghan.
Pour Zalmaï Haquani, "les Américains quittent le pays au mauvais moment, car le gouvernement afghan n’a pas les capacités d'assurer la paix et la sécurité en ce moment". Ce qui plonge l’Afghanistan dans "l’inconnu", avec le risque "d’entrer dans la guerre civile".
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