Policier incarcéré à Marseille : on vous explique la polémique autour des propos du patron de la police nationale

Frédéric Veaux s'est dit favorable, dimanche, à la libération de l'agent de la BAC détenu dans le cadre d'une enquête sur des violences policières. Des déclarations qui provoquent l'indignation d'élus de l'opposition et de magistrats.
Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le patron de la police Frédéric Veaux à Versailles (Yvelines), le 31 mars 2023. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Le savoir en prison m'empêche de dormir." Le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, s'est prononcé, dimanche 23 juillet, pour la libération du policier de la BAC de Marseille placé en détention provisoire dans le cadre d'une enquête sur des soupçons de violences policières commises en marge des émeutes début juillet. Sur Twitter, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, a dit "partager les propos du DGPN".

Une prise de position qui a provoqué l'ire d'élus de l'opposition et de syndicats de magistrats, dénonçant une atteinte à l'indépendance de la justice. Depuis la Nouvelle-Calédonie où il est en déplacement, Emmanuel Macron a rappelé lundi que "nul en République n'est au-dessus de la loi". Franceinfo fait le point.

Un policier de la BAC de Marseille incarcéré pour des soupçons de violences policières

Quatre policiers de la BAC de Marseille ont été mis en examen jeudi pour "violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours", aggravées par trois circonstances, puisqu'elles ont été "commises en réunion, avec usage ou menace d'une arme" et par "personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions", a précisé le parquet de Marseille. Trois d'entre eux ont été placés sous contrôle judiciaire et remis en liberté avec interdiction d'exercer, et le quatrième a été placé en détention provisoire au centre pénitentiaire d'Aix-Luynes.

Les fonctionnaires sont soupçonnés de violences policières sur un jeune homme de 21 ans, dans la nuit du 1er au 2 juillet à Marseille, en marge des émeutes survenues après la mort du jeune Nahel à Nanterre. La victime, Hedi, a raconté qu'il était simplement venu faire la fête à Marseille avec un ami quand des policiers se sont "rués sur eux" vers 2 heures du matin. Son avocat, Jacques Preziosi, précise que son client n'a pas de casier et qu'il a "reçu des coups de poing, de pied, a la mâchoire cassée et l'œil gauche qui ne voit plus", cite France 3 Provence-Alpes Côte d'Azur. 

"Je me souviens de leur matraque, de leurs gants à coques et de leur arme de service à la taille", a raconté Hedi auprès de Mediapart. "Je sentais un truc énorme dans mon crâne qui me brûlait", a précisé le jeune homme, qui souffre d'un traumatisme crânien et d'une fracture de la mâchoire.

Le patron de la police dénonce cette incarcération

Interrogé par Le Parisien, le directeur général de la police nationale (DGPN) s'est ému du placement du policier en détention provisoire : "Le savoir en prison m'empêche de dormir." Plus généralement, Frédéric Veaux "considère qu'avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison, même s'il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail", hors des "affaires qui concernent la probité ou l'honnêteté". Pour le DGPN, "lorsqu'un policier est dans l'exercice de sa mission, on doit admettre qu'il peut commettre des erreurs d'appréciation".

Frédéric Veaux a également appelé à ce que des "moyens techniques et judiciaires" soient trouvés pour que le policier de la BAC à Marseille "retrouve la liberté".

"Lors des émeutes, les policiers sont souvent intervenus dans un contexte de chaos total. On ne peut pas s'abstraire de ce contexte. "

Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale

au "Parisien"

Sur Twitter, le syndicat de police Alliance a salué ces déclarations. "Un policier mis en cause possède des garanties de représentation et doit toujours rester en liberté lorsque la justice lui demande de s'expliquer", a soutenu Fabien Vanhemelryck, son secrétaire général.

Invité de franceinfo, le secrétaire national de SGP Police FO, Jean-Christophe Couvy, a assuré que les policiers ne voulaient pas "être au-dessus des lois" mais a défendu le métier "très compliqué" qu'ils exercent. Le syndicat appelle à changer la loi et demande un statut spécifique pour les policiers "mis en cause ou mis en examen". Sur CNews, David Le Bars, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la Police nationale, a déclaré soutenir "à 100%" les propos de Frédéric Veaux et estimé que pour un policier, "c'est pas sa place d'aller en prison avec des voyous".

Des élus de l'opposition et le monde judiciaire condamnent les propos

Dans un communiqué commun, LFI, EELV et le PS ont mis en garde : "Cette prise de position de la plus haute autorité policière est extrêmement grave et inquiétante. Elle a été rendue possible par l'absence de réaction de l'autorité politique après la publication d'un communiqué inacceptable des syndicats Alliance et Unsa Police déclarant 'faire la guerre' au peuple de 'nuisibles'."

"L'alerte est désormais maximale. Si ces comportements, qui mettent directement en cause l'indépendance de la justice, ne sont pas punis, ils seront très vite surenchéris."

LFI, EELV et le PS

dans un communiqué commun

Les syndicats de la magistrature ont également défendu l'indépendance de la justice. "En voulant éteindre un incendie, Frédéric Veaux en allume un autre. Il continue de sous-entendre qu'il faut opposer la justice et la police alors que nous travaillons ensemble", a déclaré auprès de franceinfo Cécile Mamelin, vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats. Le Syndicat national de la magistrature a également pourfendu "une tentative de déstabilisation gravissime" de la justice. "Les policiers, comme les autres, sont soumis à la loi pénale", a rappelé la secrétaire générale du Syndicat national de la magistrature, Nelly Bertrand, auprès de franceinfo.

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), instance garante de l'indépendance de la justice en France, a rappelé dans une "mise au point" que la justice était "la seule légitime pour décider du placement ou non en détention provisoire des personnes qui lui sont présentées". Le président du tribunal judiciaire de Marseille, Olivier Leurent, a pour sa part souligné que "l'indépendance de la justice [étai]t un principe constitutionnel et une garantie essentielle dans un Etat de droit".

Ce n'est pas la première fois que des représentants de la police incriminent la justice. En 2021, lors d'un rassemblement de policiers devant l'Assemblée nationale, le secrétaire général du syndicat Alliance avait déclaré : "Le problème de la police, c'est la justice !" Mais les propos de Frédéric Veaux sont inédits, selon le directeur de recherche au CNRS Sebastian Roché. "Le fait que les plus hauts fonctionnaires de la police relayent et anticipent les désirs ou les propositions des syndicats, jamais on n'a vu ça sous la Ve République", clame-t-il, interrogé sur franceinfo. "Dans les démocraties, les fonctionnaires ont un devoir d'impartialité et de réserve. Là, ils franchissent le Rubicon."

Gérald Darmanin apporte son soutien, Emmanuel Macron temporise

L'entourage du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a assuré auprès de franceinfo que "le DGPN avait toute la confiance du ministre". Lors de son interview depuis la Nouvelle-Calédonie, lundi, Emmanuel Macron a précisé qu'il ne commenterait pas la décision judiciaire concernant le policier de la BAC de Marseille. "L'Etat de droit suppose la présomption d'innocence pour tout le monde et le respect de la loi pour chacun", a-t-il souligné. Emmanuel Macron a dit comprendre "l'émotion" chez les policiers qui "ont eu le sentiment d'être confrontés à la violence la plus extrême", tout en précisant que "nul en République n'est au-dessus de la loi."

Une formule reprise par le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. "La justice doit poursuivre son travail dans la sérénité et en toute indépendance", a ajouté le ministre de la Justice sur Twitter.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.