Un an après le déraillement du TGV Est, où en est l'enquête ?
Vitesse excessive, négligence humaine, organisation défaillante… Les premiers éléments de l'enquête sur le déraillement du TGV Est le 14 novembre 2015, qui a coûté la vie à onze personnes, mettent en lumière les causes et responsabilités de l'accident.
C'est la pire catastrophe ferroviaire de l'histoire du TGV. Pourtant, le déraillement d'un train d'essai au niveau de la commune d'Eckwersheim (Bas-Rhin), le 14 novembre 2015, est passé presque inaperçu, au lendemain des attentats meurtriers de Paris et Saint-Denis. Un an après, une commémoration se déroule sur les lieux de l'accident, qui a fait 11 morts et 42 blessés. Franceinfo fait le point sur l'enquête, qui a déjà permis la mise en examen de trois personnes.
Le déroulement des faits
Ce 14 novembre 2015, l'essai de la SNCF doit certifier un tronçon de ligne à grande vitesse (LGV) entre Paris et Strasbourg. Le but : relier les deux villes en 1h48 au lieu de 2h20, ce qui sera finalement le cas en juillet 2016, avec trois mois de retard. A bord de la rame se trouvent une cinquantaine de personnes, dont quatre enfants et adolescents.
L'accident se produit à 15h04, à la sortie de la nouvelle section rapide, juste avant le point de raccordement avec la voie classique, à 20 km de Strasbourg. Le train déraille à l'entrée d'une courbe, avant de percuter un pont puis de basculer dans le canal de la Marne au Rhin, à Eckwersheim. Le bilan est très lourd : 11 morts et 42 blessés.
Une vitesse excessive et un freinage tardif
Dès le début de l'enquête, la vitesse est mise en cause. Sur le tronçon de la ligne à grande vitesse, le train est monté jusqu'à 352 km/h, comme prévu. Mais, au moment d'aborder la ligne de raccordement, le TGV n'a pas réussi à réduire suffisamment sa vitesse. Sur la voie classique, celle-ci était limitée à 176 km/h. Or, les boîtes noires ont enregistré une vitesse de 265 km/h, soit 89 km/h de trop, et le train a déraillé à 243 km/h.
Selon les deux ex-ingénieurs d'Alstom chargés du rapport judiciaire d'étape révélé par Le Parisien fin octobre, les calculs visant à déterminer les zones où le TGV devait freiner étaient erronés. Pour passer de 330 km/h à 176 km/h, l'équipe de conduite aurait dû freiner trois kilomètres avant le point kilométrique 403. Or, la feuille de route ne prévoyait ce freinage que deux kilomètres avant. Dans les faits, le train n'a freiné qu'un kilomètre avant, sur ordre du cheminot chargé d'encadrer les conducteurs. Celui-ci a expliqué aux enquêteurs que lors d'un essai effectué le matin même, le TGV avait disposé de suffisamment de marge pour ralentir. Une analyse faussée, souligne Le Parisien. En réalité, lors de cet essai, le freinage avait eu lieu 2,5 km plus tôt que ce que la feuille de route prévoyait.
Autre point qui aurait dû inquiéter la SNCF : un premier essai, réalisé en sens inverse par la même équipe de pilotage trois jours avant, avait déjà failli tourner au drame. Qualifié de "quasi-accident" par les experts, ce test avait révélé la grande difficulté du conducteur à respecter les vitesses inscrites sur sa feuille de route, mais n'avait pas fait l'objet d'un compte-rendu approfondi.
L'organisation des essais mise en cause
Un rapport du cabinet Technologia, spécialiste de la prévention des risques professionnels, révélé par Le Parisien en août, pointe également la responsabilité de Systra, une filiale de la SNCF et de la RATP, chargée d'organiser les essais. Le cabinet d'expertise s'interroge ainsi sur le débranchement, lors des essais en survitesse, du système qui empêche les trains de dépasser la vitesse limite. Les documents qui réglementent les essais sont aussi trop approximatifs, selon les experts, qui critiquent enfin une chaîne de commandement diffuse.
La présence d'invités à bord est également un dysfonctionnement préoccupant. La pratique était très courante mais n'était encadré par aucun texte. Par ailleurs, la rame accueillait 53 personnes, soit quatre de plus que la liste validée par les responsables de l'essai. Parmi elles se trouvaient quatre enfants âgés de 10 à 15 ans. De plus, une photo prise dans la cabine de pilotage montre une plaque limitant à quatre le nombre de personnes pouvant y prendre place. Le jour de l'accident, elles étaient sept.
Trois personnes mises en examen
Le 12 octobre, deux salariés de la SNCF, un conducteur et un "cadre transport traction", et un salarié de Systra, un "pilote traction", ont été mis en examen pour homicides et blessures involontaires. Les trois hommes avaient été entendus en garde à vue par les gendarmes de la section de recherches de Strasbourg, saisie des investigations sous l'autorité du pôle accidents collectifs du tribunal de grande instance de Paris.
Mais la SNCF et Systra pourraient aussi être inquiétées, en tant que personnes morales. Selon le rapport judiciaire d'étape, deux prescriptions n'ont pas été respectées : réaliser les essais à la vitesse de "signalisation" (utilisée lors de l'exploitation commerciale du train) et transporter un nombre maximal de 30 passagers, qui peut être exceptionnellement porté à 50.
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