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Elections régionales : entre déni et prise de conscience, les politiques peinent à assumer leurs responsabilités dans l'abstention

La participation historiquement faible du premier tour des élections régionales et départementales forcera-t-elle la classe politique à faire son mea culpa ?  

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Premier tour des élections régionales et départementales au Pré Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), le 20 juin 2021.  (MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS / AFP)

Ils se sont tous réveillés avec la gueule de bois. Au lendemain du premier tour des élections régionales et départementales, marqué par une abstention massive avec près de 70% d'électeurs absents des bureaux de vote, les responsables politiques cherchent encore à comprendre ce chiffre record. "Dans les derniers jours de campagne, je pensais que les gens s'intéressaient de plus en plus à ces élections mais dès dimanche matin, mon espoir a été douché", soupire Philippe Olivier, le conseiller spécial de Marine Le Pen.

A La République en marche aussi, "on a eu l'illusion que la campagne se passait bien avec des visios qui attiraient du monde", renchérit le porte-parole du mouvement, Roland Lescure. Mais, ajoute celui qui est aussi député, "le vrai défi des campagnes numériques, c'est de sortir de la bulle et de rejoindre la majorité silencieuse". Force est de constater que la majorité silencieuse est restée chez elle, préférant bouder les urnes. Alors à qui la faute ? A la crise sanitaire ? Au déconfinement et au retour des beaux jours ? A la complexité d'un scrutin doublé d'une méconnaissance des compétences des régions et des départements ? Et si c'était la faute des politiques eux-mêmes ?

"Je ne sais pas ce que l'on peut faire de plus"

Vous ne trouverez pas une réponse unanime de la classe politique à cette question. Si certains assument pleinement leur part, d'autres la rejettent. Chez LREM, par exemple, point de dérobade. "Nous n'avons pas réussi à intéresser les Français", tranche la ministre en charge du Logement et tête de liste dans le Val-de-Marne, Emmanuelle Wargon. 

"Nous sommes tous collectivement responsables."

Emmanuelle Wargon, ministre

à franceinfo

"Bien sûr, il y a le contexte du Covid mais il y a un mouvement de fond qui est bien plus large", ajoute Emmanuelle Wargon. "On ne peut pas être responsable politique sans assumer une part de responsabilité dans cette abstention, c'est trop facile de pointer les autres", abonde Roland Lesure.

Du côté d'Europe Ecologie-Les Verts, on assume... sans trop se mouiller non plus. "Vous ne trouverez personne chez les écolos pour dire que c'est la faute des autres et que nous n'y sommes pour rien", commente l'entourage de l'eurodéputé Yannick Jadot, avant d'ajouter cette pirouette : "Malgré tout, on pense que plus on met de contenu dans le discours politique, moins on est responsable du désintérêt de la politique. Et nous, on a plutôt tendance à mettre du contenu." 

Au Rassemblement national, on a du mal à voir ce qu'il aurait fallu faire pour intéresser les électeurs. "Je ne sais pas ce qu'on peut faire de plus, on était présent partout", confesse Philippe Olivier. L'eurodéputé pointe aussi la responsabilité des électeurs et "leur individualisme". "Il faut faire comprendre aux gens qu'être citoyen, ce n'est pas seulement appuyer sur un bouton pour avoir des prestations, c'est aussi participer au débat public", glisse-t-il.

"Les autres élections paraissent accessoires"

La faute aux électeurs ? Il n'est pas le seul à le penser. Au PS, un responsable de premier plan se lâche carrément : "Je n'ai pas envie d'une sorte de flagellation collective. Je suis un peu en colère, il faut que les électeurs aussi se posent la question de leur responsabilité. Ils ne peuvent pas en avoir rien faire de la façon dont sont gardés leurs enfants, de l'entretien des routes, de la cantine dans les lycées, de la manière dont sont gérés les Ehpad..." 

"Ce sont les électeurs qui font une mauvaise manière à la démocratie, pas le contraire."

Un responsable socialiste

à franceinfo

Pour ce dernier, "après l'abstention des électeurs, il y aura l'abstention des élus". En clair, les candidats eux-mêmes pourraient jeter l'éponge et ne plus se présenter. 

A La France insoumise, on ne pointe pas un supposé "je-m'en-foutisme" des électeurs mais on s'exonère de toute responsabilité. "On ne se sent pas vraiment responsable de l'abstention", affirme le député Eric Coquerel, expliquant que leur proposition d'une VIe République, portée depuis de nombreuses années par Jean-Luc Mélenchon, permettrait de bien mieux inclure les citoyens au processus démocratique. "La réponse à l'abstention, c'est carrément un changement de République, on souffre trop de quelque chose où tout est renvoyé au président", poursuit l'élu insoumis.

Avant d'arriver à un tel bouleversement, ils sont plusieurs responsables à pointer du doigt le problème du quinquennat qui fait tout tourner autour de la présidentielle. 

"La présidentielle écrase les autres élections, les gens ont l'impression que seule la présidentielle compte."

Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen

à franceinfo

"On ne parle plus que de la présidentielle, les autres élections paraissent accessoires", appuie l'entourage de Yannick Jadot. Au-delà du quinquennat, c'est tout le "millefeuille administratif" qu'il faut revoir, selon le RN. "Il faut une clarification des compétences et des différents échelons. Pourquoi ne pas avoir un conseiller qui fait à la fois la région et le département ?" interroge Philippe Olivier.

"Je ne me vois pas rester les bras ballants"

Voilà pour le fond. Pour la forme, ils sont plusieurs à demander d'urgence à moderniser le vote. "Il faut réouvrir la question du vote par procuration mais aussi du vote par internet. Il faut que l'on vote comme au XXIe siècle et non plus comme au XIXe", assure Emmanuelle Wargon. La ministre plaide aussi pour une modernisation de la propagande électorale qui n'arrive que par papier. 

Vote électronique, vote par internet, dématéralisation des professions de foi... Jean-Luc Mélenchon a lui annoncé le dépôt d'une proposition de loi pour un seuil minimum de participation pour qu'une élection soit valide. Cela pose la question du vote obligatoire. Pourquoi pas, répond un responsable socialiste. "Il faut tout envisager,  on ne peut pas continuer comme ça avec 70% des gens qui n'en ont rien à foutre.." lâche-t-il. 

Avant d'arriver à ces lointaines solutions, il s'agit dans l'immédiat de remobiliser au plus vite l'électorat. Même si tous sont lucides : un sursaut de participation dimanche prochain tiendrait du petit miracle. Alors, que faire pour tout de même ramener quelques électeurs en plus ? Du terrain, du terrain et encore du terrain. Il s'agit de la seule arme dont semblent disposer à l'heure actuelle les politiques. "On va mobiliser sur le terrain pour que le deuxième tour ne soit pas joué d'avance", veut croire Emmanuelle Wargon. "On doit faire preuve d'une extrême humilité et aller à la rencontre des gens", appuie Roland Lescure.

Les électeurs les écouteront-ils ? Rien n'est moins sûr tant le fossé entre les citoyens et leurs représentants se creusent. A défaut d'un grand mea culpa de la classe politique, les élus ont tous conscience de l'urgence démocratique. "Il faut que l'on trouve quelque chose pour redonner à la citoyenneté sa noblesse, lance Philippe Olivier. Je ne me vois pas rester les bras ballants devant ce désastre civique." 

"Il y a fondamentalement une désillusion qui progresse. C'est l'idée que la politique n'est plus l'outil du changement et cette désillusion est inquiétante car nos démocraties sont fondées sur l'élection", alerte l'entourage de Yannick Jadot. Même inquiétude chez LFI. "Quand seuls trois Français sur dix votent, c'est toute la légitimité du vote qui est atteinte", pointe Eric Coquerel.

"La démocratie ne va pas sans arrêt pouvoir survivre."

Eric Coquerel, député LFI

à franceinfo

Une impuissance collective semble se dégager de nos politiques. Les nuages noirs qui s'accumulent depuis plusieurs décennies se sont soudainement transformés en orage. "Tout ça va mal finir..." murmure même un responsable socialiste. 

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