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Instaurer une VIe République ? Cinq questions pas si bêtes sur la promesse de Jean-Luc Mélenchon

Le candidat de la France insoumise a fait du renouvellement des institutions, sa promesse phare de campagne. En quoi consiste-t-elle vraiment ? Franceinfo fait le point.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une affiche de campagne de Jen-Luc Mélenchon, à Paris, le 10 avril 2017. (IRINA KALASHNIKOVA / SPUTNIK)

C'est une proposition "au cœur de [la] stratégie révolutionnaire" de Jean-Luc Mélenchon. Déjà présente dans son programme présidentiel de 2012, le candidat de la France insoumise a fait de l'instauration d'une VIe République l'une des promesses phares de sa campagne. A l'entendre, il est urgent de mettre fin "à la monarchie présidentielle" et de remettre le peuple "au cœur de la décision publique".

S'il est élu, l'eurodéputé promet donc d'être "le dernier président de la Ve République", près de 60 ans après le premier, Charles de Gaulle. Pour y parvenir, Jean-Luc Mélenchon propose de convoquer une Assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Comment serait-elle mise en place ? Qu'est-ce que ça changerait concrètement ? Franceinfo fait le point.

Mais pourquoi changer de République ? Elle n'est pas bien la Ve ?

Pour le candidat de la France insoumise, la Ve République souffre d'une crise démocratique. Les symptômes : une hausse de l'abstention aux élections, l'"irresponsabilité" des élus et le manque de représentation du peuple, explique l'équipe de Jean-Luc Mélenchon dans l'un de ses livrets de campagne consacré au sujet.

Nous vivons dans une monarchie présidentielle. (...) Ce régime est celui de la dépossession du peuple.

Jean-Luc Mélenchon

L'origine de ces "maux" serait enracinée dans les institutions de la Ve République. "La Constitution actuelle vient d’une autre époque, 1958, on finissait les guerres coloniales, décrit-il dans l'un de ses vidéos de campagne sur YouTube. Maintenant, le pays a beaucoup rajeuni, il a été éduqué."

En 1958, lorsque le général De Gaulle impose la rédaction d'une nouvelle Constitution, le texte vise à donner un pouvoir important à l'exécutif par rapport au législatif, explique Le Monde. Le président de la République a le droit de dissoudre l'Assemblée, mais cette dernière ne peut pas le renverser. Les opposants au régime y voient une négation du peuple au profit du chef de l'Etat. "Le président de la République n’est responsable devant personne, développe le groupe de travail qui a rédigé le livret de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Il peut très bien bafouer tous ses engagements de campagne, sachant qu’il n’encourt aucune sanction."

La critique n'est pas nouvelle. En 1964, déjà, François Mitterrand publiait Le Coup d'Etat permanent, dans lequel il dénonçait l'omniprésence du président, et la pratique gaullienne du pouvoir. Au cours de sa carrière politique, l'ancien ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg, a à plusieurs reprises appelé une VIe République de ses vœux, tout comme l'ancienne ministre de l'Ecologie, Cécile Duflot.

Il veut quoi au juste Jean-Luc Mélenchon ? Qu'il n'y ait plus de président ?

Ce n'est pas très clair. Jusqu'à présent, Jean-Luc Mélenchon n'a pas franchement détaillé ses souhaits précis pour cette future Constitution. Ce sera à une Assemblée constituante de plancher sur le sujet. Si cette dernière supprime la fonction présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a d'ores et déjà affirmé qu'il "s'en irait". En revanche, si le texte prévoit l'élection d'un nouveau chef de l'Etat, il "pourrait se représenter" et mener campagne pour devenir le premier président de la VIe République, après avoir été "le dernier de la Ve".

En attendant le nouveau texte, Jean-Luc Mélenchon exercera les fonctions "normales" de président : "Quand je suis élu, je suis élu dans le cadre de la Ve République, je serai président. L'Assemblée nationale – qui j’espère sera remplie de députés de la France insoumise – travaillera normalement."

Si aucune des mesures de la nouvelle Constitution n'est donc connue d'avance, Jean-Luc Mélenchon promet tout de même qu'il fera "des propositions en cours de route", sans évoquer de date précise. "Mais je ne vais pas dire moi ce qu'il y aura dans la Constitution", prévient-il dans une de ses vidéos de campagne. Il évoque tout de même "la garantie des libertés individuelles comme le droit à l’avortement, le droit de mourir dans la dignité ou encore l'inscription de la 'règle verte' : on ne prend pas plus à la terre ce qu’elle est capable de reconstituer". Il propose aussi le droit de révoquer les élus durant leur mandat.

Concrètement, cette VIe République, comment on la met en place ?

Pour "refonder la République", le candidat à l'Elysée prévoit de convoquer, par référendum, une Assemblée constituante dont le seul mandat sera d'élaborer la Constitution de la future VIe République. "Si je suis élu, j’utilise l’article 11 de la Constitution actuelle pour convoquer un référendum qui décide de la tenue de l’Assemblée constituante", explique-t-il dans sa vidéo de campagne.

L'article 11 de la Constitution de 1958 prévoit que le président puisse "soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics". "Si Jean-Luc Mélenchon est élu, comme cette proposition est centrale dans son programme, on peut penser que les électeurs vont accepter de convoquer l'Assemblée constituante", développe Raquel Garrido, porte-parole de la France insoumise et auteure du Guide Citoyen de la VIe République (éd. Fayard) à franceinfo.

Une fois cette Assemblée constituante créée, le peuple sera appelé à désigner ses membres, les "constituants", au suffrage universel direct. Ce scrutin serait organisé au second semestre 2017, pour que l'Assemblée se mette en place "au 1er janvier 2018 au plus tard", reprend le livret de campagne.

Qui seront ces fameux "constituants" ?

Les futurs "constituants" seront à la fois des personnalités élues au scrutin de liste et des hommes et des femmes tirés au sort, sur le même principe que les jurés d'assises actuels. "Le jour de l'élection des 'constituants', il y aura des bulletins de listes et des bulletins 'tirages au sort'", détaille Raquel Garrido. Chaque liste obtiendra un nombre de sièges proportionnels à ses suffrages et "si X% [des Français] optent pour le tirage au sort, X% des sièges seront pourvus par tirage au sort", précise la France insoumise.

A la fin, l'Assemblée constituante devrait contenir "environ 500 sièges", précise Raquel Garrido, à peu près autant que le nombre de députés à l'Assemblée nationale. Tous les partis pourront présenter une liste, qui devra être nationale, proportionnelle et paritaire. "Si le FN souhaite participer à la Constituante, il devra constituer une liste", poursuit Raquel Garrido.

Selon la France insoumise, cette combinaison d'élus et de tirés au sort permet de garantir l'émergence d'idées et la représentation de tous les points de vue. Par les tirés au sort, "vous espérez que statistiquement, vous ayez une représentation de tous les points de vue dans la société", note Jean-Luc Mélenchon sur YouTube. "Pourquoi des élus ? Parce qu'il y a des sujets, c’est pas au sort que vous allez trouver la réponse. Il faut qu’il y ait des gens qui aient des opinions." L'Assemblée aura jusqu'au premier semestre 2020 pour rendre sa copie, note le journal Politis (article payant).

Afin d'éviter tout conflit d'intérêts, aucun parlementaire présent ou passé ne pourra siéger au sein de la Constituante. Ses membres ne pourront eux-mêmes pas se porter candidats aux fonctions politiques qu’ils auront créées dans la nouvelle Constitution.

Ce ne serait pas plus simple de juste modifier la Constitution actuelle ?

Pour certains constitutionnalistes, rien n'oblige à changer la Constitution pour faire passer ces propositions, il suffit de la modifier. La Constitution actuelle peut être révisée : cela a d'ailleurs été fait à 24 reprises depuis sa création, précise Le Monde. Le candidat socialiste à la présidentielle, Benoît Hamon, propose par exemple d'y inscrire l’élection de l’Assemblée nationale à la proportionnelle ou le retour à un septennat présidentiel, non renouvelable.

Mais les parlementaires passent leur temps à dire qu'ils vont réviser la Constitution, et dans les faits, ils ne le font jamais. La révision, c'est le système qui se protège ! Nous, on veut que le peuple refonde la République, il faut lui faire confiance.

Raquel Garrido

à franceinfo

Pour le politologue Philippe Braud, Jean-Luc Mélenchon "veut une VIe République qui rappelle fâcheusement l'échec constitutionnel de 1946", quand un premier projet de Constituante avait été rejeté par référendum avant que ne soit adopté un second projet donnant naissance à la IVe République, marquée par "une instabilité institutionnelle record", décrit-il à 20 Minutes. "L'histoire montre qu'il n'y a des assemblées constituantes qu'après une guerre ou après une révolution, car on détruit l'ordre politique existant", poursuit Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, interrogé par le quotidien.

Détruire l'ordre politique existant, le projet n'est pas si éloigné du candidat de la France insoumise, comme il l'avait lui-même confié sur le plateau d'"On n'est pas couché", le 11 mars dernier.

La première raison qu'il y a de voter pour moi, c'est de balayer tout ça et de créer une nouvelle règle du jeu.

Jean-Luc Mélenchon

sur France 2

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