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Crise climatique : les programmes d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen permettent-ils de respecter l'accord de Paris ?

Le prochain président ou la prochaine présidente de la République devra prendre des décisions importantes pour limiter le réchauffement climatique. Franceinfo a mis à jour son comparatif des promesses des candidats en tenant compte des annonces de l'entre-deux-tours.

Article rédigé par Camille Adaoust, Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Le programme d'Emmanuel Macron est plus proche des objectifs climatiques de la France que celui de Marine Le Pen (GETTY IMAGES / CORBIS)

Le quinquennat à venir sera déterminant pour la lutte contre le réchauffement climatique. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a averti, lundi 4 avril, que les émissions de gaz à effet de serre mondiales devaient commencer à baisser d'ici 2025 au plus tard pour limiter les dégâts et conserver un monde "vivable".

Pour ce faire, Emmanuel Macron ou Marine Le Pen trouveront sur leur bureau à l'Elysée la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), un document officiel qui décrit secteur par secteur – transports, bâtiments, agriculture, industrie, etc. – les efforts importants à réaliser. Une feuille de route que les gouvernements successifs peinent à respecter depuis sa mise en place en 2015.

Les programmes des deux candidats finalistes de la présidentielle sont-ils compatibles avec cette stratégie ? Avant le premier tour, franceinfo avait réalisé une première évaluation, en collaboration avec l'association Les Shifters, de leurs promesses. Alors que le sujet est au cœur de l'entre-deux-tours, notre rédaction a mis à jour ce travail, en tenant compte des nouvelles promesses de campagne.

Emmanuel Macron plus proche des objectifs climatiques de la France que Marine Le Pen

Notre première évaluation n'avait pas placé les deux candidats finalistes parmi les bons élèves d'une classe politique où personne n'était tout à fait dans les clous de l'accord de Paris. Le programme d'Emmanuel Macron était jugé "éloigné" des objectifs climatiques de la France et celui de Marine Le Pen "très éloigné, voire contraire"

Les programmes d'Emmanuel Macron et Marine Le Pen par rapport aux objectifs climatiques de la France. (FRANCEINFO)

Deux visions divergentes du problème

Si aucun des deux finalistes ne conteste le consensus scientifique sur le réchauffement climatique, ils ont une approche bien différente du problème.

• Marine Le Pen s'est montrée très critique du cadre international climatique, en dénigrant le Giec, le Green Deal européen, le Fonds vert pour le climat et l'accord de Paris. La candidate du Rassemblement national ne souhaite pas sortir de cet accord historique, mais affirme que la France y répondra "par les moyens qu'elle aura choisis, au rythme et selon les étapes dont elle aura décidé", ce qui peut revenir à ne pas le respecter. Contacté par franceinfo, son entourage a vertement critiqué la Stratégie nationale bas carbone, en la qualifiant de "loi socialiste". Enfin, la candidate RN est fermement opposée à l'éolien et au solaire, deux énergies pourtant centrales dans tous les scénarios de transition énergétique (RTE, Négawatt, Ademe, Giec, AIE). Pour toutes ces raisons, franceinfo.fr avait évalué, avant le premier tour, le programme de Marine Le Pen comme "très éloigné, voire contraire" aux objectifs climatiques de la France.

• Emmanuel Macron, lui, ne conteste pas le cadre international. Le président sortant ne remet pas non plus en cause la SNBC, adoptée sous François Hollande puis modifiée sous son quinquennat. Certaines de ses propositions, comme sur la production d'électricité, la volonté de confier la "planification écologique" à son futur Premier ministre ou la rénovation énergétique des logements, sont cohérentes avec cette feuille de route. Dans l'entre-deux-tours, il a promis "faire de la France la première nation à sortir du gaz, du pétrole et du charbon". Pourtant, durant son mandat, la France ne s'est pas engagée sur la bonne trajectoire. Il a depuis promis de faire mieux, mais son programme comporte de nombreuses lacunes : mobilités douces, préservation des sols, réduction de la consommation de viande... Comme l'avaient constaté Les Shifters dans leur analyse, le candidat "mise surtout sur la technologie" pour atteindre ses objectifs, un pari qui "laisse des incertitudes quant à la réalisation de la décarbonation dans les délais". Franceinfo.fr avait évalué, avant le premier tour, son programme comme "éloigné" des objectifs climatiques de la France. Son équipe de campagne avait alors plaidé pour la prise en compte de son bilan et des projets déjà votés.

Ce qu'ils proposent secteur par secteur

Pour les transports

• Marine Le Pen propose un plan de développement du ferroviaire et des mobilités douces mais ne prévoit aucune mesure pour réduire les déplacements en voiture et en avion pour décarboner le premier secteur émetteur en France (31% des émissions nationales).

• Emmanuel Macron veut électrifier le parc automobile, en proposant un système de location de "voitures électriques à moins de 100 euros par mois", une nouveauté présentée dans l'entre-deux-tours. Il mise également sur l'innovation, avec le pari incertain de l'avion bas-carbone en 2030.

Contrairement à ce que recommande la SNBC, aucun des deux candidats ne propose de mesures de sobriété pour "maîtriser la hausse de la demande de transport" ou de mesures pour "donner au secteur des signaux prix incitatifs" (c'est-à-dire augmenter les prix pour orienter les consommateurs vers des modes de transports moins polluants).

Pour les bâtiments

• Emmanuel Macron propose de rénover 700 000 logements par an, un rythme cohérent avec la Stratégie nationale bas carbone, dans ce secteur qui représente 17% des émissions françaises.

• Marine Le Pen traite peu du sujet, la candidate du Rassemblement national se contentant d'un "plan de réhabilitation de l'habitat ancien" aux contours flous.

Là encore, aucun des deux candidats ne propose de mesures de sobriété, contrairement à ce que recommande la SNBC. Rien n'est prévu non plus pour décarboner la consommation énergétique des bâtiments, en remplaçant par exemple les chaudières à fioul et à gaz.

Pour l'agriculture

• Marine Le Pen souhaite soutenir l'agriculture biologique et limiter le transport des aliments en imposant un objectif minimal de produits français dans les cantines.

• Emmanuel Macron mise lui sur la technologie pour décarboner le secteur (qui pèse 19% des émissions en France) grâce au numérique, à la robotique et à la génétique.

Aucun des deux candidats ne propose de mesures pour réduire la consommation de viande ou les émissions de protoxyde d'azote et de méthane, deux gaz à effet de serre produits par les engrais et l'élevage. Aucun des deux ne parle d'agroécologie, une pratique agricole plus respectueuse de l'environnement mise en avant dans la SNBC et dans les derniers rapports du Giec.

Pour les forêts 

• Emmanuel Macron a proposé durant l'entre-deux-tours "de planter 140 millions d'arbres pour la France" d'ici 2030. Mais la forêt apparaît très peu dans les programmes, malgré sa capacité à capter une partie de nos émissions.

• Marine Le Pen mentionne une fois la forêt dans son programme, avec le renforcement de la lutte contre l'orpaillage illégal un moyen de "préserver certaines surfaces forestières du défrichement".

Aucun des candidats ne prévoit de mesures pour renforcer les forêts françaises et les protéger du stress climatique.

Pour l'industrie

• Marine Le Pen s'attarde peu sur ce secteur, qui représente pourtant 19% des émissions, proposant seulement de relocaliser la production en France et d'investir dans la filière hydrogène, sans donner plus de précisions.

• Emmanuel Macron veut réduire de 35% d'ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre du secteur en ciblant les industries les plus polluantes : acier, ciment et chimie. Il privilégie là encore la technologie, avec notamment l'hydrogène vert, par rapport à la sobriété, qui n'est pas considérée.

Ni la candidate du Rassemblement national, ni le président sortant ne proposent de mesures précises pour diminuer la demande d'énergie et de matière du secteur, contrairement à ce que propose la SNBC.

Pour la production d'énergie

• Marine Le Pen veut relancer le nucléaire, en construisant 20 EPR, pour décarboner ce secteur responsable de 10% des émissions. Elle propose également un moratoire sur l'éolien et le solaire, une décision radicale qui va à l'encontre de tous les scénarios de transition énergétique.

• Emmanuel Macron mise lui aussi sur le nucléaire, avec six EPR, puis peut-être huit supplémentaires. Contrairement à sa rivale, il veut également développer l'éolien et le solaire, en particulier l'éolien offshore, avec un objectif de 50 parcs d'ici 2050.

Aucun des deux candidats ne propose de mesures de sobriété mises en avant par la Stratégie nationale bas carbone.

Pour les déchets

• Marine Le Pen veut mettre en place une "économie circulaire", en étiquetant les produits selon leur durée de vie et en traitant les déchets comme une "ressource stratégique". Mais elle ne donne pas de précision sur la manière dont elle compte s'y prendre.

• Emmanuel Macron propose lui de réduire les exportations de déchets en développant les filières industrielles françaises de recyclage mais ne prévoit rien pour réduire la production de déchets, un secteur qui pèse pourtant 4% des émissions.

Comment ils comptent s'y prendre

Sur la gouvernance

• Emmanuel Macron l'a promis en meeting à Marseille : "Mon prochain Premier ministre sera directement chargé de la planification écologique." Une manière de rectifier le tir, puisque la couverture de cet enjeu par Emmanuel Macron était jugée "partielle" par Les Shifters. L'échelon territorial a également été cité, avec la création d'un ministère de la Planification écologique territoriale, en plus du porte-feuille lié à la planification énergétique. Les Shifters soulignent toutefois un manque : "Aucune mention n'est faite de l'évaluation climatique des politiques", écrivent-ils.

• Marine Le Pen ne mentionne rien dans son programme dont l'ambition serait de "renforcer la cohérence ou l'évaluation de l'ensemble des politiques publiques nationales vis-à-vis des objectifs de décarbonation", notent Les Shifters, qui déplorent aussi l'absence d'indications sur l'implication des territoires.

Sur l'empreinte carbone

La SNBC appelle à mieux maîtriser les émissions induites par les produits que nous importons et d'encourager les acteurs économiques à prendre en compte cet aspect dans leurs activités.

• Marine Le Pen n'aborde pas directement le sujet dans son programme. La candidate RN propose de revoir les traités de libre-échange, mais sans préciser si les aspects climatiques seront un critère. Elle soutient aussi la relocalisation de productions actuellement faites à l'étranger, mais elle ne propose aucun mécanisme pour imposer des normes environnementales à l'import. Manquent également des mesures pour évaluer l'empreinte carbone des acteurs publics ou privés et celles en faveur d'une tarification mondiale du carbone.

• Emmanuel Macron propose l'instauration d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne. "Pour inciter les acteurs nationaux à limiter leur empreinte carbone, il prévoit d'indexer la rémunération des dirigeants des grandes entreprises sur le respect d'objectifs notamment environnementaux", notent également Les Shifters. Le président sortant fait aussi l'impasse sur la tarification mondiale du carbone et n'évoque pas la dimension climatique lors de la négociation de traités internationaux. Sa couverture de cet aspect est donc "limitée", même si elle reste davantage traitée que chez son adversaire.

Sur la politique économique

Selon la Stratégie nationale bas carbone, les politiques doivent favoriser les investissements pour la transition bas-carbone, assurer une transition juste pour tous et mesurer l'impact climatique des actions financées par des fonds publics.

• Emmanuel Macron souhaite consacrer 10 milliards d'euros chaque année à la transition écologique, écrivent Les Echos. Ce montant vient s'ajouter au plan France 2030, qui annonçait déjà des investissements dans plusieurs domaines de la transition. Toutefois, il n'envisage pas d'évaluer l'impact sur le climat des investissements et ne prend en compte l'aspect solidaire de la transition qu'au travers du bâtiment avec la rénovation des logements sans avance de frais et d'un système de leasing de véhicules électriques pour les familles modestes.

• Marine Le Pen entend de son côté orienter une partie de son fonds souverain à la transition écologique, sans plus de détails. Elle n'utilise toutefois "pas les leviers proposés par la SNBC pour réorienter les flux financiers publics et privés vers une transition écologique et solidaire", jugent Les Shifters. La candidate du RN "va même à son encontre" en proposant par exemple de baisser la TVA sur les produits énergétiques, dont les fossiles, augmentant donc leur attractivité.

Sur la recherche et l'innovation

• Marine Le Pen propose dans son programme (PDF) d'orienter une partie du fonds souverain vers l'innovation. Mais il n'est pas précisé s'il s'agira d'innovations particulièrement bas-carbone. "Le programme de la candidate ne permet donc pas, en l'état, d'atteindre les objectifs de la SNBC", jugent Les Shifters.

• Emmanuel Macron estime de son côté que l'innovation doit largement participer à la réduction de la consommation d'énergie. Elle doit notamment être un levier dans la production d'énergie – avec le nucléaire et les renouvelables –, l'agriculture, l'industrie ou les transports.

Sur l'urbanisme et l'aménagement

• Emmanuel Macron ne fait jamais référence à ce thème dans son programme, pas même à travers l'artificialisation des sols à contenir.

• Marine Le Pen propose de son côté une mesure contre les projets d'urbanisation de terres agricoles, privilégiant l'utilisation des friches commerciales et industrielles. Mais plusieurs mesures semblent par ailleurs aller à l'encontre de cet objectif. La candidate RN prévoit ainsi de construire des infrastructures de santé ou encore de rétablir les primes d'aménagement du territoire pour relocaliser des entreprises.

Sur l'éducation et la sensibilisation

• Marine Le Pen y fait référence une seule fois dans son programme, avec un étiquetage sur l'origine des produits alimentaires.

• Emmanuel Macron ne mentionne que la mise à disposition des informations sur l'impact environnemental des produits de consommation au moment de l'achat. Il a toutefois ajouté, lors de son meeting à Marseille, sa volonté d'organiser une fête annuelle de la nature, "pour susciter cette mobilisation générale de la nation pour l'environnement". Une manifestation qui existe déjà, à l'initiative de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Sur l'emploi et la formation professionnelle

• Emmanuel Macron souhaite l'accompagnement "d'un million de personnes aux métiers d'avenir". Le président sortant évoque également la création de plusieurs dizaines de milliers d'emplois dans le secteur du nucléaire, qu'il souhaite développer. Les mesures ne sont toutefois pas jugées suffisantes pour satisfaire les objectifs de la SNBC, d'après l'analyse des Shifters, qui notent qu'"aucune mesure relative à la gestion des compétences n'est présentée pour accompagner l'objectif de développement des différents secteurs qui connaîtront une mutation".

• Marine Le Pen n'avait que peu abordé ce sujet avant la publication récente de son livret consacré à l'écologie. Elle y évoque notamment la création de "formations professionnelles sur les métiers de la transition écologique" et l'incitation, pour les établissements scolaires, "à se doter des moyens nécessaires pour que chaque enfant côtoie la vie de végétaux ou d'animaux". Elle veut également former la fonction publique à la transition écologique.

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