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COP26 : où en est l'accord de Paris sur le climat, six ans après sa signature ?

En 2015, les pays du monde entier se sont entendus sur un accord historique pour limiter le changement climatique. Ils se retrouvent à Glasgow, cinq COP plus tard, pour accélérer leurs efforts. L'occasion de dresser le bilan de ce traité présenté à l'époque comme la dernière chance pour l'humanité de limiter les dégâts.

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L'adoption de l'accord de Paris, le 12 décembre 2015 au Bourget (Seine-Saint-Denis). (ESPECIAL / NOTIMEX / AFP)

C'était en 2015. A la tribune, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, adopte, d'un coup de marteau vert et sous les applaudissements, l'accord de Paris pour le climat (lien en PDF). L'objectif est ambitieux : contenir "l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels", idéalement sous les 1,5 °C. Six ans après, l'euphorie de Paris est retombée et l'objectif reste lointain, comme l'a rappelé le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, en septembre : "Le monde est sur un chemin catastrophique vers +2,7 °C de réchauffement".

Faut-il pour autant en conclure que l'accord est un échec ? Franceinfo dresse son bilan, alors que s'ouvre le 1er novembre, à Glasgow, en Ecosse, la COP26, le rendez-vous annuel des Etats pour lutter contre le changement climatique.

Des engagements internationaux insuffisants

En confiant à chaque pays le soin d'établir eux-mêmes, et à la carte, la hauteur de leurs engagements – via des "Contributions déterminées au niveau national" (NDC) –, l'accord de Paris a révolutionné le mode opératoire de la Convention cadre des Nations unies pour le climat.

"Avec les NDC, la base de l'accord de Paris est fondamentalement volontariste. Il n'était plus question d'un traité qui fixe les engagements et les contraintes d'en haut, et qui ne s'applique qu'à certains pays, mais bien de laisser les Etats décider de leurs ambitions en toute souveraineté, explique l'historienne des négociations climatiques Amy Dahan. Du coup, tout le monde a été embarqué, avec cette obligation de relever les ambitions régulièrement."

Mais à l'heure du bilan, si "les pays s'engagent à faire ce qu'ils pensent pouvoir faire", Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche au CNRS au sein du Centre d'études et de recherches internationales et communautaires (Ceric), s'alarme de "l'insuffisance des ambitions".

En septembre 2021, selon l'ONU, la somme des contributions des 191 parties signataires conduisait ainsi à une augmentation de 16% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en 2030 par rapport à 2010, avec à la clé une hausse "catastrophique" de la température d'environ 2,7 °C d'ici à la fin du siècle. "Aujourd'hui, on n'a pas suffisamment de nouvelles NDC plus ambitieuses que celles soumises il y a six ans", regrette Sébastien Treyer, directeur général de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Si l'UE a revu à la hausse ses engagements, passant d'un objectif de réduction de 40% à 55% de ces émissions d'ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, "certains pays, comme l'Australie, le Brésil, le Mexique ou la Nouvelle-Zélande disent ne pas pouvoir faire d'efforts supplémentaires".

"On peut toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Les engagements sont clairement insuffisants, mais c'est beaucoup mieux que ce qu'il se serait passé sans l'accord de Paris, soit une trajectoire vers un monde à +4 °C. Ce n'est pas du tout le même monde, ne l'oublions pas."

Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche au CNRS

à franceinfo

Certains pays parmi les plus gros émetteurs, comme l'Inde et la Chine, ne brillent pas par leur empressement à rectifier leur trajectoire. Mais certains de leurs progrès ne se traduisent pas dans les NDC, poursuit Sébastien Treyer, qui cite notamment les débats en Inde en faveur du photovoltaïque ou de récents arbitrages du gouvernement chinois au détriment du secteur du charbon. Des petits pas pour la communauté internationale, mais un grand signal envoyé aux industries fossiles. "Avec la dynamique collective qu'il impulse, l'accord de Paris a eu des effets sur les débats politiques internes qui peuvent être en avance sur le dépôt d'une NDC", explique l'expert. Il recommande cependant d'attendre 2023, date prévue par l'accord pour un premier point, avant de faire un bilan plus complet.

Des politiques nationales trop timides

Insuffisants, ces engagements sont en outre rarement suivis d'effets pour le moment. Selon l'indicateur Climate action tracker (en anglais), les politiques actuellement menées nous conduisent vers un monde à +2,9 °C (contre 2,4 °C si l'ensemble des engagements sont tenus, d'après l'évaluation de ce consortium d'ONG et de scientifiques). Selon ce même indicateur, un seul pays est actuellement aligné, à la fois par ses politiques et ses engagements, avec l'idéal du 1,5 °C mentionné dans l'accord de Paris : la Gambie, cet Etat africain voisin du Sénégal.

Même la France, patrie de l'accord, ne fait pas partie des bons élèves. Certes, des lois – sur la transition énergétique pour la croissance verte en 2015, la loi Climat et résilience en 2021 – ont été adoptées. Mais, comme l'a rappelé le Haut Conseil pour le climat dans son dernier rapport annuel (lien en PDF), "globalement, les politiques publiques ne sont pas assez alignées avec les orientations de la Stratégie nationale bas carbone", la feuille de route dont s'est doté notre pays pour diminuer ses émissions de GES. La même instance avait jugé que la loi Climat, le texte phare du quinquennat sur le sujet, ne "permettrait pas à la France de rattraper son retard dans la transition bas carbone".

"Le gouvernement dit qu'il a fait le maximum dans la loi Climat, mais tout a été atténué. Il y a des doubles discours tout le temps et partout."

Amy Dahan, historienne des négociations climatiques au CNRS

à franceinfo

Aux Etats-Unis, plus gros émetteur de GES de l'histoire, le début du mandat de Joe Biden a été marqué par le retour du pays dans l'accord de Paris. Mais les projets du successeur de Donald Trump sont pour le moment bloqués par le sénateur démocrate Joe Manchin, un ancien professionnel du charbon dont le vote est indispensable pour dégager une majorité à la chambre haute. Cet élu cherche par exemple à réduire les ambitions du Clean Electricity Performance Program (en anglais), un programme d'amendes et de subventions pour favoriser les énergies renouvelables, et à y inclure le gaz, une énergie fossile moins polluante que le charbon, mais plus que l'éolien ou le solaire.

De son côté, la Chine, pays qui a pris la place des Etats-Unis en 2006 comme premier émetteur de GES, continue de construire plus de centrales à charbon (PDF, en anglais) que les autres pays n'en ferment.

Une aide internationale trop maigre pour les pays pauvres

D'autres pays ne respectent pas leurs NDC, mais ils possèdent une excuse. En 2009, à Copenhague (Danemark), les pays développés s'étaient engagés à allouer chaque année 100 milliards de dollars (86 milliards d'euros) pour financer la transition dans les pays en développement. La logique est simple : les pays industrialisés, responsables historiques du réchauffement climatique, doivent aider les pays dont la responsabilité dans cette crise est faible à lutter contre ses effets dévastateurs. "Une partie des NDC est conditionnée à de l'aide internationale, c'est une partie qui est un peu sur des sables mouvants", analyse Sabine Maljean-Dubois.

Car cette promesse, pourtant rappelée dans l'accord de Paris, n'est toujours pas tenue : en 2019, on plafonne péniblement autour de 79 milliards de dollars (68 milliards d'euros), selon l'OCDE. Pour l'ONG Oxfam (lien en PDF), le montant de ce financement s'élève plutôt à 51 milliards d'euros par an, en moyenne, en 2017-2018. Pire, une importante partie de ces fonds n'est pas accordée sous forme de subventions, mais sous forme de prêts, qui viennent encore creuser la dette de ces pays. L'aide réelle s'établirait donc entre 16,3 et 19,3 milliards d'euros par an, estime l'ONG. Dans ces conditions, "la question est de savoir si on va réussir à garder la confiance des pays du Sud [dans l'accord de Paris], car pour faire vivre le deal de 2015, il ne faut pas les perdre dans la dynamique", note Sébastien Treyer.

Pour l'instant, beaucoup d'ambitions affichées par les pays en développement, sur le plan de l'adaptation comme sur le plan de la décarbonation de leur énergie, dépendent de cette aide. Par exemple, les objectifs de réduction des GES du Maroc passent de 45,5% d'ici 2030 à 18,3% sans aide extérieure. Au Nigeria, ce taux passe de 47% à 20%, et, au Mexique, de 36% à 22%.

Des retombées symboliques encourageantes

La portée de l'accord de Paris ne se limite cependant pas à la politique. "Sur le plan symbolique, il a joué un rôle assez important. Il a acté le fait qu'on allait, un jour, tourner le dos au carbone", analyse la chercheuse Sandrine Maljean-Dubois. Il est devenu une référence pour de nombreuses entreprises, qui l'intègrent à leur communication et, parfois, à leur prise de décision. "Depuis 2015, le secteur de la finance a vraiment transformé ses relations avec les acteurs de l'économie réelle, avec l'idée que le risque climatique devenait important dans l'évaluation d'un projet", veut croire Sébastien Treyer.

Selon lui, l'accord de Paris, qui a poussé 70 Etats à afficher un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, "a été extrêmement structurant, dans le sens où les acteurs en question se disent désormais qu'ils ne seront pas compétitifs sur les marchés s'ils ne s'alignent pas".

"Les acteurs privés et publics commencent à se dire que l'incohérence par rapport aux objectifs de l'accord de Paris pourrait à un moment les mettre face à une responsabilité climatique en justice."

Sébastien Treyer, directeur général de l'Iddri

à franceinfo

Dans les faits, malgré quelques déclarations ambitieuses de multinationales comme BlackRock (spécialisée dans la gestion d'actifs), les entreprises sont encore loin du compte : en mars, des ONG constataient dans un rapport que les financements aux énergies fossiles avaient augmenté depuis la signature de l'accord. En septembre, l'ONG Reclaim Finance (PDF en anglais) révélait qu'entre 2016 et 2020, les banques, dont BNP Paribas, avaient financé à hauteur de 270 milliards d'euros des projets pétroliers ou gaziers en Arctique.

Les ONG environnementales et les collectivités locales s'appuient quant à elles sur l'accord pour traîner devant les tribunaux les Etats qui n'en font pas assez pour réduire leurs émissions. "C'est un argument très souvent utilisé par les requérants, et le juge utilise l'article 2, qui pose l'objectif global, pour mettre les Etats face à leurs responsabilités", constate Sandrine Maljean-Dubois. Dans les contentieux de l'Affaire du siècle ou de Grande-Synthe, du nom de cette commune côtière du Nord qui a saisi le Conseil d'Etat pour réclamer plus d'actions contre le changement climatique, l'accord fait partie des textes utilisés par le juge administratif. Ces procédures pourraient contraindre, comme en Allemagne et en France, les Etats à revoir leur copie.

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