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Présidentielle 2022 : inexistant il y a cinq ans selon Emmanuel Macron, qu'est-ce que le "front républicain" ?

Le président sortant affirme que le "front républicain" ne lui a pas permis de remporter la présidentielle en 2017. Ce concept d'union de la gauche et de la droite face à l'extrême droite n'est plus invoqué comme en 2002, malgré les appels à barrer la route de l'élysée au Rassemblement national.

Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les professions de foi de Marine Le Pen et d'Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle de 2022. (MAYLIS ROLLAND / HANS LUCAS)

"En 2017, il n'y a pas eu de 'front républicain'. Le 'front républicain', c'est 2002", a déclaré Emmanuel Macron lors de son déplacement à Denain (Nord), lundi 11 avril, au lendemain des résultats du premier tour de la présidentielle. Le président sortant affronte la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen, comme en 2017. Une présence de l'extrême droite au second tour qui est synonyme d'habitude de mobilisation et de référence au "front républicain". Mais ce concept est-il, vingt ans après l'affrontement Le Pen-Chirac, devenu superflu ?

Un concept (ré)apparu dans les années 1950

Sous la Ve république, le "front républicain" désigne l'union des partis de gauche et de droite contre l'extrême droite représentée par le Front national, devenu le Rassemblement national. Le concept est apparu sous la IIIe République pour défendre le régime face à des forces considérées comme anti-républicaines. Il a été réactivé pour les législatives de 1956, les dernières de la IVe République. L'expression, attribuée au fondateur de l'Express Jean-Jacques Servan Schreiber, désigne l’alliance électorale pour contrer le mouvement poujadiste et trouver une issue à la guerre d’Algérie. Organisé autour de Pierre Mendès France, il réunit Guy Mollet de la SFIO, l'ancêtre du Parti socialiste, François Mitterrand qui est à l'époque à l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (USDR) et Jacques Chaban-Delmas du Parti radical.

Le 2 janvier 1956, les listes du "front républicain" obtiendront plus de 29% des voix et près de 200 sièges à l’Assemblée. Ce sera cependant, Guy Mollet, de la SFIO, qui prendra la présidence du Conseil au détriment de Pierre Mendès France. L'Union et fraternité française (UFF), le mouvement poujadiste, arrivera à faire tout de même une percée avec 52 députés élus avec parmi eux, le benjamin de l'Assemblée nationale d'alors : Jean-Marie Le Pen.

Front contre Front en 2002

Si la notion de "front républicain" apparaît par la suite par intermittence sous la Ve République. Elle devient de plus en plus populaire dans les années 1990 en réaction aux réussites électorales du Front national jusqu'à connaître une apogée lors de l'élection présidentielle de 2002. Le 21 avril, le choc de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour sonne la mobilisation de la classe politique mais aussi des électeurs qui manifestent contre l'extrème droite le soir-même et les jours d'après. L'ensemble de la gauche, sauf la candidate de Lutte ouvrière Arlette Laguiller, appelle à faire élire Jacques Chirac.

Le président sortant l'emportera avec plus de 82% des suffrages exprimés. Le candidat du RPR réunira plus de 25,5 millions de voix sur les près de 33 millions de votants et reste à ce jour le président le mieux élu de la Ve république. Cette stratégie du "front républicain" sera plus ou moins appliquée lors des élections locales qui suivent. Par la suite, c'est le "ni-ni" qui s'impose au début des années 2010. Aux cantonales de 2011 et aux municipales de 2014, Nicolas Sarkozy, président de la République, et Jean-François Copé, secrétaire général de l'UMP, affirment la stratégie du "ni FN ni PS au deuxième tour", et veulent n'appliquer le "front républicain" que là où cela sera nécessaire.

Des lycéens à Reims manifestent le 22 avril 2002 contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Des reports de voix en 2017

Le retour de l'extrême droite au deuxième tour de la présidentielle quinze ans après marque une résurgence de la question du "front républicain". La candidate du Rassemblement national évoquait à cette époque face à elle un "vieux 'front républicain' tout pourri, dont plus personne ne veut". Nathalie Arthaud (LO) et Philippe Poutou (NPA) n'appellent pas à voter pour Emmanuel Macron. Cependant, dès le soir du premier tour, le candidat de la droite François Fillon et le socialiste Benoit Hamon appellent à voter pour le candidat d'En marche pour battre Marine Le Pen. De son côté, Jean-Luc Mélenchon s'en remet à ses militants pour décider d'une stratégie pour le second tour. Il annoncera par la suite "ne pas voter FN", mais ne donne pas de consigne de vote.

Aujourd'hui, Emmanuel Macron récuse tout "front républicain" autour de sa candidature de 2017. Mais si on regarde du côté des reports de voix, les électeurs de gauche ont massivement voté pour Emmanuel Macron face à l'extrême droite. Selon l'enquête "sociologie des électorats" d'Ipsos-Sopra Steria, 52% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon et 71% des électeurs de Benoit Hamon au premier tour ont choisi le candidat d'En marche. À droite, ils étaient 48% des électeurs de François Fillon au premier tour à avoir choisi Macron contre 20% pour Le Pen. Alors que du côté de Nicolas Dupont-Aignan, qui avait rallié la candidate d'extrême droite dans l'entre-deux tours, ils étaient 27% à avoir choisi Emmanuel Macron et 30% pour Marine Le Pen.

Une stratégie refusée par le président sortant en 2022

Le "front républicain" a-t-il disparu lors de cette élection présidentielle de 2022 ?Après avoir été éliminés au premier tour, les candidats de gauche Yannick Jadot, Anne Hidalgo et Fabien Roussel ont appelé à voter Emmanuel Macron. Le troisième homme de ce scrutin, Jean-Luc Mélenchon, a plusieurs fois répété qu'"il ne faut pas donner une seule voix à Madame Le Pen". Tout comme Philippe Poutou, le candidat du NPA a indiqué que "pas une voix ne doit aller à l'extrême droite". Nathalie Arthaud, fidèle à la ligne de Lutte ouvrière, ne donne pas de consigne de vote.

À droite, Valérie Pécresse a déclaré qu'elle "votera en conscience" pour Emmanuel Macron. Le bureau politique des Républicains a voté une motion qu'au second tour de la présidentielle indiquant qu'"aucune voix ne peut se porter sur Marine Le Pen". Mais certains cadres du parti de droite ont critiqué l'absence d'un appel "explicite" à voter Emmanuel Macron, alors qu'Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan ont clairement appelé à voter pour Marine Le Pen.

"Comme il n'y a plus de 'front républicain', je ne peux pas faire comme s'il existait", a déclaré lundi Emmanuel Macron lors de son déplacement à Denain, au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle. Le président sortant a donc invoqué "une nouvelle méthode" pour battre Marine Le Pen au second tour. Une stratégie de l'explication, plutôt que celle des valeurs. Reste que malgré l'absence d'un "front républicain", Emmanuel Macron devra aller chercher des voix hors de son camp pour faire un deuxième mandat.

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