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Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron est candidat à un deuxième mandat, mais pour faire quoi ?

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Emmanuel Macron a formulé plusieurs propositions notamment pour l'école et le pouvoir d'achat depuis son entrée en campagne, le jeudi 3 mars 2022. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Sur fond de guerre en Ukraine, le président sortant doit rendre compte de son bilan, tout en expliquant ce qu'il souhaite faire s'il est réélu. Pour cela, il va notamment égrener des propositions lors de rencontres organisées avec les Français.

Emmanuel Macron espère signer pour une saison 2. Pour cette nouvelle campagne présidentielle, son équipe de communication a mis en ligne des clips de campagne en forme de série Netflix intitulés "Emmanuel Macron, le candidat". Dans "l'épisode 1", le président de la République apparaît en gros plan derrière son bureau, dans une mise en scène soignée. Il évoque la situation en Ukraine, défend son bilan, mais n'esquisse pas réellement son programme. "En centrant tout sur Emmanuel Macron, en faisant de lui le héros qu'on suit façon pop culture de Netflix, on mise tout sur sa personne et on occulte le projet politique", estime ainsi Anne-Claire Ruel, experte en communication politique et fondatrice du compte Instagram @callpol_.

Depuis son entrée en campagne via une lettre aux Français, diffusée le 3 mars, Emmanuel Macron a bien distillé quelques mesures, mais n'a pas encore dévoilé son programme complet. "Patience", répond l'équipe du candidat. Si tout va bien, le projet détaillé doit arriver "en fin de semaine prochaine", selon un cadre de La République en marche. Son équipe évoque plutôt une échéance d'une douzaine de jours. "Tout est tellement mouvant avec l'agenda international et la crise ukrainienne, c'est impossible de donner une date", explique un responsable de la campagne. 

La stratégie du compte-gouttes

Si Emmanuel Macron n'est pas entré en campagne en posant le projet sur la table, c'est aussi pour des considérations stratégiques. "Il y a une question de tempo, l'annonce du programme permettra de donner du rythme à la campagne, de la motivation", explique un cadre de LREM. En attendant, le candidat a déjà dessiné, devant ses troupes réunies dans son QG de campagne, les contours de son projet en proposant de "lancer trois grands chantiers : l'un pour l'école, l'un pour la santé, l'un pour nos institutions" et "quatre pactes : européen, productif, générationnel et républicain".

Derrière ces grandes orientations peu explicites, il a ainsi évoqué le "parachèvement de l'autonomie des universités", "l'industrialisation du pays pour faire face aux nouveaux défis" et l'objectif de faire de la France la première nation "décarbonée d'Europe". Le président a également commencé à dévoiler au compte-gouttes de premières mesures, lors d'une rencontre soigneusement préparée avec des Français à Poissy (Yvelines). Plutôt que de grands meetings, le candidat va privilégier ce type de format où il répond aux questions du public, qui illustre bien son slogan de campagne "Avec vous". "Il est excellent dans cet exercice, on l'a vu avec le grand débat [organisé pendant la crise des gilets jaunes]", se félicite un membre du gouvernement.

"II va égrener ses propositions au fur et à mesure, de manière intimiste, lors de ses conversations avec les Français."

Un député de La République en marche

à franceinfo

A Poissy, il a pu évoquer une petite quinzaine de mesures. Sur le pouvoir d'achat, il souhaite ainsi poursuivre les baisses d'impôt avec notamment la suppression de la redevance audiovisuelle. Il propose également la mise en place d'un chèque alimentaire pour lutter contre la précarité alimentaire, "une mesure rapide" pour faire face à la hausse des prix du carburant, et la prolongation des dispositifs de soutien face à l'inflation des tarifs du gaz et de l'électricité.

Pour que "le travail paie davantage", le président sortant propose le triplement de la "prime Macron", sans charges ni impôts. Et enfin sur les questions d'éducation, Emmanuel Macron souhaite une réforme du lycée professionnel, "expérimenter 30 minutes de sport" quotidien le matin en primaire, donner la possibilité aux élèves de s'exercer au code informatique dès la classe de 5e et "plus de rémunération et plus de liberté pédagogique aux enseignants"

Le retour des réformes inachevées

Emmanuel Macron a également réservé quelques annonces à l'émission "Face aux Françaises", organisée par LCI et Elle, où il a promis, en cas de réélection, de faire de l'égalité femmes-hommes à nouveau une "grande cause du quinquennat". "Sur ce domaine, on a fait beaucoup, mais on a bien conscience que le travail n'est pas fini, car on partait de loin", explique le député LREM Sacha Houlié. Emmanuel Macron a ainsi proposé de tripler le "montant de l'amende des délits d'outrages sexistes", la "création d'un fichier des auteurs de violences conjugales" ou encore la création d'un pôle juridictionnel spécialisé pour prendre en charge les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. 

L'opposition ne va pas manquer de souligner que tous ces chantiers auraient pu être lancés au cours des cinq dernières années. "Emmanuel Macron candidat nous dit : 'Je ferai tout ce que, président, je n'ai pas fait.' Mais qui peut encore le croire ?" a notamment piqué la candidate LR Valérie Pécresse. "Plein de choses expliquent qu'on n'a pas pu tout faire, avec des empêchements tout au long du quinquennat. Il faut expliquer en transparence ce qu'on n'a pas réussi à faire", répond Sacha Houlié, en rappelant la crise des "gilets jaunes" et la crise du Covid-19. 

Les réformes qui n'ont pas pu être faites pendant le quinquennat vont donc revenir sur la table, à commencer par la réforme des retraites. Dans son programme, le candidat veut reculer l'âge de départ à la retraite à 65 ans. Le précédent projet, abandonné en raison de la crise sanitaire, prévoyait un "âge pivot" fixé à 64 ans. Selon Les Echos, le président envisage une nouvelle mouture plus simple, en abandonnant l'idée de la retraite par points. Le Macron nouveau s'éloigne donc de la Révolution qu'il prônait dans un essai en 2016.

L'entourage du candidat évoque aussi la réforme des institutions, domaine où le bilan du quinquennat se révèle bien éloigné des ambitions de départ (réforme territoriale, diminution du nombre de parlementaires, dose de proportionnelle...). Un deuxième quinquennat pourrait permettre de "poursuivre ce que l'on a fait et faire ce qu'on n'a pas fait", résume un député de la majorité.

"Sur une bonne partie des choses, il faut poursuivre un travail. Sur d'autres, il faut avoir quelques idées simples et claires."

Emmanuel Macron

lors de sa rencontre avec des Français à Poissy

Sur la méthode, Emmanuel Macron désire également un changement. "Je crois que réussir à avancer, c'est aussi associer, y compris tout au long du quinquennat et de l'action, les Françaises et les Français", a lancé le président en campagne à Poissy. Dans les sphères macronistes, on réfléchit déjà à un nouveau dispositif à mi-chemin entre le Ségur de la Santé et l'exemple de la Convention citoyenne pour le climat. Afin d'associer, sur un sujet donné, à la fois les citoyens et les acteurs du secteur concerné. "Cette démocratie participative pourrait être utilisée pour réfléchir par exemple à la question de la fin de vie", estime un député LREM.

La volonté de rester "disruptif"

Même s'il s'appuie sur son bilan, Emmanuel Macron va donc chercher à se réinventer. Il y a cinq ans, pour l'emporter, l'ancien ministre de l'Economie avait misé sur la disruption, le dépassement du clivage gauche-droite, la modernisation de la France. Le président-candidat ne compte pas renier son ADN, mais il va pouvoir aussi miser sur la continuité de son action et endosser le costume du père de la Nation qui protège les Français face aux multiples crises. "La continuité, ce n'est pas l'arrêt des réformes", prévient pour autant son équipe. Le président souhaite ainsi faire des propositions "disruptives" à chaque fois qu'il enfilera sa casquette de candidat, à l'image de la suppression de la redevance audiovisuelle.

En restant président "jusqu'au dernier quart d'heure", selon sa formule, Emmanuel Macron va devoir jongler entre quatre agendas, explique son équipe de campagne : "Celui de président de la République, celui de chef des armées, celui de président du Conseil de l'Union européenne et enfin celui de candidat".

"Je serai président (...) autant que je le dois, mais je serai candidat à chaque fois que je le peux."

Emmanuel Macron

lors de sa rencontre avec des Français à Poissy

Avec la crise ukrainienne, le président sortant, qui est entré en campagne au dernier moment, semble désormais vouloir se placer au-dessus de la mêlée. Il a déjà annoncé qu'il ne participerait à aucun débat avec les autres candidats avant le premier tour. "Sur 120 minutes de débat, il y aurait 110 minutes contre Macron et lui aurait 10 minutes pour répondre, ce serait déséquilibré", justifie son entourage. "Il ne peut pas discuter avec Poutine, puis juste après avec Poutou", glisse Renaud Muselier, le président de la région Paca, qui vient de rallier le président.

Le risque d'une "reconduction"

Reste qu'à moins de 30 jours du premier tour de la présidentielle, l'absence de débat conjugué à l'absence de programme pour le favori des sondages anesthésie cette campagne présidentielle. L'entourage du chef de l'Etat a bien compris que le scrutin ne se jouerait pas sur le projet. 

"En 2017, le programme était un enjeu de crédibilité. Cette année, Emmanuel Macron ne sera pas jugé là-dessus, mais davantage sur l'incarnation, sur sa personne."

Un député de La République en marche

à franceinfo

Conséquence de la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron rassure et peut ainsi miser sur son image. Selon un récent sondage de l'institut Ipsos, la majorité des électeurs macronistes (55%) souhaite voter pour lui "parce qu'ils ont confiance en lui", contre seulement 32% "parce qu'il est proche de leurs idées""Ce sont des traits d'image qui motivent le vote, mais l'adhésion, le vote idéologique se fait auprès d'autres candidats, comme Mélenchon et Zemmour", confirme Anne-Claire Ruel.

L'enseignante en communication politique s'inquiète de l'absence de dialogue dans cette campagne. "Dans une société où on se parle de moins en moins, chaque candidat est dans son couloir et on ne voit pas venir le temps de mise en commun", estime-t-elle. "En cas de réélection, je crains une présidence 'burn out', car les campagnes sont normalement des temps de respirations démocratiques, qui permettent de poser les enjeux, de fixer un cap..."

"Ce n'est pas de la faute du président, si les autres candidats ne parviennent pas à impulser des idées", répond son équipe. Sans débat sur les projets de société et avec une campagne courte, le risque pour Emmanuel Macron est de se diriger vers une "reconduction" davantage que vers une "réélection", prévient dans Le Monde Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos, "avec une faiblesse potentielle majeure pour la suite de son mandat".

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