Réforme des retraites : quel est le coût d'une grève ?
Principales entreprises concernées par la mobilisation contre la réforme des retraites, la RATP et la SNCF vont accuser un important manque à gagner en décembre. Ces perturbations dans les transports entraînent des conséquences financières dans d'autres secteurs économiques, mais le calcul de ces effets induits est extrêmement difficile.
Le mouvement contre la réforme des retraites, débuté le 5 décembre, fait tousser la France. Les grèves dans les transports affectent de très nombreux usagers et les conséquences financières sont déjà réelles pour les principales entreprises concernées, à commencer par la SNCF et la RATP. Quel est le bilan financier d'une mobilisation nationale et comment en évalue-t-on les conséquences sur l'activité économique ? Tentatives d'explication.
Trois millions d'euros par jour pour la RATP
S'il est encore trop tôt pour disposer de chiffres précis, la RATP explique à franceinfo que le préjudice financier est d'au moins trois millions d'euros par jour, à partir d'une évaluation globale (recettes manquantes, futurs remboursements et pénalités...). Le contrat qui lie la Régie à l'autorité régulatrice Ile-de-France Mobilités (ex-Stif) prévoit en effet des indemnités à payer en cas de service incomplet. La présidente LR de la région, Valérie Pécresse, a d'ailleurs rappelé que la Régie des transports ne serait pas payée si le service minimum n'est pas garanti. Celui-ci prévoit 50% de trafic habituel en heures de pointe sur l'ensemble du réseau, mais cet objectif n'est pas assuré depuis le début du mouvement.
Contrairement à la RATP, la SNCF n'a pas communiqué à franceinfo sa première estimation du préjudice en Ile-de-France. Le quotidien Libération a tout de même sorti la calculatrice pour évaluer le montant des pénalités à environ 4,1 millions d'euros par jour, en admettant que 70% des trains sont à l'arrêt et que chacun parcourt en moyenne 50 kilomètres par trajet (à 16,50 euros la pénalité kilométrique).
Contactée par franceinfo, Ile-de-France Mobilités dément toutefois ce chiffre et rappelle que les pénalités feront justement l'objet de discussions avec la RATP et la SNCF à la fin du mouvement. "On va prendre le temps de discuter, éventuellement de les challenger", glisse-t-on à la région. "Mais la priorité, ce sera d'abord le remboursement des voyageurs." Lors de la grève SNCF du printemps 2018, les détenteurs d'une carte Navigo avaient été dédommagés à hauteur de 100 euros sur les mois d'avril et de mai (50% du coût mensuel par la SNCF et 25 euros par Ile-de-France Mobilités). Le principe d'un remboursement a de bonnes chances d'aboutir cette fois encore. Reste à en définir le montant.
La grève de 2018 avait coûté 790 millions à la SNCF
Annulations, mesures commerciales, bus affrétés et nuitées pour les passagers bloqués... Au niveau national, les comptes de la compagnie ferroviaire pourraient dérailler si le mouvement s'éternise. Hasard ou indice ? Alors que la "nouvelle SNCF" doit être créée au 1er janvier 2020, la valorisation des apports d'actifs avait été dépréciée de 200 millions d'euros avant le début de la grève, selon les informations des Echos. Et dans le calcul final, il faudra encore prendre en compte le manque à gagner de SNCF Réseau sur les droits de péage prélevés sur chaque train. Contacté, l'établissement public n'était pas encore en mesure de communiquer de chiffres.
A quel montant total faut-il s'attendre ? Difficile à dire. En 2018, la SNCF avait estimé le coût total des grèves du printemps (36 jours en trois mois) à 790 millions d'euros, dans un document interne consulté par l'AFP. Cette somme représentait donc en moyenne 21 millions d'euros pour chacune des 36 journées de grève. Une somme proche de celle annoncée par l'ancien PDG Guillaume Pepy, qui chiffrait une journée de grève à 20 millions d'euros. Ce calcul tient compte des économies des jours de grève non payés (100 millions d'euros) et de dépenses en baisse (40 millions), comme l'électricité.
Le montant total avait donc été bien supérieur aux bénéfices nets de l'année 2017 (679 millions) et les conséquences d'un mouvement long pourraient grever durablement le budget de la compagnie, déjà endettée.
Le secteur aérien est lui aussi affecté par la mobilisation. Avant la journée du mardi 10 décembre, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies aériennes de réduire le programme de leurs vols de 20% dans les aéroports de Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly, Beauvais, Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux. A titre d'exemple, jeudi 5 décembre, Air France avait déjà dû annuler 30% de ses vols intérieurs et 15% de ses vols moyen-courrier.
En 2018, la direction d'Air France-KLM avait évoqué des pertes de 335 millions d'euros pour la grève du printemps. Mais il est difficile de comparer ce chiffre avec ce mois de décembre, car il s'agissait alors d'une grève de son personnel.
Tendances négatives dans l'hôtellerie parisienne
Fort logiquement, la mobilisation dans les transports entraîne des complications dans d'autres secteurs, comme l'hébergement. Mais là encore, il est bien trop tôt pour disposer de chiffres consolidés. Franck Delvau, président de l'Union des métiers et industries de l'hôtellerie (Umih), tente de dégager de manière empirique une tendance, auprès de ses adhérents et plus particulièrement d'une vingtaine d'établissements parisiens – "à Montmartre, pour le tourisme, à Wagram, pour les cafés et brasseries, ou encore à la porte de Saint-Mandé, pour les restaurants..."
A Paris, l'Umih évalue la baisse d'activité à 30% en restauration, voire à "50% à certains endroits". Comme de nombreuses autres organisations professionnelles, la fédération est en contact téléphonique quotidien avec Bercy. "Cela ne permet pas de chiffrer précisément l’impact économique mais cela permet d'avoir des tendances", confie-t-on au ministère. L'Umih envisage déjà de réclamer a minima des reports de charges fiscales et sociales au gouvernement. "Nous allons peut-être demander à la ville de Paris de suspendre ses prélèvements sur les terrasses et déposer des demandes d'aides au régime social des indépendants".
L'année passée, avec les gilets jaunes, ça avait été déjà compliqué. Mais à l'époque, la France fonctionnait six jours sur sept. Là, la situation est très alarmante pour nos professions.
Franck Delvau, président de l'Umihà franceinfo
Pour l'heure, les achats de fin d'année ne semblent pas pâtir outre mesure du mouvement social. A Bercy, on souligne d'ailleurs que le climat des affaires a été plutôt positif dans plusieurs grandes villes le week-end du 7 décembre. Les blocages sont en effet plus limités que lors des rassemblements de "gilets jaunes". "La situation est toutefois plus contrastée à Paris, où la clientèle est plus dépendante des transports publics et où les blocages ont été les plus importants." A Montpellier (Hérault), la consommation a également affiché un recul, "peut-être sous l'effet de possibles actes de violence".
Un coût "difficile à chiffrer"
Mais quel est l'ordre de grandeur de l'impact financier d'une grève au niveau national ? Alors ministre de l'Economie, en 2010, Christine Lagarde avait évoqué une fourchette de 200 à 400 millions d'euros par jour, au micro d'Europe 1, tout en précisant que ce montant était "difficile à chiffrer". Au début du mois, le patron de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin, évoquait le probable montant de 400 millions d'euros par journée "massive" de grève, dont 200 pour l'Ile-de-France. Une somme également reprise par la présidente LR des Pays de la Loire, Christelle Morançais, au micro de RTL.
Contactée, la CPME dit s'être appuyée sur une évaluation du gouvernement réalisée en 2007 lors des manifestations contre la réforme des régimes spéciaux. Le coût avait alors été estimé à 0,03% du PIB de l'Ile-de-France, soit 150 millions d'euros, et 300 millions d'euros pour l'ensemble du pays. En actualisant les données, l'économiste de la CPME est donc arrivé à 200 millions en Ile-de-France (0,03% du PIB) et 400 pour la France.
Mais il semble y avoir une confusion dans le calcul de la CPME, puisque l'Insee évaluait l'impact (lien pdf) de la grève de 2007 à 0,1 point de PIB (autour de 400 millions d'euros) sur les dix jours du mouvement social et non sur une seule journée. Un rapport du simple au décuple qui invite donc à prendre les chiffres de la CPME avec des pincettes.
Pour la grève SNCF de 2018 : 0,1 point de PIB
Pour tenter de livrer une estimation, l'Insee évalue d'abord les coûts directs des mobilisations, notamment dans les transports. La grève du printemps 2018, plutôt concentrée sur la SNCF, avait ainsi entraîné une baisse de la consommation des transports de l'ordre de 3% au deuxième trimestre (20% pour les transports ferroviaires).
Les effets induits, eux, sont plus délicats à évaluer. Quid de la consommation de carburants pour compenser le manque de transports ? Et quid de l'augmentation des ventes en ligne pour remplacer les achats dans les commerces ? Il est "très difficile de mesurer les effets indirects d'une mobilisation sur la consommation", souligne Frédéric Tallet, chef de la division synthèse conjoncturelle de l'Insee.
Pendant les "gilets jaunes", la vente en ligne a largement progressé mais il est difficile de savoir si cette évolution est simplement liée au mouvement, car le secteur est en pleine expansion.
Frédéric Tallet, chef de la division synthèse conjoncturelle de l'Inseeà franceinfo
En recoupant les données avec des épisodes similaires passés, l'Insee évalue tout de même l'impact financier de cet épisode à 0,1 point de PIB, contre 0,2 point de PIB lors des grandes grèves de 1995, un mouvement plus court mais plus massif, avec des blocages routiers et des pénuries de carburant. L'impact financier de la grève perlée de 2018 aurait donc tourné autour de 500 millions d'euros. "Mais l'imprécision de la mesure et l'ordre de grandeur ne permettent pas réellement de retenir cette somme", nuance aussitôt Frédéric Tallet.
Au cas par cas, des conséquences parfois lourdes
Pour en avoir le cœur net, il faudra également observer les résultats du prochain trimestre, avec de possibles effets de rattrapage (achats reportés...). Les différentes notes de conjoncture de l'Insee suggèrent en tout cas que les mouvements sociaux ont des effets réels sur l'activité mais qu'ils ne pénalisent pas outre mesure l'économie française (0,2 point de PIB trimestriel en 1995, 0,1 pour les "gilets jaunes", 0,1 pour la grève SNCF de 2018...).
Ce panorama macro-économique ne doit pas faire oublier qu'au cas par cas, certaines entreprises peuvent se retrouver en grand péril. Certaines ont ainsi été contraintes de mettre leurs employés au chômage partiel pendant le mouvement des "gilets jaunes", entraînant le paiement de 13,6 millions d'euros aux sociétés concernées, précise Bercy. Les compagnies d'assurance, elles, ont couvert un montant de 200 millions d’euros.
De son côté, lors de cette crise, le gouvernement avait pris des mesures pour reporter ou étaler les charges fiscales et sociales, à hauteur de 340 millions d'euros, et lancé un plan fiscal de 124 millions d'euros, soit 461 millions d'euros au total. "Si on ne l'avait pas fait, explique-t-on à Bercy, ces montants n'auraient peut-être jamais été perçus car les entreprises concernées auraient fait faillite".
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