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Fin du monopole de la SNCF : comment la mise en concurrence va-t-elle se dérouler à partir de 2020 ?

Le rail s'ouvre à la concurrence, aussi bien sur les lignes à grande vitesse que sur les trajets subventionnés des trains régionaux ou des Intercités.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un TER, à la gare d'Abbeville (Somme), le 30 novembre 2019. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

Tandis que la tension monte à la SNCF à l'approche de la grève du 5 décembre, les appétits s'aiguisent, dans d'autres entreprises ferroviaires. Français ou étrangers, de nouveaux acteurs s'apprêtent à débarquer sur le chemin de fer hexagonal, comme le prévoit le "pacte ferroviaire" adopté en juin 2018.

A partir de la fin 2020, le rail s'ouvre à la concurrence, mettant fin au monopole de la SNCF sur les lignes françaises. Les régions pourront ainsi, dès le mardi 3 décembre 2019, lancer des appels d'offres pour des lignes TER. Qui sont les nouveaux entrants ? Quelle est la procédure d'attribution des lignes ? Eléments de réponse.

Une mise en concurrence progressive

L'ouverture à la concurrence sera progressive. De 2020 à 2024, de nouveaux opérateurs pourraient bénéficier d'une délégation de service public subventionnée, sur les lignes Intercités et les TER. Ils pourront aussi demander des "créneaux horaires" ("sillons", en jargon technique) sur les lignes à grande vitesse, à leurs propres frais. 

Un "calendrier spécifique" tient compte de la complexité et de la densité du réseau francilien. Les appels d'offres deviennent obligatoires pour les lignes du Transilien entre 2023 et 2033, et à partir de 2039 pour le RER.

Le calendrier et les modalités d'ouverture à la concurrence. (SNCF)

Concurrence "en accès libre" pour les TGV

Comment ça se passe ? Sur les lignes à grande vitesse, la concurrence est dite "en accès libre" ("open access"). Un an à l'avance, l'entreprise candidate demande à SNCF Réseau quels "sillons" (créneaux horaires) sont disponibles. Si elle obtient, moyennant péage, l'horaire convoité, "l'entreprise arrive sur le marché avec son personnel habilité, son centre de maintenance et son matériel roulant", explique-t-on à franceinfo à l'Autorité de régulation des transports (ART). Concernant le matériel roulant, "soit elle l'achète, sachant qu'une rame TGV coûte entre 20 et 40 millions d'euros, soit elle le loue".

"Il y aura une concurrence frontale entre entreprises sur les bons horaires, avec des risques économiques importants", résume-t-on du côté de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP), qui rassemble le patronat du secteur.

Quels opérateurs sont intéressés ? Des sociétés étrangères sont en lice. En direction du Sud, la compagnie Thello, filiale de la compagnie publique italienne Trenitalia, souhaite être présente sur le Paris-Lyon-Milan, dès 2020. Sur la moitié nord de l'Hexagone, "Arriva, la filiale de la Deutsche Bahn [la compagnie publique allemande], peut aussi être candidate sur Paris-Bruxelles ou Paris-Cologne", note un connaisseur du secteur.

Ce n'est que le début du big bang. "La liste pourrait s'élargir à des investisseurs venus d'autres univers", remarque un cadre de la direction commerciale de SNCF Réseau. D'où plusieurs limitations. D'abord, l'entreprise candidate devra obtenir une licence ferroviaire valable au niveau européen. Ensuite, il n'est "pas question d'admettre une firme qui nuirait à l'équilibre global du système", pointe ce cadre. Un garde-fou pour l'opérateur historique, la SNCF, qui doit prendre en compte cet "équilibre global".

 Délégation de service public pour les Intercités

Comment ça se passe ? De 2020 à 2023, l'autorité régulatrice (qu'il s'agisse de l'Etat ou d'une région) aura deux options : renouveler directement le contrat d'attribution à la SNCF pour dix ans, c'est-à-dire jusqu'en 2033 au plus tard, ou passer un appel d'offres. A partir de 2024, l'appel d'offres pour les "trains d'équilibre du territoire" – en clair, les Intercités – deviendra obligatoire, sauf dérogation.

Histoire de lancer le mouvement, l'Etat a publié, dès janvier 2019 "un avis de pré-information pour la mise en concurrence des lignes Intercités Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon". "Ces deux lignes viennent de bénéficier d'un renouvellement complet de leurs trains, vante le ministère de la Transition écologique et solidaire. Leur mise en concurrence intervient donc de façon cohérente, alors que s'ouvre une nouvelle étape de leur vie." L'opérateur désigné signera ensuite une convention avec l'Etat, qui subventionne la ligne. Bénéficiaire d'une délégation de service public, l'opérateur sera tenu de reprendre le personnel de la SNCF affecté à la ligne, ainsi que le matériel roulant (renouvelé en 2017, donc quasi-neuf).

Quels opérateurs sont intéressés ? Filiale à 70% de la caisse des dépôts, la compagnie Transdev ne cache ni son intérêt, ni ses éventuelles réserves. "Nous voulons une meilleure offre, qui améliore la fréquentation, avec plus de trains en été. Il faut amener des gens à prendre le train !", s'enflamme Claude Steinmetz, son directeur ferroviaire. Il note un gros bémol : "Ces deux lignes ont 25 millions d'euros de déficit à elles deux. Il faudra voir comment on peut améliorer ce chiffre, avec un autre modèle économique."

Il déplore aussi le flou sur le personnel qui lui sera transféré, s'il remporte le marché : "On doit reprendre ceux qui travaillent au moins à 50% sur la ligne. On respectera le cadre légal, mais il faut une connaissance fine des salariés. Qui travaille sur cette ligne ? Quelles sont les compétences ?" Parmi les autres candidats potentiels cités, la SNCF, évidemment, mais aussi RATPdev (filiale de la RATP), ou encore Arriva, la filiale de Deutsche Bahn. 

TER et Transilien soumis aux choix des régions

Comment ça se passe ? Autorité organisatrice, la région a la possibilité de reconduire la SNCF jusqu'en 2033, ou d'attribuer un lot de lignes à un nouvel opérateur. Coïncidence du calendrier, cette mise en concurrence démarre à deux jours de la grève du 5 décembre, qui s'annonce particulièrement suivie chez les cheminots. A partir du mardi 3 décembre, en effet, les régions pourront passer des appels d'offres sur tout ou partie des trajets régionaux. Lorsque l'opérateur sera choisi et aura signé une convention avec la région, le matériel et le personnel de ces lignes subventionnées lui seront transférés.

"Il y a déjà des avancées sur le Grand Est, les Hauts-de-France ou Provence-Alpes-Côte d'Azur", note-t-on du côté du ministère de la Transition écologique et solidaire, où l'on se félicite de cette "mise en concurrence qui doit améliorer aussi bien le qualitatif que le quantitatif. La priorité est d'améliorer le trafic pour les gens qui se rendent à leur travail. Or, la qualité du service SNCF n’est pas toujours au rendez-vous, avec des problèmes de ponctualité ou des trains supprimés."

Quels opérateurs sont intéressés ? Toujours les mêmes. A commencer par la SNCF, qui répond à tous les appels d'offres. Transdev, de son côté, a les yeux rivés sur la Côte d'Azur : "Nous visons deux lots pour 100 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. Le premier lot, c'est le Marseille-Nice, le deuxième lot, c'est 'l'étoile de Nice' (qui comprend trois lignes régionales). C’est aussi dense ou presque que l'Ile-de-France. Il faudra réfléchir, intensifier la circulation en été." Dès février 2019, la région Paca avait d'ailleurs annoncé sa volonté d'ouvrir la concurrence sur ces trajets-là, explique le magazine Challenges.

Parmi les autres prétendants aux marchés régionaux, "il y a tous les 'usual suspects'", plaisante un spécialiste. "Les opérateurs anglais, allemands, ou encore l'Italien Thello dans la région Sud".  Sans compter la RATP, qui a créé avec Getlink (ex-Eurotunnel) une nouvelle filiale, pour répondre aux appels d'offres sur les TER dans les Hauts-de-France et le Grand Est.

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