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Témoignages "J'ai peur de partir en retraite à 70 ans" : sept lycéens nous racontent pourquoi ils se mobilisent contre la réforme du gouvernement

En colère, inquiets pour leur avenir, par solidarité avec leurs aînés… De nombreux lycéens s'engagent contre le projet du gouvernement. Sept d'entre eux se sont confiés à franceinfo.
Article rédigé par Rachel Rodrigues
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des lycéens manifestent contre la réforme des retraites, le 30 janvier 2023 devant le lycée Jean-Macé de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

La retraite peut leur paraître lointaine. Pourtant, nombre de lycéens se sentent concernés par la réforme présentée par le gouvernement et dont l'examen a débuté à l'Assemblée nationale. Plusieurs organisations lycéennes ont appelé, dans un communiqué commun sur Twitter, au blocus des lycées lundi 30 et mardi 31 janvier, journée de manifestation intersyndicale contre le projet de l'exécutif. Devant le lycée Jean-Macé de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), une petite centaine d'élèves ont bloqué l'établissement, lundi, pour exprimer leur mécontentement, notamment contre le recul de l'âge de départ à 64 ans. Franceinfo leur a donné la parole.

>> Retraites : est-il inévitable de travailler plus longtemps ? On a passé au crible les principales propositions des opposants à la réforme

Gwenn, 17 ans : "C'est une réforme antisociale"

Le lycéen de 17 ans, membre de la FIDL, estime que la réforme des retraites est un "non-sens" du point de vue financier. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

C'est la cinquième fois que Gwenn bloque son lycée. La deuxième qu'il le fait pour contester la réforme des retraites. "Nous nous étions déjà mobilisés le 19 [janvier] lors de la journée de grève générale organisée par l'intersyndicale, raconte le lycéen. A cause de la grève et de l'absence des profs au lycée, le mouvement de blocus n'avait pas été énormément suivi." Cette fois, il espère que les jeunes répondront présents. Membre aguerri de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL), Gwenn est là depuis 7 heures du matin, et n'arrête pas de courir entre les groupes d'élèves, parents et enseignants mobilisés, pour veiller à la bonne organisation de la journée. 

Pour lui, "c'est une certitude", la réforme est "entièrement antisociale". Il n'hésite pas à le crier, du haut des poubelles disposées devant les grilles de l'établissement. "On va se mobiliser jusqu'au bout", lance le lycéen dans son porte-voix. L'adolescent estime que la réforme est un "non-sens" du point de vue financier. "Les 12 milliards euros de déficit dont parle le gouvernement, on peut facilement les financer. Il faut taxer les plus riches et les grandes entreprises", avance-t-il.

Pauline, 15 ans : "Il est important de prendre ce combat à cœur dès notre plus jeune âge"

Pour la lycéenne de 15 ans, il est essentiel de se mobiliser pour que les générations futures puissent profiter pleinement de leur retraite. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

"Il est important de prendre ce combat à cœur dès notre plus jeune âge", affirme Pauline. D'autant que pour elle, "la retraite, c'est hyper important" : "C'est une récompense pour le travail qu'on a effectué, un temps pour profiter de la vie sans l'angoisse du travail, détaille-t-elle. Il faut absolument la préserver." 

"Il faut aussi se mobiliser pour les citoyens de la génération d'au-dessus, les personnes plus âgées."

Pauline, en seconde au lycée Jean-Macé de Vitry-sur-Seine

à franceinfo

Même si elle n'est encore qu'en classe de seconde, Pauline admet craindre que ce recul de l'âge de départ à la retraite à 64 ans ne soit qu'un début. "Si on ne se mobilise pas maintenant, on prend le risque que la retraite soit de plus en plus reculée, au fil des années", explique-t-elle, de concert avec plusieurs autres jeunes interrogés. "Si je ne manifeste pas aujourd'hui, j'ai peur de partir à 70 ans", ajoute-t-elle. L'adolescente, qui souhaite se diriger vers des études de cinéma, anticipe déjà les effets qu'une telle réforme pourrait avoir sur sa santé. "Si je deviens cadreuse, par exemple, je serai plus vite usée."

Abdel, 16 ans : "Je ne veux pas laisser passer ça" 

Le lycéen considère que la réforme ne prend pas suffisamment en compte la pénibilité de certains métiers, comme celui de son père, routier. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

La pénibilité, c'est précisément la raison pour laquelle les 64 ans "non négociables" martelés par la Première ministre Elisabeth Borne ne sont pas envisageables pour Abdel. Le lycéen de première raconte qu'il voit déjà son père rentrer "exténué", tous les soirs, au regard des "dures conditions" qu'impose son métier de chauffeur routier. "Je ne veux pas laisser passer ça. A la fois pour mes parents, mais aussi pour les générations futures", affirme-t-il.

A moins de deux ans du bac, cette réforme l'angoisse et aggrave son "stress" vis-à-vis de son orientation future. Abdel a l'intention de se diriger vers une prépa scientifique puis une école d'ingénieurs. Il hésite entre le métier d'ingénieur en cybersécurité et celui de développeur web. Mais dans tous les cas, il l'assure : "Si ça ne paie pas bien, je me rabattrai sur un choix de raison. Et à terme, on n'aura plus d'autre choix que de privilégier un travail qui paie bien, et pas trop pénible."

Eden, 17 ans : "Cette réforme est inégalitaire"

Manifester "en solidarité avec les travailleurs" : c'est le mot d'ordre d'Eden, qui proteste contre un projet "inégalitaire", "surtout par rapport aux minorités". Le lycéen évoque ainsi les "métiers pénibles" et "les femmes", qui, "du fait de leurs carrières hachées", "vont encore plus souffrir" de la réforme.

Il raconte avoir eu un "déclic" lors d'une assemblée générale de son association, Révolution permanente, lorsqu'une femme a raconté les séquelles que son métier avait laissées sur son corps. "Forcément, j'ai comparé avec ma mère. A 38 ans, elle a déjà subi pas mal d'opérations. C'est donc une situation qui m'est familière."

Manon, 17 ans : "J'ai peur pour ma retraite"

Manon, qui se voit enseignante dans quelques années, redoute les effets de la réforme sur sa future retraite. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

Quelques dizaines de mètres plus loin, au sein de la chaîne humaine qui bloque l'entrée de l'établissement, Manon écoute attentivement les prises de parole des jeunes lycéens. En terminale, la sœur aînée de Pauline admet se sentir cependant entièrement concernée par la réforme. "Qui sait ce qui pourra se passer par la suite ?" se questionne la jeune fille de 17 ans, qui se voit déjà professeure.

"En tant que future enseignante, j'ai peur pour ma retraite." Ce qui l'inquiète particulièrement, c'est de voir tous ses professeurs se plaindre de la réforme. "La charge de travail est quand même importante", rappelle Manon. En outre, le salaire peu conséquent qu'on lui décrit lui fait craindre une pension tout aussi faible.

Bianca, 16 ans : "Je n'ai pas envie de faire le même métier jusqu'à 64 ans"

Pour Bianca, cette réforme risque de compliquer l'entrée des jeunes dans le monde du travail. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

Cette réforme est aussi une source d'angoisse de plus pour certains lycéens, qui s'apprêtent à entrer dans le monde du travail. "Est-ce qu'on va pouvoir seulement y entrer ?" s'interroge Bianca, en seconde au lycée Jean-Macé. Pour elle, et pour l'ensemble des lycéens interrogés, le recul de l'âge de départ à la retraite risque d'entraîner une hausse du chômage chez les jeunes. Faire travailler les gens plus longtemps "aggrave le manque de possibilités auquel on est déjà confrontés en sortie d'études", estime la lycéenne. 

Bianca a du mal à imaginer sa vie professionnelle, avec la réforme. "On a l'impression qu'on sera obligés de se tenir à une seule carrière pour bien cotiser et atteindre une retraite acceptable assez tôt", explique la lycéenne, qui veut travailler dans le marketing ou le commerce. Elle l'affirme pourtant : "Je n'ai pas envie de faire le même métier jusqu'à 64 ans." La lycéenne a peur de perdre une forme de liberté. "Est-ce qu'on aura le choix de changer d'orientation en cours de route ?" Pour elle, rien n'est moins sûr : "Il va falloir être stratégique, et choisir les métiers avantageux. C'est quelque chose qu'on fait déjà avec Parcoursup."

Louison, 17 ans : "On a le droit d'être mécontents et de l'exprimer"

Louison estime que le gouvernement n'écoute pas suffisamment les jeunes. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

Au premier plan du cortège, Louison reste de marbre, bras dessus, bras dessous, avec ses camarades, dans la chaîne humaine devant la grille de l'établissement. Comme Gwen, la lycéenne est là depuis 6h30 et a même participé à l'installation des premières poubelles. Elle veut contester la réforme du gouvernement, mais pas uniquement. "Nous sommes aussi présents pour nous opposer à Parcoursup, à la tenue des examens en mars, et à la loi en discussion pour interdire les blocus dans les lycées", précise-t-elle. 

Louison explique être en colère vis-à-vis d'un gouvernement "qui ne [les] écoute pas" et se contente de "passer des lois derrière [leur] dos". "On nous demande souvent ce qu'on ferait, en nous reprochant parfois de n'être que dans la contestation. Mais je ne trouve pas ça normal, déplore-t-elle. Ce n'est pas à nous de faire le boulot du gouvernement. On a le droit d'être mécontents et de l'exprimer."

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