Cet article date de plus d'un an.

Réforme des retraites : pour quels motifs le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer des dispositions du texte ?

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La façade du bâtiment abritant le Conseil constitutionnel, à Paris, le 25 août 2022. (ARNAUD PAILLARD / HANS LUCAS / AFP)
Lors des débats au Parlement, des élus d'opposition ont contesté la constitutionnalité de certains aspects du texte. Les Sages doivent rendre leurs décisions très attendues vendredi, en fin de journée.

Pour l'exécutif, comme pour ses opposants, c'est une manche cruciale dans la bataille de la réforme des retraites. Le Conseil constitutionnel doit rendre ses conclusions, vendredi 14 avril, en fin de journée, près d'un mois après le rejet de deux motions de censure et l'adoption de ce projet de loi au Parlement via l'article 49.3. Les Sages avaient été saisis par le gouvernement et les différentes oppositions à l'Assemblée nationale, juste après que Elisabeth Borne avait réussi à sauver sa place. Certains élus contestent en effet la constitutionnalité de certains points.

>> Réforme des retraites : pourquoi le scénario de la censure partielle du Conseil constitutionnel arrangerait le plus l'exécutif

La saisine du Conseil constitutionnel et les décisions de ce dernier marquent une étape-clé pour le gouvernement : en cas de censure d'un point du texte, celui-ci ne peut pas apparaître dans la loi. Une censure globale du texte adopté, bien qu'improbable, obligerait même le gouvernement à reprendre le processus à zéro, s'il souhaitait faire passer sa réforme. Franceinfo récapitule les mesures qui seront examinées et pourraient être retoquées, alors que le Conseil constitutionnel est par ailleurs appelé à étudier la recevabilité d'une demande de référendum d'initiative partagée (RIP).

L'utilisation d'un projet de loi budgétaire rectificatif

L'exécutif a choisi comme véhicule pour sa réforme des retraites un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS). "C'est un projet de loi qui a pour objectif de modifier en cours d'année le budget de la Sécu", lui-même établi par un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), rappelait en janvier à l'AFP le constitutionnaliste Benjamin Morel. Pour les PLFRSS comme pour les PLFSS, l'article 47.1 de la Constitution prévoit que l'exécutif peut limiter les débats à 50 jours au Parlement, dont 20 à l'Assemblée, ce qu'il a fait pour la réforme des retraites. "Comme le PLFSS doit être voté avant le 1er janvier, les délais sont extrêmement limités, justifie Benjamin Morel. Et quand on modifie le budget en cours d'année, c'est souvent qu'il y a urgence."

La réforme des retraites revêtait-elle ce caractère d'urgence ? Les oppositions en doutent et c'est la question que doit trancher le Conseil constitutionnel, souligne le constitutionnaliste, qui évoque "l'insécurité juridique" du choix fait par l'exécutif. "En réalité, il n'y a pas de caractère d'urgence au sens où on l'entend au 47.1, estime Benjamin Morel. On peut toujours imaginer que cette réforme soit très, très urgente, mais si elle n'est pas votée au mois de mars, mais au mois d'avril, au mois de juillet, ça ne va pas changer l'équilibre général du régime des retraites." "Cette procédure est légale, mais elle n'est ni habituelle ni anodine", rappelle la professeure Lauréline Fontaine dans Le Monde.

"La procédure du 47.1 n'a jamais été utilisée pour une réforme aussi importante que le report de l'âge légal de la retraite."

Lauréline Fontaine, professeure de droit public

dans "Le Monde"

Pour autant, les Sages peuvent-ils censurer totalement le texte en raison de l'utilisation d'un budget rectificatif de la Sécurité sociale ? Elina Lemaire, professeure de droit public à l'université de Bourgogne, reste circonspecte quant à un rejet pour "détournement" de procédure : "Il faudrait en quelque sorte que le Conseil aille scruter la conscience du gouvernement, ce qu'il s'est toujours refusé à faire." "Ce n'est pas parce que la procédure est inhabituelle qu'il faudrait la censurer", abonde le constitutionnaliste Didier Maus.

La limitation du temps des débats au Parlement

Outre l'article 47.1, le PLFRSS autorise le recours sans limite à l'article 49.3, qui permet au gouvernement de faire adopter un texte sans vote. L'utilisation de cet article est illimitée pour les textes de lois budgétaires comme le PLFRSS. Mais il ne peut être activé qu'une seule fois par session parlementaire pour les autres textes. La nature du texte a donc permis au gouvernement d'avoir recours au 49.3 à l'Assemblée pour faire adopter la réforme, sans "griller" sa cartouche pour un futur recours au 49.3 sur un autre texte de loi.

L'exécutif a aussi utilisé d'autres articles de la Constitution pour accélérer les débats au Parlement. L'article 44.2 a permis de supprimer la kyrielle de sous-amendements déposés par la gauche au Sénat, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, dénonçant une "volonté manifeste d'obstruction". L'article 44.3, aussi appelé procédure du "vote bloqué", a obligé les sénateurs à se prononcer sur la totalité du texte sans mettre aux voix les amendements auxquels le gouvernement était défavorable.

Par ailleurs, la conférence des présidents du Sénat a utilisé l'article 42 de son règlement intérieur pour accélérer la discussion, en décidant de limiter à un orateur par groupe les prises de parole ainsi que les explications de vote sur l'ensemble du texte. Tandis que les sénateurs de droite ont utilisé, pour la première fois de leur histoire, l'article 38 du même règlement, notamment pour faire adopter l'article 7 du projet de loi, qui porte sur le rehaussement de l'âge légal de départ à 64 ans.

L'utilisation de chacune de ces procédures est légale. Mais les oppositions s'interrogent sur leur accumulation, qui a significativement contraint les débats.

"On se demande si tous ces outils constitutionnels peuvent être utilisés ensemble, tous en même temps, pour limiter les débats au Parlement."

Cyrielle Chatelain, députée écologiste

à franceinfo

"Le Conseil est attentif au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires, confirme le constitutionnaliste Dominique Rousseau à Capital (article réservé aux abonnés). (...) Or l'Assemblée nationale n'a débattu que deux articles et n'a pas voté le texte. Au Sénat, le débat a été limité avec l'utilisation de l'article 38 du règlement et le vote bloqué. Tous ces événements font que la clarté et la sincérité des débats ont été malmenées", estime-t-il.

L'absence d'effet immédiat sur les finances publiques de certaines mesures

Enfin, en échange de l'avantage de rapidité offert par le PLFRSS, les mesures qu'il contient sont supposées avoir un impact sur les finances actées par le budget de la Sécu 2023. Or, l'une des mesures phares de la réforme est la création d'un index senior, visant à mesurer l'emploi des salariés âgés par les entreprises. Des sanctions financières sont prévues en cas de non-publication de l'index. Mais l'effet de cet indicateur sur les finances publiques en 2023 est incertain, a prévenu le Conseil d'Etat, dans une note au gouvernement, rappelle Le Figaro. Selon lui, la disposition pourrait donc être censurée par le Conseil constitutionnel.

Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a lui-même mis en garde le gouvernement, à en croire des propos rapportés par Le Canard enchaîné. "Tout ce qui est hors du champ financier" dans le texte, nécessiterait un "deuxième texte", a-t-il alerté mi-janvier, citant notamment "l'index seniors" et "les critères de pénibilités". L'index seniors "n'a rien à voir avec le financement de la Sécurité sociale, ce qui pourrait pousser le Conseil, au nom de la cohérence législative, à la censurer", avance Lauréline Fontaine, évoquant un "cavalier social" ne relevant pas du champ des lois de finances.

Interrogé par l'AFP fin février à ce sujet, Matignon estimait que l'index senior avait "sa place" dans la réforme, car "le produit de la pénalité viendra alimenter dès 2023 la Caisse nationale d'assurance-vieillesse". Si cette mesure était finalement retoquée par les Sages, l'exécutif pourrait toutefois la réintroduire dans un projet de loi prévu sur le "plein-emploi" au printemps. Par ailleurs, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a déjà assuré que des propositions sur le travail de nuit et la pénibilité relèveraient "du niveau réglementaire" et non du PLFRSS. Il a également évoqué le PLFSS 2024 pour certaines mesures concernant les femmes, sans spécifier lesquelles.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.