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Vrai ou faux Réforme des retraites : l'index senior est-il inconstitutionnel ?

Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La façade du Conseil constitutionnel, à Paris, le 20 décembre 2020. (MANUEL COHEN / AFP)
Cette mesure phare du gouvernement pourrait être retoquée par le Conseil constitutionnel, estiment des politiques et des spécialistes du droit. Selon eux, la mesure ne respecte pas les modalités requises pour être intégrée dans un texte financier, comme celui de la réforme des retraites.

Une mesure "hors sujet" d'un point de vue constitutionnel ? Parmi les dispositions inclues dans la réforme des retraites, l'index senior, un indice visant à inciter les entreprises à garder dans leurs effectifs des salariés en fin de carrière, est dénoncé par les pourfendeurs du projet du gouvernement. Parmi eux : le député Aurélien Pradié, vice-président du parti Les Républicains. "J'ai un sérieux doute sur la constitutionnalité de la procédure", déclarait-il le 7 février sur Public Sénat. L'élu du Lot y voyait "un danger (...) que l'index des seniors soit censuré a posteriori par le Conseil constitutionnel, ce qui viderait d'éléments essentiels la loi dont nous allons débattre".

L'index senior risque-t-il vraiment d'être frappé d'inconstitutionnalité pour un motif purement formel, relevant de la procédure choisie par l'exécutif pour faire passer sa réforme ? 

Ce qu'on appelle un "cavalier législatif" 

"Il y a un vrai risque de censure de l'index senior par le Conseil constitutionnel", admet d'emblée Didier Maus, conseiller d'Etat et expert en droit constitutionnel. Pour faire passer sa réforme des retraites, le gouvernement a en effet choisi de recourir à un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif. Or le PLFSSR est une procédure "très contraignante", explique le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille. Pour être valides, les mesures d'un tel projet de loi doivent avoir "un impact direct sur les recettes et les dépenses du système de retraite de la Sécurité sociale", détaille rappelle Didier Maus. "Ceci pour l'année en cours."

L'index senior, qui consiste en la mise en place d'une évaluation de la place des travailleurs en fin de carrière par les entreprises, ne paraît pas entrer dans ce cadre. Et pour cause : la mesure, avant tout destinée à lutter contre une discrimination en raison de l'âge, "n'influera sans doute pas sur le financement de la Sécurité Sociale pour 2023", remarque Didier Maus. En d'autres termes, l'index senior n'a pas de lien avec la loi de financement qui l'inclut.

En langage constitutionnel, c'est qu'on appelle un "cavalier législatif" — ou un "cavalier social" car il s'agit d'une disposition apparaissant dans un PLFSSR — quand la mesure d'une loi n'a pas de rapport avec le reste du texte de cette loi, définit Jean-Philippe Derosier. "A ce titre, l'index senior pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel", met en garde le professeur de droit. 

Une stratégie délibérée du gouvernement ?

Dans ce cas, la majorité prend-elle un risque de voir son texte retoqué s'il n'est pas conforme à la loi fondamentale de la Ve République ? "Le gouvernement peut tenter le coup", estime malgré tout Didier Maus. "Au cours du débat parlementaire, un lien plus concret de l'index senior avec le financement de la Sécurité sociale peut être trouvé. Ce qui peut faire évoluer la position du Conseil." L'exécutif peut, par exemple, déclarer que l'index, "en encourageant l'emploi des seniors, réduira le déséquilibre du système des retraites", avance l'expert en droit. "Mais cela serait un moyen un peu détourné."

Si le gouvernement s'obstine à inscrire l'index senior dans un PLFSSR, le constitutionnaliste y voit une raison stratégique.

"L'intérêt d'un PLFSSR est d'aller plus vite."

Didier Maus, spécialiste du droit constitutionnel

à franceinfo

L'article 47.1 de la Constitution, qui définit les modalités d'adoption d'un projet de loi de financement de la Sécurité sociale, limite en effet les débats à 50 jours maximum au Parlement, dont 20 à l'Assemblée. Au bout de ce délai, l'article 47.1 stipule que "les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance". Autre atout, la mise en place d'un PLFSSR offre la possibilité de recourir sans limite à l'article 49.3, qui permet au gouvernement de faire adopter un texte sans vote, comme la Constitution l'autorise pour les textes budgétaires.

Selon Jean-Philippe Derosier, l'exécutif aurait très bien pu inscrire la mesure dans une loi ordinaire. Cependant, comme l'avance le site Vie-publique.fr, pour les lois non budgétaires, le recours à l'article 49.3 est limité à une utilisation par session parlementaire. "Le gouvernement se réserve sans doute le 49.3 pour une autre loi ordinaire", s'avance le constitutionnaliste. Invitée sur France 2 le 2 février, Elisabeth Borne a cependant exclu – pour le moment — un recours à l'article 49.3. "Je n'envisage pas cette hypothèse", avait assuré la Première ministre, expliquant qu'elle "cherchait des compromis sur ce texte comme sur tous ceux qu'[elle] présente au Parlement". Avant même de pouvoir les présenter au Conseil constitutionnel, le gouvernement devra donc convaincre une partie de l'opposition de voter pour l'index senior et les autres mesures de sa réforme.

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