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Réforme des retraites : trois questions sur l'"index seniors" que le gouvernement veut imposer aux grandes entreprises

Inspiré de l'indice sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ce dispositif vise à inciter les entreprises à compter davantage sur les salariés en fin de carrière.
Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Des visiteurs patientent devant un stand Pôle Emploi lors d'un forum sur l'emploi des seniors, le 8 mars 2016, à Paris. (MAXPPP)

"Les entreprises doivent faire leur place aux personnes proches de la retraite." La Première ministre, Elisabeth Borne, a appelé les employeurs à "prendre en main" le sujet du maintien des seniors dans l'emploi, mardi 10 janvier, lors de la présentation de son projet de réforme des retraites. Un "index" spécifique devra être publié par les grandes entreprises à partir de l'automne prochain, a-t-elle annoncé. Des sanctions financières pourront être infligées aux contrevenants, a ensuite prévenu l'exécutif. Franceinfo vous présente ce futur "index seniors".

Qu'a annoncé le gouvernement ?

Elisabeth Borne entend inscrire dans la future loi sur les retraites une obligation de créer "un index sur la place des salariés en fin de carrière" au sein de chaque grande entreprise. Les sociétés de plus de 1 000 salariés seront concernées "dès cette année" et celles comptant plus de 300 personnes "en 2024". "Cet index sera simple. Il sera public. Il permettra de valoriser les bonnes pratiques et de dénoncer les mauvaises", a fait valoir la Première ministre.

Le contenu de cet index, à commencer par les indicateurs retenus (taux d'emploi, taux de formation, mobilité interne…), sera "défini à l'issue d'une concertation professionnelle", a ensuite précisé le ministre du Travail, Olivier Dussopt.

"Si l'entreprise refuse de renseigner l'index et de rendre publics ses résultats, il y aura une sanction financière."

Olivier Dussopt, ministre du Travail

sur BFMTV

La pénalité infligée aux entreprises fautives sera "calculée en pourcentage de leur masse salariale", a détaillé le ministre. "Le pourcentage exact n'est pas fixé" et "fait l'objet de discussions". Les sociétés qui publieront l'index mais dont la situation sur l'emploi des seniors ne progressera pas se verront imposer une "obligation renforcée de négociation d'un accord social" sur le sujet.

L'idée est que cet index "serve à quelque chose", sans nécessairement aller jusqu'à imposer un taux de seniors au sein de chaque entreprise, a défendu le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, mercredi sur franceinfo. L'enjeu est de taille : en France, le taux d'emploi des 60-64 ans (33%) était nettement inférieur à la moyenne européenne (45%) en 2020, selon le ministère du Travail. Les salariés quittent particulièrement tôt le monde de l'entreprise en France, à 60,8 ans en moyenne.

D'où vient l'idée d'un "index seniors" ?

Cette proposition a été formulée dès 2019 par l'Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH). A l'époque, l'idée était de s'inspirer de l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, lancé quelques mois plus tôt par le gouvernement et qui "permet vraiment d'améliorer" la situation, selon l'ANDRH. Face à "la première discrimination du marché du travail, qui est celle de l'âge", l'association appelle à "introduire une dose de 'discrimination positive' au bénéfice des seniors" sur la base d'un "index seniors". "On doit passer par une obligation de résultats", insiste-t-elle.

Depuis, l'idée a fait son chemin, notamment à l'Assemblée nationale. En septembre 2021, les députés Didier Martin (LREM) et Stéphane Viry (LR) ont repris cette proposition dans un rapport sur l'emploi des travailleurs expérimentés. Ils y défendaient le "rôle incitatif incontestable" d'un index qui pousserait les employeurs à vouloir obtenir une note élevée, "gage de bonne réputation pour l'entreprise".

Sur la base de ce rapport et du "bilan très positif" de l'index de l'égalité femmes-hommes, la députée UDI Valérie Six a ensuite déposé, en novembre 2021, une proposition de loi visant à créer un index "dynamique des âges". Le texte, largement remanié, a fini oublié dans un tiroir du Sénat. Absent du programme présidentiel d'Emmanuel Macron (mais présent dans celui d'Eric Zemmour), l'"index seniors" a finalement été mis sur la table des discussions par l'exécutif, à l'automne dernier, à l'ouverture des concertations sur la réforme des retraites.

Un temps envisagé pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés, comme l'index femmes-hommes, ce dispositif a été restreint aux structures employant plus de 300 personnes. Un revirement que Matignon justifie par le souci de pouvoir agir sur le levier des accords de "gestion des emplois et parcours professionnels", qui s'impose à ces grandes entreprises. Dans sa proposition de loi, la députée Valérie Six avait par ailleurs souligné la "nécessité de bien distinguer la situation des grandes entreprises, qui disposent d’un service de ressources humaines étoffé, (...) des plus petites".

Pourquoi ce projet suscite-t-il des réserves ?

Le patronat freine des quatre fers face à l'idée d'un tel index, perçu comme une lourdeur administrative et une contrainte supplémentaire. "Si c'est mettre les entreprises sous surveillance et mettre des sanctions, évidemment on y est radicalement opposés", a rappelé mardi sur BFM Business la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), qui représente des sociétés comptant jusqu'à 500 salariés "On s'aperçoit que [l'index de l'égalité femmes-hommes], suivant la typologie des entreprises ou la taille des entreprises, est loin d'être évident à mettre en place", avait déjà plaidé la CPME, en décembre. Très critique sur le sujet, le Medef, principale organisation patronale, a également redit, mardi, son "opposition" au principe d'un tel dispositif.

A droite, l'accueil est tout aussi réservé. "Ce n'est peut-être pas le moment de charger la barque [des entreprises]", a jugé la députée Annie Genevard, sur Public Sénat. "L'index des bonnes pratiques est une blague", a même fustigé la vice-présidente de LR, Agnès Evren, sur Twitter, dénonçant un "manque de volonté politique" en matière d'employabilité des seniors.

A gauche, la députée LFI Nadège Abomangoli a mis en garde contre "un index bidon". Sur Twitter, elle s'est fait l'écho des critiques régulièrement formulées à l'encontre de l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dont les résultats sont mitigés, avec une dizaine d'entreprises sanctionnées en 2021.

Mêmes réticences du côté de la CGT. "Si c'est juste pour dire 'vous n'êtes pas gentil', ça ne va pas changer grand-chose", redoute son secrétaire général, Philippe Martinez. "On connaît déjà la situation, il n'y a pas besoin de faire un index", a-t-il défendu sur BFMTV, appelant sans tarder à priver d'aides publiques les grandes entreprises qui "foutent à la porte" les seniors.

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