Inflation : blé, huile, sucre... Quels sont les produits frappés par des restrictions d'exportation dans le monde (et avec quelles conséquences sur les prix en France) ?
De plus en plus de pays mettent en place des mesures pour empêcher qu'une partie de leur production agricole ne quitte le pays. Ce "protectionnisme alimentaire" a des effets néfastes sur le marché mondial, et la France n'y échappe pas.
Intempéries, sécheresses, perturbations liées au Covid-19, hausse des prix de l'énergie et maintenant guerre en Ukraine… Les menaces sur l'approvisionnement mondial en nourriture se multiplient. De plus en plus de pays cherchent à se protéger du choc, en instaurant des restrictions afin de limiter la quantité d'aliments qu'ils vendent à l'étranger, emboîtant ainsi le pas à l'Ukraine et la Russie.
"Quand les prix mondiaux augmentent, les responsables politiques voudraient souvent que les prix dans leur pays restent stables, pour le bien-être et la stabilité sociale. Mais pour cela, ils doivent isoler leur pays", explique à franceinfo David Laborde, chercheur associé à l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri), qui suit le développement de cette tendance au "protectionnisme alimentaire". Celui-ci peut prendre diverses formes : une taxe sur les exportations pour les rendre moins rentables ou des quotas pour fixer des quantités maximales autorisées à la vente, ou encore des interdictions pures et simples de faire sortir certains produits du pays.
Ces mesures sont de plus en plus utilisées. Quelque 23 Etats en ont pris depuis fin février et le début de la guerre en Ukraine, et 19 les ont maintenues jusqu'à ce jour, selon le suivi de l'Ifpri vérifié par franceinfo. "On constate une escalade", résume David Laborde.
Ces restrictions menacent d'amplifier la crise alimentaire. "Elles limitent les quantités disponibles dans le monde, ce qui favorise la hausse des prix, explique David Laborde. Elles entraînent une perte de confiance et favorisent le 'chacun pour soi'. Et à long terme, elles dissuadent d'investir, car les producteurs ne savent pas s'ils pourront vendre à un prix suffisant".
Du G7 au Programme alimentaire mondial, de nombreuses institutions tirent la sonnette d'alarme. "Les premières victimes [du protectionnisme alimentaire] seront les pays pauvres", rappelle David Laborde. Autrement dit, ceux qui dépendent de ces aliments importés pour leur subsistance, et qui ne pourront pas se rabattre sur des solutions plus coûteuses. La France, quant à elle, n'est pas toujours touchée directement par ces limitations mais elle subit, comme tout le monde, la hausse des prix qu'elles entraînent. Parce que toutes les mesures répertoriées sur la carte n'ont pas le même impact, franceinfo a sélectionné quelques-unes des plus importantes, sur quatre produits, pour comprendre comment elles pourraient affecter la France et le monde.
Huile de palme : les prix des produits transformés en hausse
C'est l'une des restrictions les plus fortes depuis le début de la guerre en Ukraine. Le 22 avril, le président de l'Indonésie a annoncé que son pays suspendrait entièrement ses exportations d'huile de palme pour lutter contre la pénurie dont souffre le pays, où cet ingrédient est l'un des produits de base de l'alimentation. Or il est aussi essentiel dans de nombreux pays pauvres, et l'Indonésie produit plus de 55% de l'huile de palme exportée dans le monde, selon Reuters*.
"Le président indonésien s'est très vite aperçu que l'espace viendrait à manquer pour stocker la production nationale, et qu'il y aurait des dommages collatéraux", expose à franceinfo Antoine de Gasquet, président de la société de courtage en huiles Baillon-Intercor. Le dirigeant indonésien a finalement levé le blocage pur et simple au bout d'un mois. Mais à la place, il a forcé les producteurs indonésiens à vendre une certaine quantité de leur production exclusivement à l'intérieur du pays : 10 millions de tonnes, sur 53,8 millions produites en 2022, selon Bloomberg*. Cette restriction à la vente a lésé de nombreux pays importateurs. La France a cependant été moins affectée.
"L'huile de palme y est très peu consommée. On a fortement réduit sa part dans les produits alimentaires, notamment en faveur du tournesol."
Antoine de Gasquet, directeur de la société de courtage Baillon-Intercorà franceinfo
Face à ces stocks d'huile de palme moins disponibles, certains pays la remplacent par d'autres huiles, comme celle de tournesol, ce qui alimente la hausse générale des prix de ces produits, constate Philippe Chalmin, économiste spécialiste des matières premières. Résultat : "Toutes les huiles végétales [soja, tournesol, colza...] sont dans des situations très tendues", résume l'expert.
L'huile de palme n'est pas seulement utilisée dans l'alimentation. On la retrouve aussi dans de nombreux produits non alimentaires, où elle est souvent qualifiée d'"huile végétale" : shampooings, dentifrices, rouges à lèvres… Par conséquent, une hausse du prix de l'huile de palme "pourrait éventuellement se répercuter sur les prix de ces produits", avertit Antoine de Gasquet, qui estime cependant que l'impact devrait être mineur.
En France, c'est dans un autre secteur encore que l'huile de palme est principalement utilisée : la fabrication de biocarburants. En 2019, la bioessence de synthèse incorporée dans les carburants était produite à partir d'huile de palme à 89%, selon le ministère de la Transition écologique. "Ces taux pourraient être revus à la baisse", envisage Antoine de Gasquet.
Blé : l'Inde refuse de combler le vide ukrainien
Une autre ressource essentielle a été la cible de restrictions : le blé. Le 14 mai, l'Inde a décidé de suspendre ses ventes de blé à l'étranger. Le plus grand producteur mondial de cette céréale voulait être certain de pouvoir satisfaire sa consommation intérieure massive, face à une vague de chaleur record qui menaçait de fragiliser les récoltes.
L'Inde représentait cependant à peine plus de 0,5% des exportations mondiales de blé en 2020 selon le ministère indien du Commerce*, et ces exportations étaient principalement destinées à son voisinage proche, comme le Bangladesh. "L'effet direct sur la France est donc nul", résume Philippe Chalmin, qui rappelle que la France est elle-même exportatrice nette de blé. Mais beaucoup d'autres nations comptaient sur l'Inde pour compenser le manque de blé ukrainien, dont une grande partie est bloquée, voire volée, par les forces russes depuis le début de la guerre.
"Ces embargos ont un impact indirect, en alimentant la hausse des prix globale."
Philippe Chalmin, économiste spécialiste des matières premièresà franceinfo
Puisque le blé indien ne compensera pas la part laissée vide par le blé ukrainien, il ne calmera pas la hausse générale des prix, qui se répercute partout. "Pour les éleveurs, la situation est extrêmement compliquée, parce que l'une de leurs plus grosses charges, c'est l'alimentation du bétail, décrivait le spécialiste Michel Portier à franceinfo en mai. Des éleveurs seront donc contraints d'arrêter leur activité. Concernant les consommateurs, on aura une hausse des prix des denrées alimentaires", notamment des produits transformés qui en utilisent (pâtes, pain...).
Sucre : des prix sécurisés à moyen terme
Moins de trois semaines après sa décision concernant le blé, l'Inde a frappé une nouvelle fois, en plafonnant ses exportations de sucre, soit 10 millions de tonnes pour la saison allant d'octobre à septembre, selon CNN*. "L'Inde est le premier producteur mondial de sucre et le deuxième exportateur, rappelle à franceinfo le cabinet d'études agro-économiques Tallage. Sa capacité à exporter pèse donc beaucoup dans le cours du sucre."
New Delhi vend principalement son sucre à des pays asiatiques ou africains, comme l'Indonésie, le Bangladesh ou le Soudan, selon le ministère indien du Commerce*. L'impact direct sur la France serait encore une fois assez limité, puisqu'elle est, comme pour le blé, exportatrice nette. L'Hexagone importe certes du sucre indien, mais en faible quantité : d'après FranceAgriMer (PDF), l'Inde ne faisait même pas partie du top 8 de ses fournisseurs en 2020. De plus, "les contrats négociés en Europe sur le long terme entre les producteurs de sucre et les transformateurs et acheteurs lissent les variations des prix", relève le cabinet d'études agro-économiques Tallage.
"Les prix européens sont donc actuellement inférieurs aux prix mondiaux."
Tallage, cabinet d'études agro-économiquesà franceinfo
Mais là encore l'effet se fera sentir de manière indirecte en France. "Le prix mondial se répercutera bien sur les cours européens mais à plus long terme, avec un temps de décalage", anticipe le cabinet d'études agro-économiques Tallage. "La hausse des prix affectera là aussi le coût des produits transformés", note Philippe Chalmin.
Bientôt de nouvelles restrictions sur le riz ?
Toutes ces limitations pourraient plonger l'économie mondiale dans un cercle vicieux. "Vu que les prix continuent d'augmenter, certains pays pourraient décréter des restrictions supplémentaires", considère David Laborde. Les regards sont braqués sur le riz, la seule céréale dont le cours n'a pas encore explosé. Le plus gros producteur mondial, l'Inde, "pourrait vouloir garantir ses stocks comme elle l'a fait avec le blé", analyse Philippe Chalmin. Les deux pays suivants dans la hiérarchie des producteurs, la Thaïlande et le Vietnam, ont aussi fait savoir qu'ils pourraient se coordonner pour vendre leur production plus cher, comme le rapporte Bloomberg*.
Or la France est importatrice de riz, et 22% de ses achats provenaient de ces trois pays en 2020-2021, d'après FranceAgriMer. Mais surtout, "c'est l'aliment de base de plus de trois milliards de personnes", souligne David Laborde. Notamment dans des pays pauvres qui, une nouvelle fois, en pâtiront le plus.
* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des contenus en anglais.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.