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On vous explique l'interdiction par la Commission européenne de la fusion entre Alstom et Siemens

Sans surprise, la Commission européenne a annoncé mercredi qu'elle mettait son veto au projet de mariage entre les deux groupes.

Article rédigé par franceinfo
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Le PDG de Siemens, Joe Kaeser, et le PDG d'Alstom, Henri Poupart-Lafarge, annonce la fusion de leurs groupes lors d'une conférence de presse à Paris, le 27 septembre 2017. (THOMAS SAMSON / AFP)

La Commission européenne a interdit, mercredi 6 février, la fusion entre l'Allemand Siemens et le Français Alstom. Ce mariage était censé créer un champion européen du ferroviaire. Mais Bruxelles a estimé que le rapprochement des deux groupes était néfaste pour la concurrence sur le marché ferroviaire de l'UE. "Les entreprises n'étaient pas disposées à remédier aux importants problèmes de concurrence que nous avons relevés", a expliqué Margrethe Vestager, commissaire chargée de la Concurrence, lors d'une conférence de presse. Franceinfo répond à trois questions sur ce projet avorté.

Pourquoi Paris et Berlin défendaient-ils une fusion entre Alstom et Siemens ?

La fusion entre Alstom et la division Mobility de Siemens avait été annoncée en grande pompe en septembre 2017. Ce rapprochement devait donner au géant allemand un peu plus de 50% du capital de la nouvelle entité, baptisée Siemens-Alstom, et créer un "champion européen" dans le domaine ferroviaire, rappelle Le Figaro. Paris et Berlin soutenaient le projet, dont l'objectif était de contrer le groupe chinois China Railroad Rolling Stock Corporation (CRRC).

Numéro 1 mondial du ferroviaire, CRRC, né du rapprochement de deux entreprises d'Etat contrôlées par Pékin, fabrique 200 trains à grande vitesse chaque année, selon le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. A eux deux, Siemens et Alstom en fournissent 35. Ces dernières années, CRRC a remporté des contrats pour fournir des locomotives, des trains ou des métros aux Etats-Unis, en Argentine, en Egypte, au Brésil, en Inde, au Nigeria ou encore en Nouvelle-ZélandeLe mastodonte chinois a réalisé près de 27 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2017, contre un peu plus de 15 milliards d'euros pour l'ensemble Siemens Mobility et Alstom.

La fusion aurait permis au tandem de devenir numéro 2 mondial (en volume) dans le domaine du matériel roulant et numéro 1 pour la signalisation, selon le HuffPost"Nous regardons le monde de demain. Face [au] chiffre d'affaires du géant chinois, nous devons être unis, avait affirmé Bruno Le Maire en 2017. Nos pensons que l'union industrielle fera la force de la France et de l'Europe. Si certains n'avaient pas eu le courage d'unir nos forces par le passé, il n'y aurait pas Airbus pour faire face à Boeing."

Pourquoi Bruxelles a-t-elle interdit cette alliance ?

Le veto de la Commission européenne n'est pas une surprise. La commissaire Margrethe Vestager s'est inquiétée à maintes reprises des effets de ce rapprochement sur la concurrence européenne. Selon elle, une fusion réduirait le nombre d'industriels rivaux dans l'Union. "En l'absence de mesures compensatoires suffisantes, cette concentration aurait entraîné une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse", a-t-elle expliqué mercredi 6 février.

Alstom et Siemens s'étaient engagés à céder 4% du chiffre d'affaires de la nouvelle entité, soit 600 millions d'euros d'actifs, pour contrer ce reproche. Mais la commissaire danoise a jugé cette concession insuffisante. Selon Margrethe Vestager, la part de marché du groupe après la fusion aurait été "trois fois plus élevée que celle de son concurrent le plus proche" dans le matériel roulant, le canadien Bombardier, rapporte Le Monde. Alstom-Siemens aurait ainsi détenu près de 90% des parts de marché pour les trains à grande vitesse et la signalisation ferroviaire, ajoute Libération.

Autre argument soulevé par Bruxelles : CRRC est pour l'instant très peu présent au sein de l'UE. L'industriel chinois estime en effet que les barrières à l'entrée sur le marché ferroviaire européen sont trop contraignantes. L'avis de Margrethe Vestager s'appuie en outre sur un vote consultatif des 28 autorités nationales de la concurrence, une semaine plus tôt. Selon une source bruxelloise citée par Le Figaro, elles ont toutes approuvé la décision de la Commission de poser son veto, à l'exception de l'autorité allemande, qui s'est abstenue.

Anticipant les critiques, le président de la Commission a défendu, mardi 5 février, la position de Bruxelles. Jean-Claude Juncker a adressé un message à "ceux qui disent que la Commission est composée de technocrates aveugles, stupides et bornés". "Nous permettrons toujours une concurrence équitable pour les entreprises et, en fin de compte, pour les consommateurs (...) Nous ne ferons jamais de politique ou de favoritisme quand il s'agit d'assurer des règles du jeu équitables", a-t-il assuré.

"Nous ne sommes pas contre les fusions, avait déjà martelé Margrethe Vestager le 15 janvier. Ces dernières années, une large majorité de demandes de rapprochement a été validée." La Commission, qui dispose d'un droit de veto sur les grands projets de fusion depuis 1989, n'en a pas souvent fait usage. Elle a par exemple donné sa bénédiction aux mariages des cimentiers Lafarge et Holcim, des compagnies aériennes Air France et KLM ou encore des groupes de téléphonie Nokia et Alcatel-Lucent.

Quelles sont les réactions à cette décision ? 

Lors des questions au gouvernement, mercredi 6 février, le Premier ministre, Edouard Philippe, a estimé que la décision de la Commission était "un mauvais coup [porté] à l'industrie européenne" et qu'elle lui semblait "avoir été prise sur de mauvais fondements". Plus tôt, Bruno Le Maire avait dit "regretter" le veto, sur France 2dénonçant "une erreur économique" et "une faute politique" qui "affaiblit l'Europe". Cette décision "va servir les intérêts économiques et industriels de la Chine, avait-il poursuivi. [Elle] empêche Alstom et Siemens, les deux champions de la signalisation et du ferroviaire, de fusionner pour avoir le même poids que le grand champion industriel chinois."

Selon Le Monde, le gouvernement français avait indiqué la veille qu'il comptait faire des propositions pour faire évoluer les règles de la concurrence datant de 2004. "Je propose en deuxième lieu que le Conseil européen, c'est-à-dire les chefs d'Etat, puisse s'exprimer sur la décision européenne en matière de concurrence", a précisé Bruno Le Maire.

Le ministre de l'Economie allemand, Peter Altmaier, a lui aussi plaidé pour une révision du droit européen de la concurrence. Il a également appelé à une politique favorisant des regroupements à l'échelle européenne, pour créer des entités capables de jouer "à égalité" sur la scène internationale. "N'y a-t-il pas des domaines tels que l'aviation, les chemins de fer, les banques où vous devez prendre le marché mondial comme référence plutôt que l'européen ?" a fait valoir le ministre.

Le PDG d'Alstom a annoncé, dans un entretien au Figaro, que les deux groupes repartiraient "chacun de leur côté" en cas d'entrave à leur rapprochement. "Il n'y aura pas de seconde chance", a précisé Henri Poupart-Lafarge, ajoutant qu'attaquer le veto en justice "ne sera de toute façon pas [la] priorité" d'Alstom. Siemens a laissé entendre pour sa part qu'en cas de refus, il n'excluait pas une introduction en Bourse de sa rentable branche Mobility.

L'interdiction de la fusion devrait en revanche satisfaire les syndicats belges et français d'Alstom. Ils craignaient des centaines de suppressions de postes en raison de "doublons" entre Siemens et Alstom.

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