Budget 2025 : cinq questions sur le gel temporaire des pensions de retraite proposé par le gouvernement

Pour faire des économies dans le cadre du prochain budget, Michel Barnier souhaite décaler leur revalorisation de six mois, au 1er juillet.
Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
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Une personne âgée marche dans une rue à Paris, le 13 septembre 2024. (ANTOINE BOUREAU / HANS LUCAS / AFP)

C'est l'une des mesures des textes budgétaires pour 2025 qui seront présentés par le gouvernement, jeudi 10 octobre, en Conseil des ministres. Face au dérapage du déficit public, le Premier ministre Michel Barnier souhaite reporter de six mois la hausse des pensions de retraite de base. La revalorisation, initialement prévue le 1er janvier, serait repoussée au 1er juillet. 

Selon le ministère du Travail, ce report permettrait de dégager "environ 4 milliards d'euros d'économies". Mais quel serait le manque à gagner pour les retraités ? Comment le gouvernement justifie-t-il ce choix ? Franceinfo répond à cinq questions sur cette mesure qui a déjà suscité de vives réactions dans la classe politique et chez les syndicats.

1 Combien de retraités seraient concernés par cette mesure ?

Cette mesure vise plus de 14 millions de retraités affiliés à des régimes de base obligatoires, selon les chiffres communiqués en janvier dernier par le site service-public, au moment de la précédente revalorisation des pensions. Cela inclut notamment les anciens salariés du secteur privé au régime général, les fonctionnaires, ou encore les retraités affiliés à la Caisse nationale d'assurance-vieillesse des professions libérales. En revanche, le report voulu par le gouvernement ne concerne pas les pensions de retraite complémentaires, dont les régimes "disposent de leurs propres règles de revalorisation", ajoute le portail de l'administration.

Le montant de la revalorisation est calculé par rapport à l'évolution des prix sur les douze derniers mois. Au 1er juillet, compte tenu des prévisions d'inflation du gouvernement, la hausse de la retraite de base est attendue autour de 1,8%. Pour un retraité "qui bénéficie d'une pension de retraite de 1 500 euros", le manque à gagner "sera de 15 euros par mois pendant les six mois de janvier à juin", calcule le président du Conseil d'orientation des retraites (COR), Gilbert Cette.

2 Les gouvernements précédents ont-ils déjà pris des décisions similaires ?

Oui, même si, en théorie, l'indexation des pensions de retraite sur l'inflation est prévue par la loi. Traditionnellement, elles sont revalorisées automatiquement le 1er janvier. Des hausses supplémentaires en cours d'année peuvent intervenir en fonction du niveau des prix. Par exemple, en 2022, en pleine crise inflationniste, les retraites de base ont augmenté de 1,1% en janvier, puis de 4% à l'été. 

En pratique, ces règles ne sont pas toujours appliquées. Certains gouvernements ont parfois choisi de reporter la revalorisation annuelle de quelques mois pour faire des économies, comme l'envisage Michel Barnier. En 2014 et 2016, les retraites de base avaient été gelées, relève la Direction générale des finances publiques. A l'époque, le gouvernement socialiste justifiait cette décision en avançant que l'inflation était quasi nulle, rappelle Radio France. En 2018, sous Emmanuel Macron, elles n'ont pas non plus augmenté. Puis, en 2019 et 2020, elles ont bénéficié d'un coup de pouce, mais inférieur au niveau de l'inflation.

3 Comment le gouvernement justifie-t-il ce choix ?

"Nous devons tous faire un effort et nous retrousser les manches" pour rétablir les comptes publics, a estimé dimanche le Premier ministre. Dans une interview à La Tribune Dimanche, Michel Barnier juge que le report de la revalorisation des retraites représente un "effort raisonnable, qui traduit cet effort collectif, partagé". De son côté, le ministre du Budget a fait valoir jeudi sur France 2 que les pensions ont augmenté de 5,3% en janvier, "pour une inflation à peu près de 2%" d'ici la fin de l'année. Laurent Saint-Martin estime que ce report de la hausse des pensions l'année prochaine est un "lissage" par rapport à cette année.

L'idée de jouer sur l'indexation des retraites pour ralentir les dépenses était dans l'air depuis le printemps. L'ex-ministre du Budget, Thomas Cazenave, y avait fait allusion dès février. En juin, après la dissolution de l'Assemblée nationale, Emmanuel Macron s'était cependant engagé à maintenir l'indexation des pensions sur l'inflation en 2025. La solution retenue par Michel Barnier permettrait donc de faire contribuer les retraités à l'effort budgétaire, sans contredire totalement l'engagement du chef de l'Etat.

4 Que disent les données sur le niveau de vie des retraités ?

La proposition a fait ressurgir le débat sur le niveau de vie des retraités. Dans un communiqué publié vendredi, neuf syndicats "s'insurgent contre cette mesure qui va, une nouvelle fois aggraver le pouvoir d'achat des retraités qui n'auront aucune revalorisation pendant 18 mois [du 1er janvier 2024 au 1er juillet 2025]". Dans son dernier rapport annuel (en PDF), paru en juin, le Conseil d'orientation des retraites avance que le niveau de vie moyen des retraités est "globalement équivalent à celui de l'ensemble de la population". En 2021, il s'élevait à 2 188 euros par mois, contre 2 218 euros pour la population dans sa globalité et 2 428 euros pour les actifs.

Le niveau de vie des retraités a "très fortement progressé" au cours des cinq dernières décennies, selon le COR. Cette tendance s'explique par différents facteurs, comme la mise en place des minima de pensions ou encore l'amélioration des carrières des femmes. Depuis le milieu des années 1990, le niveau de vie des retraités a "rattrapé" celui de l'ensemble de la population et est resté "relativement stable".

Cet indicateur est toutefois en baisse depuis 2017, "notamment parce que les ménages actifs ont bénéficié de mesures visant à augmenter les revenus du travail" et parce que le chômage a diminué. A très court terme, "le niveau de vie relatif des retraités augmenterait de 2024 à 2026", sous l'effet des revalorisations de pensions liées à l'inflation et de la hausse du minimum contributif (le Mico) introduite dans la réforme des retraites de 2023. En revanche, à long terme, il devrait diminuer, selon le COR, qui anticipe que les pensions de retraite augmenteront moins vite que les revenus des actifs.

Enfin, ces données sont des moyennes, qui peuvent cacher de grandes disparités entre les retraités. Deux millions de seniors vivent sous le seuil de pauvreté, particulièrement les femmes et les personnes seules, alerte l'association Les Petits Frères des pauvres dans un rapport publié le 30 septembre. En proportion, les personnes âgées de 65 à 74 ans sont toutefois moins touchées par la pauvreté (10,6% d'entre elles) que l'ensemble de la population (14,4%), selon les chiffres de l'Insee.

5 Cette proposition a-t-elle des chances d'aboutir ?

La proposition a provoqué une levée de boucliers dans la classe politique, y compris chez une partie des macronistes et des représentants de droite. "Concernant les plus petites retraites, je pense qu'il ne faut pas temporiser sur leur indexation parce qu'on sait que les petits retraités ont du mal à boucler les fins de mois", a réagi dimanche sur BFMTV Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée et députée Renaissance. L'ex-ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, estime auprès des Echos qu'il serait "absurde" de reporter la revalorisation, "et en même temps revenir sur la réforme des retraites qui provoquerait plus de dépenses".

A gauche, le député LFI et président de la commission des finances à l'Assemblée, Eric Coquerel, y voit sur franceinfo une "mesure injuste" qui demande "aux retraités de payer pour tous les cadeaux fiscaux qui ont été faits aux plus riches", mais aussi une "mesure économiquement stupide", qui casse la consommation des ménages. Du côté du Rassemblement national, Marine Le Pen compte aussi s'opposer à cette mesure, jugeant sur X qu'elle reviendrait à "voler à nos aînés des milliards d'euros de pouvoir d'achat". 

Le Premier ministre confie à La Tribune que le chef des députés de la Droite républicaine, Laurent Wauquiez, lui a également fait part de son scepticisme. Face à ces nombreuses oppositions et à l'absence de majorité claire à l'Assemblée, Michel Barnier s'est dit "ouvert à ce qu'on trouve d'autres solutions dans la discussion parlementaire". "Les parlementaires ont la possibilité, comme sur d'autres sujets, de faire évoluer le texte, à condition de trouver des économies équivalentes", tente de calmer le chef du gouvernement.

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