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Témoignage Affaire PPDA : "Cette impunité me fait sortir de mes gonds", témoigne l'écrivaine Bénédicte Martin

L'écrivaine Bénédicte Martin accuse Patrick Poivre d'Arvor de l'avoir agressée sexuellement en 2003, dans son bureau à TF1. Elle dénonce la "complicité active du monde de l'édition" et un "modus operandi systémique" de l'ex-présentateur.

Article rédigé par David Di Giacomo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Patrick Poivre d'Arvor, en novembre 2018. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

"Cette impunité me fait sortir de mes gonds", s'agace l'écrivaine Bénédicte Martin, qui a fini par déposer plainte, elle aussi, contre l'ancien journaliste Patrick Poivre d'Arvor, a-t-elle indiqué à franceinfo mardi 20 septembre, confirmant une information de Libération. Elle lui reproche de l'avoir agressée sexuellement en 2003, dans son bureau à TF1, et elle dénonce la "complicité active du monde de l'édition". "J'ai déposé plainte contre Patrick le 12 septembre dernier à la suite de longs mois de réflexion et d'agacement de voir qu'il continuait à porter beau alors qu'il y a énormément de femmes qui ont porté plainte contre lui ou qui ont témoigné de ses agissements", explique-t-elle.

"Il continue à se croire intouchable, il ne répond pas de ses agissements, de ses actes répréhensibles, il continue à se moquer de ses victimes."

Bénédicte Martin

à franceinfo

La journaliste a aussi déposé plainte pour donner de la visibilité aux victimes, pour que les gens voient que "nous ne sommes pas juste des plaintes, nous sommes des femmes, des sœurs, des mères, des filles, nous avons un travail, et on doit gérer aussi le traumatisme que PPDA nous a mis au fer blanc".

Elle raconte comment, après l'avoir invitée dans son émission littéraire, Vol de nuit, pour parler de la publication du premier livre de la jeune écrivaine, Warm Up, publié en 2003, il l'a conviée à venir assister au JT de TF1. "Je n'étais pas plus emballée que ça mais c'est sur l'insistance de mon attachée de presse que je m'y rends. Je comprends très rapidement que je suis enfermée, je suis dans une sorte de traquenard." Elle est appelée par d'autres prénoms que le sien par les employés de la chaîne et elle se dit "qu'il doit y avoir un défilé de femmes".

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"Après le JT, on m'a fait attendre dans son bureau pendant près d'une demi-heure, moment je crois tout opportun pour PPDA au niveau de sa prédation, qui est le moment où les bureaux de TF1 se vident. Je vois les gens partir au fur et à mesure et je me retrouve seule avec lui qui arrive et se déchausse tout simplement en arrivant et se sert de l'alcool", se souvient-elle.

"Il tournait autour de la chaise sur laquelle j'étais assise, face à son bureau, et, par derrière, il m'a fait une clé de bras. Nous avons basculé sur la moquette et je me suis débattue alors qu'il essayait de mettre ses mains dans ma culotte en relevant ma jupe et en descendant mes collants."

Bénédicte Martin

à franceinfo

"Là, j'ai feinté, je me suis dit : pas moi, je ne serai pas violée, je ne veux pas, et donc j'ai repoussé son visage avec ma main, fermement et j'ai feinté, raconte-t-elle. Je lui ai dit 'Patrick nous méritons mieux, pas comme ça, quelque chose de plus joli', et ça a marché. Il s'est levé, il est allé derrière son bureau, il a sorti un carnet, il m'a dit quel jour et c'est le moment où j'ai rattrapé mon sac, j'ai pris mon manteau et j'ai filé dans le couloir en courant, en ayant peur d'être poursuivie par lui."

Une "complicité active du milieu de l'édition"

Après cela, elle tente d'en parler à son éditeur, Frédéric Beigbeder, alors en poste à Flammarion. "Il m'a servi son fameux rire comme si c'était une bonne grosse blague et qu'avec lui rien n'est jamais grave." L'écrivain Michel Houellebecq, présent à ce moment-là, n'a pas été plus choqué. "Quand j'ai dit ça, c'était comme si j'avais animé leur après-midi. Ils ne voyaient franchement pas où était le problème, c'était de la distraction", affirme-t-elle.

L'écrivaine ne croit pas "qu'une maison d'édition comme Flammarion pensait que j'allais passer au travers. Mon attachée de presse s'en expliquera par ailleurs mais on m'a clairement fait comprendre que PPDA, quand on est une jeune auteure qui débute et qui a du succès, est un passage obligé". Alors Bénédicte Martin "condamne fermement la complicité active du milieu de l'édition", une "coterie d'intouchables qui se croient tout permis" et qui sont "profondément sexistes". "Personne ne m'a aidée", répète-t-elle plusieurs fois.

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A force que tout le monde minimise autour d'elle, la jeune écrivaine a "mis un petit mouchoir dessus [et a] continué à avancer comme ça". "J'ai cru qu'on pouvait continuer à vivre, qu'on pouvait dépasser, mais en fait on ne peut pas avancer quand on a une pâte cassée", confie-t-elle aujourd'hui. Dix-neuf ans plus tard, le 12 septembre dernier, elle a donc finalement décidé de déposer plainte, même si les faits qu'elle dénonce sont prescrits. "J'ai eu l'impression d'un tel soulagement. Enfin, une écoute. Enfin, être entendue. Pour parler crûment, ça faisait 19 ans que je vivais avec la main de Patrick dans ma culotte et ce jour-là, la main a été enlevée."

Un "caractère sériel évident"

Pour l'écrivaine, comme pour toutes les femmes qui ont témoigné contre lui, "la place de PPDA est dans un tribunal". Elle se félicite que les juges d'instruction étudient l'éventualité d'un caractère sériel des actes de l'ancien journaliste. Ce caractère, s'il était reconnu sur un fait non-prescrit, permettrait de contourner la prescription et de juger par exemple un viol datant de 1993 dénoncé par la journaliste Hélène Devynck, d'un autre datant de 2004 dénoncé par l'écrivaine Florence Porcel, ou encore de l'agression sexuelle dénoncée par Bénédicte Martin.

A ses yeux d'ailleurs, le caractère sériel est évident. "Moi, j'estime que PPDA est un violeur en série et qu'il avait mis en place, durant presque 30 ans, un modus operandi systémique."

"Ces agressions se sont passées sur ces mêmes mètres carrés [dans son bureau], sur ce même endroit [dans la tour TF1], aux mêmes heures [après le JT], toutes les semaines."

Bénédicte Martin

à franceinfo

"Ça relève vraiment de la prédation, de la préméditation et ceci doit être puni", martèle l'écrivaine. Elle note aussi que les victimes avaient "une espèce de caractère commun" : "On est des femmes très jeunes, très fines, très maigres. Il nous parle de sa fille Solenn qui souffrait d'anorexie et qui s'est suicidée. A chaque fois, il nous dit qu'on lui fait penser à sa fille qui s'est suicidée et il nous agresse sexuellement, allant pour certaines jusqu'au viol."

"Faire sauter les prescriptions"

Plus largement, Bénédicte Martin en appelle aussi au gouvernement pour "faire sauter les prescriptions". "Je fais ça pour que l'Etat, que l'Assemblée nationale, que le Sénat revoient la loi sur la prescription parce que, pour les mineurs, la prescription est plus longue. Ce n'est pas à 18 ans pile qu'on devient un adulte. Quand on a 24 ou 25 ans, on est encore un jeune adulte, on n'a pas encore tous les repères. Et de toute façon, j'estime que les crimes sexuels ne devraient jamais avoir de prescription."

Patrick Poivre d'Arvor a été entendu en audition libre en juillet dernier pour répondre d'accusations de viols, a appris franceinfo de source judiciaire, confirmant une information de l'AFP. Contactée par franceinfo, l'avocate de PPDA Me Jacqueline Laffont n'a pas répondu. Jusqu'à présent, l'ancienne vedette de TF1 a toujours nié les faits qui lui sont reprochés par une trentaine de femmes. Une enquête préliminaire et une information judiciaire sont ouvertes contre lui.

Une nouvelle plainte déposée contre PPDA - Les explications de David Di Giacomo

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