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"Je ne sacralise ni une parole ni l'autre" : six ans après #MeToo, des avocates racontent comment elles se sont emparées des violences faites aux femmes

Qu'elles soient du côté de la défense ou de la partie civile, les femmes pénalistes sont de plus en plus en première ligne dans les dossiers de violences sexuelles et sexistes.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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De nombreuses avocates défendent à la fois des hommes accusés de violences sexuelles et des femmes plaignantes. Mais certaines choisissent leur camp. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"Pas de sexe sous la robe." Dans la profession d'avocat, cet adage a-t-il résisté au mouvement #MeToo ? Depuis que l'affaire Harvey Weinstein a éclaté le 5 octobre 2017, provoquant un mouvement inédit de libération de la parole autour des violences sexuelles et sexistes faites aux femmes, les avocates françaises sont de plus en plus en première ligne dans ces dossiers. La féminisation du métier – plus de 55% des effectifs – et l'explosion du nombre de plaintes pour ce type d'infractions n'expliquent pas tout. D'un côté comme de l'autre de la barre, la voix des "ténoras" porterait plus loin que celle des ténors du barreau en matière de violences de genre.

Il "est certain que cela a permis aux avocates d'être choisies en priorité dans ce domaine-là", y compris du côté de la défense des mis en cause, observe Julia Minkowski, qui a créé le club des femmes pénalistes en 2015. Pour l'avocate de l'acteur Nicolas Bedos, accusé de viol et d'agressions sexuelles par trois femmes, il est sans doute "plus facile pour une femme d'interroger l'accusation que pour un homme". Au risque d'être perçue comme une "traître à son genre", à l'instar de l'avocate du producteur hollywoodien Harvey Weinstein, Donna Rotunno, Julia Minkowski, co-autrice de L'Avocat était une femme : le procès de leur vie (Editions Lattès), préfère parler d'un "conflit de loyauté" entre le fait d'"être une féministe et une avocate pénaliste extrêmement attachée aux principes de la présomption d'innocence et la prescription".

Pro-#MeToo mais anti-#BalanceTonPorc

Les deux s'opposent-ils vraiment ? Pauline Baudu-Armand, qui défend Tariq Ramadan en France, où l'islamologue est poursuivi pour viols à l'encontre de quatre plaignantes, dénonce un "positionnement manichéen" autour du mouvement : "Si vous dénoncez les dérives de #MeToo, vous n'êtes pas [du côté de] #MeToo. Pour moi, c'est du cas par cas." Sa consœur Yaël Hayat, qui représente Tariq Ramadan en Suisse, où il a été acquitté en première instance dans une autre affaire de viol, pointe, elle, une "dérive dans laquelle tout se décline autour des femmes". A Genève, "le tribunal s'est interrogé sur la valeur probante des déclarations de la plaignante, comme il le ferait pour n'importe quelle infraction. Qu'on puisse décortiquer cette parole, cela ne doit pas créer une indignation", juge l'avocate, qui confirme que depuis #MeToo, les hommes accusés font davantage appel aux femmes pour les défendre, dans une démarche stratégique.

"Il y a des discours, des défenses qui deviennent malheureusement inaudibles quand elles sont portées par un homme."

Yaël Hayat, avocate de Tariq Ramadan

à franceinfo

Il arrive aussi que des avocates estampillées "défense" dans ces affaires soient approchées par des plaignantes. Fanny Colin, qui représente le réalisateur Christophe Ruggia, accusé d'agressions sexuelles par l'actrice Adèle Haenel lorsqu'elle était mineure, affirme avoir été sollicitée dans un dossier médiatique post-#MeToo en France, côté partie civile. "Cela a dû apparaître comme un atout" face à la partie adverse, estime l'avocate. Si elle juge que ce mouvement parti des Etats-Unis était "très positif", Fanny Colin regrette la forme qu'il a pris dans l'Hexagone avec le hashtag #BalanceTonPorc. "On ne se fait pas justice soi-même. On est passé d'un mouvement de libération de la parole à un mouvement de croyance de la parole, sans doute possible", développe celle qui a notamment défendu le musicien Ibrahim Maalouf, relaxé des accusations d'agressions sexuelles portées par une collégienne de 14 ans. "Il ne faut jamais, quelle que soit la cause que l'on défend, s'éloigner des principes des droits de la défense, de l'équité et du contradictoire", martèle Fanny Colin, au nom du risque de l'erreur judiciaire.

Une tribune contre "la présomption de culpabilité"

Dans ces contentieux si délicats et complexes, plusieurs avocates considèrent que leur rôle est "plus important en défense" des mis en causes. C'est le cas de Corinne Dreyfus-Schmidt, qui défend l'un des cinq rugbymen prochainement renvoyés aux assises pour le viol d'une étudiante à Bordeaux en 2017. La pénaliste juge "difficile de remonter le courant" quand des accusations ont été médiatisées : "La presse se fait largement l'écho des déclarations des plaignantes leur reconnaissant automatiquement un statut de victimes avant même tout débat judiciaire. La culpabilité étant donc déjà en quelque sorte établie." Avec une centaine de consœurs, elle a co-signé la tribune publiée dans Le Monde après le scandale provoqué par l'attribution d'un César, fin février, à Roman Polanski, poursuivi par la justice américaine pour relations sexuelles illégales avec une mineure en 1977. Cette dernière a publiquement "pardonné" au réalisateur et le cinéaste a reconnu sa culpabilité pour détournement de mineur. Mais il est aussi accusé de viols ou d'agressions sexuelles par onze autres femmes, accusations qu'il conteste. Ce texte collectif sur l'"inquiétante présomption de culpabilité" en matière d'infractions sexuelles a été initié par l'avocate du cinéaste américain, Delphine Meillet. Cette dernière assure pourtant naviguer entre partie civile et défense dans ce type de dossiers.

"Je ne sacralise ni une parole ni l'autre, c'est ça, pour moi, être féministe. C'est chercher obstinément l'égalité. Le sujet, c'est savoir écouter, entendre, considérer et investiguer." 

Delphine Meillet, avocate de Roman Polanski

à franceinfo

Nombreuses sont celles qui, sur le plan professionnel, revendiquent de ne pas choisir leur camp. Mélodie Kudar, avocate au barreau de Versailles, se trouve "meilleure avocate en étant des deux côtés". Dans ses plaidoiries, pas de "monstre irrécupérable" d'un côté ou de "menteuse" de l'autre. Ne restent que les "preuves" pour démontrer ou non une culpabilité. Ces allers-retours entre auteurs et victimes "présumés" lui permettent de faire de la "pédagogie". "J'ai de très longues discussions avec mes clientes et clients autour de la notion de consentement", "mal appréhendée"

Une expérience partagée

Laure Heinich se situe sur cette même ligne de crête. Elle représente à la fois des plaignantes dans les affaires PPDA et Ramadan et le PDG d'Assu 2000, Jacques Bouthier, mis en examen pour viols sur mineure et traite d'être humain. L'avocate, qui dénonce la maltraitance de l'institution judiciaire dans La justice contre les Hommes (Editions Flammarion), rapporte avoir "accompagné de nombreux clients sur le chemin" de la reconnaissance de leurs actes. Et avoir pu expliquer ce cheminement à celles qu'elle assiste dans leurs plaintes. Pour autant, face à l'"impunité" de certains comportements, elle comprend "le recours à la justice médiatique" quand celui-ci est possible : "C'est un débat qui fait tellement avancer la société." 

Jade Dousselin, dont le nom est à la fois associé à la victoire judiciaire de l'initiatrice du mouvement #BalanceTonPorc en France et à la défense du député LFI Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales, défend ce principe de "liberté d'expression", qu'elle a plaidé lors du procès en appel pour diffamation de Sandra Muller, créatrice du mot-dièse. "Si on avait une justice capable d'être rapide, efficace et à l'écoute, la présomption d'innocence serait protégée et la question de l'opposer à la liberté d'expression serait nulle et non avenue", expose-t-elle. Sur ces questions, elle soutient qu'une "femme avocate peut avoir un axe pédagogique différent".

"Quand je défends un homme, je vais avoir conscience de certaines choses. On a toutes, à un moment donné, ressenti une forme de domination masculine, de quelque manière que ce soit. C'est forcément un angle de vue qui apporte au débat mais qui permet aussi de délimiter ce qui relève du droit et de la morale."

Jade Dousselin, avocate de Sandra Muller (#BalanceTonPorc) et d'Adrien Quatennens

à franceinfo

Cette expérience partagée facilite sans doute le recueil de la parole de plaignantes lorsqu'elles poussent la porte d'un cabinet. Pour ces violences, qui touchent majoritairement des femmes, "il est peut-être plus facile pour certaines victimes de parler à une femme", confirme Anne Lassalle. Cette avocate du barreau de Saint-Denis, qui représente des dizaines de comédiennes dans le milieu du théâtre, considère surtout qu'il est "difficile", pour ce type d'infractions, d'être des deux côtés de la barre : "Cela pourrait être vécu comme une violence pour mes clientes." Tout en respectant "infiniment le travail de la défense", Anne Lassalle interroge le "sacro-saint principe de la procédure pénale" – les règles qui encadrent une procédure de la plainte à une décision judiciaire – brandi par certaines dans la partie adverse. "Il n'y a pas que cela, sinon on maintient juste un système et rien ne se passe. Heureusement que la presse a été là pour révéler certaines situations", signale l'avocate, rappelant à son tour que la liberté d'expression est "une valeur aussi fondamentale que celle de la présomption d'innocence, comme le rappelle régulièrement la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'homme".

Avocates d'une "cause"

Cet engagement du côté des parties civiles n'est pas non plus négociable pour Elodie Tuaillon-Hibon. "Si on a un pied de chaque côté de la barre, on est dans la soumission au droit tel qu'il existe, on n'essaie pas de faire changer les choses", estime celle qui s'est engagée bien avant #MeToo dans la défense de victimes de violences sexuelles. Connue pour ses interventions dans des dossiers médiatiques – Georges Tron, Julien Bayou, Gérald Darmanin –, elle trace une ligne de démarcation entre "les avocates qui militent" pour les droits des femmes "et les autres". "On ne fait pas le même métier", assure-t-elle. Et de dénoncer cet "autre activisme qui s'est créé en face, pour protéger une présomption d'innocence qui n'est absolument pas attaquée".

Sa consœur Carine Durrieu Diebolt bataille du même côté. Investie depuis "presque dix ans" dans la lutte contre ces violences, elle explique s'être "beaucoup formée", notamment en "psychotraumatisme", pour pouvoir "plaider la sidération et la dissociation" au moment d'un viol. Cette avocate, qui croise le fer, elle aussi, dans des affaires aux mis en cause renommés – Gérard Depardieu, Luc Besson – affirme avoir acquis au fil du temps des "compétences spécifiques, qui servent aux victimes et non aux agresseurs". Carine Durrieu Diebolt assume d'être "l'avocate d'une cause" et de plaider en audience "contre la société patriarciale et culture du viol".

"C'est un contentieux avec un droit en mouvement, il est utile d'avoir des avocates qui soient engagées. Pour les victimes, c’est un critère qu’elles retiennent. Elles se sentent mieux comprises, plus en sécurité."

Carine Durrieu Diebolt, avocate spécialisée dans le droit des victimes

à franceinfo

Anne Bouillon tâche, elle aussi, d'"introduire du politique dans le prétoire". Avocate au barreau de Nantes, elle œuvre "depuis deux décennies" aux côtés des femmes qui portent en justice les violences qu'"elles subissent". #MeToo a beau être passé par là, six ans après, "leur parole est toujours sujette à caution. Quand on dit qu'on aboutit à une présomption de crédibilité des plaignantes, ce n'est pas du tout l'expérience qui est la mienne", témoigne-t-elle. Pour la pénaliste, il n'est pas question d'opposer "grands principes" du droit et protection des victimes. "J'ai la présomption d'innocence chevillée au corps, certifie Anne Bouillon. Mais je demande que les femmes soient traitées à égalité."

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