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Enquête franceinfo D'anciennes patientes de la secrétaire d'Etat Chrysoula Zacharopoulou témoignent de violences gynécologiques ou verbales

Article rédigé par Eloïse Bartoli - Margaux Stive
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
La secrétaire d'Etat Chrysoula Zacharopoulou arrive à l'Elysée pour un Conseil des ministres, le 23 mai 2022. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Gynécologue de profession, la nouvelle secrétaire d'Etat chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux est visée par trois plaintes dont deux pour "viol" par d'anciennes patientes. Franceinfo a recueilli plusieurs témoignages de femmes qui l'accusent de violences.

Son nom est connu du grand public depuis l'annonce du gouvernement d'Elisabeth Borne, le 20 mai dernier. Chrysoula Zacharopoulou, 46 ans, devenait ce jour-là secrétaire d'Etat chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, laissant derrière elle une première vie de gynécologue-obstétricienne au sein de plusieurs hôpitaux franciliens.

C'est pour des actes qu'elle aurait commis dans l'exercice de sa profession médicale, il y a plusieurs années, qu'elle fait aujourd'hui l'objet de deux plaintes pour "viol", a appris franceinfo mercredi 22 juin auprès du parquet de Paris, confirmant une information de Marianne. Une troisième plainte pour "violences sans incapacité de travail par personne chargée d'une mission de service public" a également été déposée le 23 juin, a appris franceinfo auprès du parquet, confirmant une information de "Quotidien". Une enquête a été ouverte le 27 mai, deux jours après la première plainte. Elle a été confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Selon les informations de franceinfo, les deux premières plaignantes dénoncent des viols gynécologiques, c'est-à-dire des pénétrations pratiquées sans leur consentement lors d'un examen médical.

Dans un communiqué transmis par son avocat et consulté par l'AFP, la secrétaire d'Etat a rejeté vendredi les accusations mentionnées dans les plaintes, les jugeant "inacceptables et révoltantes"."Les accusations graves à mon encontre, portant sur des examens cliniques médicaux réalisés afin de diagnostiquer et de soigner la maladie de mes patientes, sont inacceptables et révoltantes", a-t-elle déclaré. 

D'anciennes patientes toutes atteintes d'endométriose

A ce jour, deux des trois plaignantes se sont exprimées publiquement sur cette affaire, dans l'émission "Quotidien"mercredi 22 juin et jeudi 23 juin. Mais franceinfo a recueilli d'autres témoignages, de six autres anciennes patientes de Chrysoula Zacharopoulou. Trois d'entre elles dénoncent des actes gynécologiques pratiqués sans demande de consentement. Les autres décrivent des examens au cours desquels leur douleur a été ignorée. Ou encore des situations qu'elles qualifient de "violences verbales" de la part de la gynécologue.

Ces anciennes patientes sont toutes atteintes d'endométriose, une maladie gynécologique qui provoque de vives douleurs pendant les cycles menstruels et touche une femme sur dix. Elles ne se connaissent pas personnellement, mais fréquentent des groupes communs sur les réseaux sociaux au sujet de l'endométriose. Une pathologie dont la secrétaire d'Etat est une spécialiste. En 2015, elle fonde l'association Info-endométriose au côté de l'actrice Julie Gayet. Un engagement qui lui permettra de devenir la "Madame endométriose" du premier quinquennat Macron : elle est à l'initiative du premier plan de lutte contre la maladie remis au président en janvier dernier, avant d'être nommée au gouvernement.

Aucune des femmes contactées par franceinfo n'a, à ce jour, porté plainte contre Chrysoula Zacharopoulou, qui n'a, pour l'heure, pas donné suite aux sollicitations de franceinfo et demeure présumée innocente.

Une consultation qui "touche à l'intimité des patientes"

Parmi ces patientes figurait Emma*, âgée de 21 ans lorsqu'elle a poussé la porte du cabinet de Chrysoula Zacharopoulou, en 2016. "Dans la salle d'attente, je voyais les femmes sortir de son cabinet en pleurant. Et puis ça a été mon tour." A l'époque, la jeune femme cherche à consulter une spécialiste de l'endométriose. Un examen est alors réalisé par la gynécologue lors de ce premier rendez-vous.

"Elle m'a dit : 'Je vais vous faire un toucher vaginal' [geste qui consiste à introduire un ou deux doigts dans le vagin], sans me demander mon avis", se remémore Emma. L'examen, qui passe ensuite par l'usage du spéculum (un outil gynécologique qui permet d'écarter les parois vaginales), est qualifié de "brutal" et de "douloureux" par la patiente. Une douleur en partie causée par la maladie, mais pas seulement, soutient-elle : "Des sages-femmes ont réalisé le même examen sur moi, ce n'est pas agréable, mais je l'ai supporté." Emma assure avoir exprimé sa détresse à Chrysoula Zacharopoulou durant l'acte.

"Je me suis mise à pleurer, elle a continué l'examen et m'a dit : 'Arrêtez de faire votre chochotte.'"

Emma*, ex-patiente de Chrysoula Zacharopoulou

à franceinfo

La jeune femme assure être sortie "bouleversée" de ce rendez-vous et être rentrée chez sa mère en région parisienne. Cette dernière, très investie dans le combat de sa fille contre la maladie, raconte à franceinfo avoir récupéré Emma "traumatisée" "Elle pleurait. Au début, j'ai cru qu'il s'était passé quelque chose dans les transports, une agression. Je lui ai demandé : 'Tu t'es fait violer ?' Elle m'a répondu : 'Limite'. Puis elle m'a raconté son rendez-vous."

Selon Emma, jamais son consentement n'a été demandé par la gynécologue durant cette consultation. Pourtant, l'examen gynécologique est un acte médical qui ne peut être pratiqué "sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment", précise l'article L1111-4 du Code de la santé publiquePour y voir plus clair, une charte de la consultation a été édictée en 2021 par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). Il y est précisé que la consultation en gynécologie ou en obstétrique "n'est pas une consultation comme les autres puisqu'elle touche à l'intimité des patientes" et que "l'accord oral de la femme est recueilli avant tout examen clinique". 

"Elle n'a pas demandé, elle l'a fait"

Parce qu'elle affirme que son consentement n'a pas été demandé, cet épisode est qualifié a posteriori par Emma de "viol"L'article 222-23 du Code pénal le définit comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise." A l'époque, elle n'envisage pas de suites judiciaires. "Je me suis dit : 'Ça va être ma parole contre la sienne'." Mais après la médiatisation des deux premières plaintes, Emma réfléchit à présent à déposer plainte à son tour. 

Comme Emma, Anne* garde un très mauvais souvenir de son passage dans le cabinet de Chrysoula Zacharopoulou. Agée de 31 ans lorsqu'elle consulte la gynécologue à l'hôpital Trousseau, à Paris, début 2016, elle décrit une médecin "très antipathique", "froide", qui "récite son texte" sur l'endométriose. La jeune femme accuse elle aussi la praticienne de ne pas avoir recueilli son consentement, lors d'un examen anal et vaginal. "Elle n'a pas demandé, elle l'a fait", insiste-t-elle. Un toucher rectal dont l'utilité n'est pas expliquée à la patiente, encore choquée : "Je ne m'attendais pas à ça. J'ai été suivie par d'autres spécialistes de la maladie qui n'ont jamais réalisé cet examen sur moi", souligne-t-elle.

"Comme un coup de poignard dans le ventre"

Une troisième ex-patiente, Manon*, évoque elle aussi un acte gynécologique pratiqué sans consentement lors d'un rendez-vous à l'hôpital Tenon, à Paris, en 2013 : "Elle m'a mis les pieds sur les étriers et m'a enlevé mon stérilet en cuivre sans en avoir parlé avant. Il n'y avait pas de place pour le dialogue, ni aucune douceur", raconte-t-elle. Cette femme qui a été suivie durant plusieurs mois par Chrysoula Zacharopoulou mentionne aussi la "froideur" de la praticienne, qui faisait à l'époque ses premiers pas en politique "Elle me parlait de sa carrière, de ses relations avec Najat Vallaud-Belkacem [alors ministre des Droits des femmes]". 

"Je me dis, finalement, qu'elle est peut-être mieux en politique que dans un cabinet médical."

Manon, ex-patiente de Chrysoula Zacharopoulou

à franceinfo

C'est la notoriété de la médecin qui avait aussi poussé Lola*, aujourd'hui âgée de 29 ans, à consulter Chrysoula Zacharopoulou à l'hôpital Tenon, en mars 2017. "Je l'avais trouvée super après une interview à la télévision", se souvient la jeune femme. Selon elle, la médecin a d'abord émis des doutes sur son diagnostic d'endométriose, avant d'entamer une échographie endo-vaginale, pratiquée à l'aide d'une sonde. "Elle me l'a mise sans lubrifiant, c'était à sec", se souvient Lola, qui a "failli hurler de douleur". "Arrêtez de faire votre chochotte", lui a rétorqué la spécialiste, assure l'ex-patiente. "Je lui ai demandé de faire une pause pour que je puisse respirer. Elle m'a ignorée, a continué l'examen. J'avais les larmes qui montaient, je me crispais, je ne pouvais pas me détendre avec la douleur. C'était comme un coup de poignard dans le ventre", décrit encore la jeune femme. 

Lola se souvient aussi de cette phrase, à la fois brutale et blessante : "Pour faire un enfant, vous avez eu des rapports. Vous n'avez donc pas si mal que cela." Elle relate avoir ensuite "saigné pendant trois jours" à cause de l'examen. Comme Emma, Lola s'est tue à l'époque. "Est-ce que ma parole aurait réellement été prise en compte ?"

"Qu'est-ce que vous venez foutre dans mon cabinet ?"

La douleur, c'est bien le seul souvenir que Catherine*, 42 ans aujourd'hui, conserve de son unique rendez-vous avec la spécialiste. Elle raconte un examen gynécologique pratiqué "avec la délicatesse d'un boucher-charcutier", à l'hôpital Trousseau, en 2017. "J'avais mal, je l'ai manifesté par mes grimaces d'abord, puis en gémissant. Elle n'a pas pu l'ignorer. Je le lui ai fait comprendre", assure-t-elle. Venue demander un avis sur son traitement contre l'endométriose, Catherine décrit des propos qu'elle qualifie de "violences verbales""Elle m'a dit : 'Qu'est-ce que vous venez foutre dans mon cabinet ? Vous croyez que je vais prendre la merde des autres chirurgiens ?'"

Ces accusations de violences verbales reviennent dans un autre témoignage recueilli par franceinfo. En 2016, Malorie*, à l'époque âgée de 35 ans, est suivie par le professeur Emile Daraï, alors chef du centre endométriose de l'hôpital Tenon. Ce gynécologue est aujourd'hui visé par une information judiciaire et accusé de viols et de violences gynécologiques par plusieurs patientes, comme l'a révélé franceinfo en septembre 2021. Dans une lettre envoyée le 7 décembre 2021 au directeur général de l'AP-HP, Emile Daraï a présenté ses "plus sincères excuses" aux femmes qui "ont pu percevoir l'examen clinique qu['il a] pratiqué comme dénué d'empathie et de bienveillance"

"Je sentais que le docteur Daraï n'était pas sympa, j'étais en recherche d'un autre médecin" pour un second avis sur son suivi post-opératoire, explique Malorie.

"Comme le docteur Zacharopoulou était mise en avant par les associations, je me suis dirigée vers elle."

Malorie, ex-patiente de Chrysoula Zacharopoulou

à franceinfo

Pour Malorie, sa démarche n'a "pas été comprise" par la praticienne, qui a travaillé plusieurs années à l'hôpital Tenon, sous la direction d'Emile Daraï. "Son ton était odieux. Elle me dit : 'Je ne comprends pas ce que tu fais là, tu es suivie par le meilleur. Alors qu'est-ce que tu veux ? Que je te fasse une ordonnance, c'est ça ?'relate l'ex-patiente. Une consultation houleuse, conclue par la délivrance de l'ordonnance "jetée à la figure" de la jeune femme, choquée. "J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps d'humiliation", assure-t-elle.

Aucun signalement reçu par l'AP-HP

En colère, Malorie décide alors d'alerter l'association de lutte contre l'endométriose ENDOmind, qui travaille à l'époque avec Chrysoula Zacharopoulou dans le cadre d'une campagne nationale de prévention de la maladie. La présidente de l'association en 2017, Nathalie Clary, confirme à franceinfo avoir été contactée par Malorie. A l'époque, elle l'encourage "à faire un courrier au chef de service [de la gynécologue], car c'est important qu'il soit informé s'il y a un dysfonctionnement de ce type". Un conseil que la patiente dit avoir suivi.

Par ailleurs, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui regroupe les hôpitaux d'Ile-de-France où la praticienne a exercé, déclare à franceinfo n'avoir "jamais eu connaissance de plainte ou de signalement concernant le docteur Chrysoula Zacharopoulou". Contacté par franceinfo, le Collège national des gynécologues obstétriciens français reconnaît quant à lui avoir reçu une lettre de plainte émanant de "la responsable d'un collectif de femmes", sans préciser la nature ou la date de l'alerte. "Comprenant la détresse exprimée dans ce courrier, la société savante a conseillé à son auteur de s'adresser au Conseil national de l'ordre des médecins", précise l'institution. Celui-ci n'a pas non plus répondu à nos sollicitations.

* Les prénoms suivis d'un astérisque ont été modifiés à la demande des intéressées.

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