Quatre questions sur la réforme de la légitime défense pour les policiers
Pour les policiers, dont la grogne dure depuis près d'un mois, la loi les empêcherait de faire usage de leur arme.
Le 8 octobre dernier, à Viry-Châtillon (Essonne), une patrouille de police est la cible de jets de cocktails Molotov. Deux policiers en sortent gravement brûlés ; aucun n'a utilisé son arme pour se défendre. Les syndicats y voient le signe d'une inhibition créée par la loi actuelle sur la légitime défense, trop restrictive. Ils demandent à ce qu'elle évolue.
La revendication est loin d'être neuve : il avait déjà été question de réformer ce régime en avril 2012 par exemple, quand un policier avait été mis en examen après avoir blessé mortellement un cambrioleur à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Franceinfo résume le débat en trois questions.
Que prévoit la loi actuelle ?
L'usage de la force chez les policiers ne dépend pas d'une juridiction spécifique mais du Code pénal, comme pour un individu lambda. Et plus précisément, de l’article 122-5. Voici que la loi affirme : "N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte." La loi française elle-même est encadrée par le texte de la Convention européenne des droits de l'homme, pour qui l'arme doit rester un ultime recours chez les forces de l'ordre, mettant en avant le concept "d'absolue nécessité".
En clair, pour qu'il y ait légitime défense, il faut répondre à une menace réelle contre soi-même, un tiers ou un bien. Et que cette réponse soit immédiate et proportionnelle. Pas besoin d'attendre de se faire tirer dessus, la simple présence menaçante d'une arme, même si elle est factice, suffit. Mais répondre par une gifle à un tir à bout portant, par exemple, serait considéré comme non proportionné. Il faut aussi que l'usage d'une arme soit l'unique moyen de s'en sortir : si les policiers peuvent fuir, ce n'est pas de légitime défense.
Quelles sont les revendications des syndicats ?
Pour certains policiers, cette loi est trop restrictive et place les policiers dans une insécurité juridique qui a des conséquences néfastes sur le terrain.
Aujourd'hui, si un policier fait usage de son arme, une enquête est ouverte quasi-systématiquement, mettant en route la machine administrative. Pour Patrice Ribeiro, représentant le syndicat Synergie-Officier interviewé par Le Parisien, "il n'y aucune raison qu'un policier soit placé en garde à vue alors qu'il ne fait que son travail. On peut très bien l'entendre en audition libre".
Une des propositions, portée originellement par le syndicat Alliance, est donc l'alignement sur le régime des gendarmes. Ces derniers bénéficient d'une plus grande marge de manœuvre en tant que militaires, dépendant du Code de la défense. La grosse différence est qu'ils peuvent tirer pour arrêter la fuite d'un individu si les sommations restent sans effet, ou pour arrêter un véhicule. Mais ils sont aussi davantage habitués au maniement des armes.
Les gendarmes sont également plus rarement visés par des enquêtes. Pour les éviter, une proposition, plus radicale, est de créer une "présomption de légitime défense" dans certains cas. La victime et le parquet devraient apporter la preuve de l'illégalité du tir, quand aujourd'hui, c'est au policier de prouver la légitime défense.
Ces revendications font-elles l'unanimité ?
Le patron des policiers Jean-Marc Falcone, contesté par une partie de la police, n’est lui "pas favorable à ce stade à une révision". Certains juristes, comme Nicolas Gardères, avocat et maître de conférences à Sciences Po interrogé par Le Parisien, estiment que la réforme est au mieux inutile, au pire dangereuse, donnant aux policiers une forme d'impunité totale et faisant monter la violence d'un cran.
D'abord, dans les faits, la parole des fonctionnaires de police bénéficie d'une crédibilité plus importante, qui fait que très peu de policiers sont réellement condamnés. D'autre part, la loi n'interdit pas aux policiers de faire usage de leur arme. Elle encadre seulement cet usage. D'après Nicolas Gardères, "les policiers de Viry-Châtillon étaient parfaitement en état de légitime défense".
L'avocat explique aussi que le problème est moins la loi que sa méconnaissance : "Beaucoup pensent qu'elle interdit quasiment tout recours à l'usage de leur arme. C'est totalement faux, mais certains syndicats policiers et responsables politiques se plaisent à cette idée reçue car elle permet d'occulter la question des moyens." Et notamment, d'après lui, de la formation insuffisante au maniement des armes.
Est-ce que cela pourrait évoluer ?
La proposition de "présomption d'innocence" est originellement un thème du Front national. Claude Guéant s'y était d'ailleurs opposé en 2012, parlant d'un "permis de tirer". Avant que le ministre de l'Intérieur ne soit "dépassé à sa droite", rappelle L'Obs, par un Nicolas Sarkozy alors en campagne, qui reprend cette proposition à Marine Le Pen.
Depuis, à la faveur de l'agenda politique et notamment de la primaire à droite, les candidats multiplient les propositions de réforme de la loi sur la légitime défense. Alain Juppé a été jusqu'à proposer de modifier la Convention européenne des droits de l'homme pour que "les policiers puissent se protéger", dit-il. Quant à la gauche, elle n'a jamais été favorable à une modification de ce régime. Cela pourrait changer, là aussi, face à une grogne policière durable et à la perspective de 2017.
Depuis le 26 octobre, le ministre de l'Intérieur a commandé un rapport pour "aménager le concept de légitime défense", qui doit être rendu fin novembre. Il a indiqué que sur "la question de la légitime défense, le débat devait aller à son terme". Pour Bernard Cazeneuve, la réforme de la légitime défense enverrait un signal opportun au corps policier, qui dénonce depuis des semaines un "malaise profond".
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