Monique Olivier, de rabatteuse complice à ultime gardienne des secrets de Michel Fourniret
Depuis la mort du tueur en série en mai, son ex-épouse est désormais le seul espoir pour quatre familles de disparues de voir un procès se tenir un jour.
Elle est peut-être la dernière personne vivante capable de lever le voile sur les énigmes laissées par le tueur en série Michel Fourniret. Après la mort, le 10 mai, de celui qui fut son mari pendant vingt-et-un ans, Monique Olivier, son ancienne complice âgée de 72 ans, représente désormais l'unique espoir, pour quatre familles de disparues, de voir un jour un procès avoir lieu. Détenue à la prison pour femmes de Rennes (Ille-et-Vilaine), elle est mise en examen pour "complicité" dans quatre disparitions : Marie-Angèle Domece, à 19 ans (1988) ; Joanna Parrish, à 20 ans (1990) ; Lydie Logé à 29 ans (1993) ; Estelle Mouzin, à 9 ans (2003).
"Elle sait tout, car même si elle n'était pas là pour certains crimes, il lui racontait tout. Elle en sait suffisamment pour continuer à nous aider", estime Corinne Herrmann, l'avocate qui représente avec son confrère Didier Seban les familles de ces quatre victimes. La septuagénaire pourrait aussi se révéler être un atout capital pour éclaircir les disparitions ou meurtres irrésolus de plusieurs jeunes femmes dont les ADN sont en cours de recoupements avec ceux relevés sur les effets personnels du tueur ardennais.
Longtemps restée silencieuse face aux enquêteurs, son ancienne associée semble désormais vouloir livrer sa vérité. C'est elle qui, en avril, a guidé les enquêteurs pour tenter de retrouver le corps d'Estelle Mouzin. Sans succès pour l'instant. Celle qui purge actuellement une peine de prison à perpétuité pour complicité de crimes n'a plus rien à perdre. Depuis ses aveux spectaculaires en 2004, qui ont permis de mettre fin à la cavale de son ex-mari, elle semble s'être détachée de son emprise après avoir épaulé le tueur ardennais dans ses crimes pendant seize ans. L'aboutissement d'un pacte macabre qui a débuté au printemps 1987.
A cette époque, Monique Olivier feuillette l'hebdomadaire chrétien Le Pèlerin et tombe sur une petite annonce : "Prisonnier aimerait correspondre avec personne de tout âge pour oublier solitude." Cette mère de deux enfants, divorcée, alors âgée de 38 ans, se sent elle aussi esseulée. Elle tient d'ailleurs compagnie à une vieille dame handicapée dans le Gard et décide de répondre à ce mystérieux prisonnier, qui répond au nom de Michel Fourniret. Il est incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis, dans l'Essonne, pour plusieurs agressions sexuelles.
Une rencontre épistolaire enflammée
Très vite, les lettres s'enflamment et les mots doux affleurent. Lui l'appelle "Natouchka", sa "mésange", sa "princesse aux pieds nus". Il est son "petit taulard préféré", son "Shere Khan" du Livre de la jungle. Elle est sous le charme : jamais on ne lui avait manifesté autant d'égards. Cette native de Tours (Indre-et-Loire) dit avoir passé son enfance à être dédaignée par son père et ignorée par sa mère, dépressive.
Lorsqu'elle commence à écrire à Michel Fourniret, Monique Olivier sort d'une relation de dix ans avec un moniteur d'auto-école reconverti en peintre amateur – pour qui elle a souvent posé – et avec lequel elle a eu deux fils, nés en 1980 et 1981 : Murphy et William. A son procès en 2008, elle décrivait un homme brutal et jaloux maladif. "Un soir, persuadé que je le trompais, il a rempli la baignoire, m'a tirée par la natte, m'a craché au visage, m'a allongée dans l'eau, m'a plongé la tête plusieurs fois et a essayé de m'étrangler", affirmait-elle, selon des propos retranscrits par Libération. En face, lui l'a traitée de "menteuse, d'affabulatrice". En 1985, elle décide de le quitter et perd la garde de ses deux garçons.
Deux ans plus tard, elle trouve ainsi un certain réconfort dans sa relation épistolaire très assidue – 217 lettres échangées entre juillet et octobre 1987 – où elle confie à Michel Fourniret son existence morne. "Quand je lui écris, c'est pas pour faire ma vie avec, dira-t-elle aux psychiatres selon L'Express. C'est pour recevoir du courrier, pour exister pour quelqu'un." Lui ne tarde pas à évoquer son obsession pour la virginité. Il lui avoue "l'orgueil frustré" de n'avoir jamais "reçu ce don de la virginité", détaille Le Parisien en 2008, lorsqu'une partie de leurs lettres ont été dévoilées pendant le procès du couple.
Un pacte criminel dès 1987
Monique Olivier ne se montre pas choquée par ces confidences. Il lui promet qu'il l'aidera à tuer son premier compagnon (ce qu'il ne fera jamais) et, en retour, elle s'engage à l'aider à enlever des jeunes filles. Le pacte criminel est scellé. Le couple se rencontre pour la première fois lors d'une permission de Michel Fourniret, du 12 au 14 septembre 1987, avant un bref retour du prisonnier dans sa cellule. En octobre, il est libéré pour "conduite exemplaire". Monique Olivier l'attend. Il vont s'installer ensemble dans l'Yonne, près d'Auxerre, à Saint-Cyr-Les-Colons, et commettent leur premier meurtre deux mois plus tard, le 11 décembre 1987.
Ils ciblent Isabelle Laville, une élève de 17 ans, pour sa ressemblance avec Monique Olivier. Ce jour-là, elle persuade l'adolescente de monter à bord de sa voiture, alors que celle-ci rentre de son collège d'Auxerre, à pied. Un peu plus loin, Michel Fourniret les attend sur le bord de la route. Un bidon d'essence à la main, il prétexte une panne de son véhicule. Monique Olivier lui propose de monter à bord. Il maîtrise la jeune fille en lui serrant le cou à l'aide d'une cordelette et la drogue avec des calmants. Michel Fourniret viole l'adolescente avant de l'étrangler. Il la jettera au fond d'un puits abandonné, non loin du domicile du couple. Son corps sera exhumé dix-neuf ans plus tard par les policiers, en 2006.
Tout au long de leur procès commun, cette femme fluette a affiché une stratégie claire : tenter de se disculper des meurtres de son mari en se posant constamment comme sa victime. "La peur est permanente. Je vis avec. J'ai toujours peur de ses réactions", assure-t-elle face aux jurés. Elle apparaît comme une personne "passive, d'une mollesse totale", selon l'expert psychiatre Michel Dubec cité dans Le Monde. Avec son collègue Daniel Zagury, ils ont longuement rencontré Monique Olivier en 2007, dans le cadre de son expertise psychiatrique. Ce dernier se souvient dans Le Figaro d'une "motte de beurre", qui se "présentait comme une pauvre petite fleur abîmée et méprisée". Dans les colonnes de Marianne, il décrit une "femme plaintive, au physique ordinaire, tassée, pas spécialement intelligente", même si son quotient intellectuel divise les experts.
Un rôle actif dans plusieurs meurtres
Monique Olivier est-elle une femme docile sous emprise ou une personnalité perverse parfaitement maîtresse de ses actes ? Lors du procès de 2008, le neuropsychiatre belge Xavier Bongaerts, qui l'a expertisée, assurait : "Elle est présente et passive lors des faits, mais elle n'est pas hallucinée, elle est donc capable de contrôler ses actes". "Il est la mèche, elle est l'allumette", résumait un avocat des parties civiles.
Ainsi, pour gagner la confiance des jeunes filles vierges ciblées par Michel Fourniret, qu'ils surnommaient les "MSP" pour "membranes sur pattes", elle n'a pas hésité à servir d'appât. En 1988, à Châlons-en-Champagne, alors qu'elle est enceinte de huit mois de Sélim – fils qu'elle aura avec Michel Fourniret – elle feint un malaise pour convaincre la jeune Fabienne Leroy de monter dans sa voiture. Elle la tient en joue au moment de sa séquestration pour permettre à son mari de la ligoter. Il s'est chargé de la tuer d'une balle dans la tête, après l'avoir violée. Un an plus tard, lors de la séquestration d'Elisabeth Brichet, 12 ans, dans leur maison de Floing (Ardennes), c'est elle qui fait la toilette intime de la petite fille, afin de la "préparer" pour son mari. Avant d'aller se coucher dans la chambre voisine avec son fils.
A bord de leur camionnette blanche C15, ils passent parfois plusieurs heures à guetter une proie éventuelle. C'est ainsi qu'ils croisent la route de Natacha Danais, en novembre 1990. Michel Fourniret fait monter l'enfant de 13 ans à bord, prétextant chercher un médecin. C'est sa femme qui conduit. Rapidement, la petite proteste, le mari la ligote. Monique Olivier affirme s'être arrêtée sur un chemin de campagne pour aller promener leur chien, laissant son mari à son atroce besogne. Il abandonnera le corps de la fillette sur une plage de Vendée.
"Elle a accepté d'être complice de viols", sans en tirer la moindre culpabilité et sans jamais tenter de s'opposer à son mari, décrypte le psychiatre Michel Dubec. Il assure au Monde que lors d'examens réalisés en 1985 sur Michel Fourniret, avant sa première comparution devant une cour d'assises (et avant qu'il ne fasse la connaissance de son épouse), le tueur n'était pas l'homme qu'il est devenu ensuite. "C'est la rencontre avec Monique Olivier qui lui donne cette force", complète son confrère Daniel Zagury. L'année dernière, l'une des codétenues de Monique Olivier lui avait demandé comment elle avait résisté aux cris des petites filles enlevées par le couple. "Je gardais les victimes comme les gardiennes qui nous gardent ici", lui aurait-elle répondu.
"Complètement libérée de Michel Fourniret"
C'est pourtant elle qui va signer l'arrêt définitif du périple macabre. Dans l'année qui suit l'arrestation, en juin 2003, de Michel Fourniret dans le sud de la Belgique, la fervente complice est convoquée pour une centaine d'interrogatoires, tous infructueux. Son silence ne se fissure jamais. Jusqu'au 22 juin 2004, jour du 121e interrogatoire. Alors que son mari est sur le point d'être remis en liberté, elle lâche, d'une traite, des aveux stupéfiants. Elle accuse d'abord Michel Fourniret de deux meurtres, ceux de Céline Saison et de Mananya Thumpong, commis respectivement en 2000 et 2001 dans les Ardennes. Puis elle avoue neuf autres crimes.
Michel Fourniret n'en a reconnu que huit et a été condamné en 2008 à la prison à perpétuité pour sept de ses victimes. Monique Olivier a également été condamnée à la perpétuité pour complicité dans quatre des meurtres de son mari et le viol en réunion d'Isabelle Laville. Elle écopera en 2018 d'une deuxième peine de vingt ans de réclusion pour un cinquième meurtre, crapuleux cette fois : celui de Farida Hammiche en 1988.
En quinze ans d'incarcération, Monique Olivier s'est progressivement détachée de son ex-mari. Tous deux ont divorcé par consentement mutuel en juillet 2010, après plus de vingt ans de mariage. "Le fait d'être éloignée de Michel Fourniret a détricoté les relations entre les deux. Et je pense qu'après quinze ou seize ans d'incarcération, Monique Olivier est complètement libérée de Michel Fourniret", analysait en 2019 sur France 2 son avocat, Richard Delgenes. Un regain d'aplomb facilité par l'état de santé du tueur, qui s'était affaibli en raison de la maladie d'Alzheimer. De son côté, Monique Olivier a gagné en indépendance, mais surtout en assurance. A tel point que lors de la reconstitution des meurtres de Joanna Parrish et de Marie-Angèle Domèce, en 2019, elle a fini par s'agacer contre son ex-mari. "Bon ! Tu vas dire ce que tu sais maintenant ! Que l'on puisse passer à autre chose...", lui avait-elle lancé, selon 20 Minutes.
Des indications dans l'affaire Estelle Mouzin
En novembre 2019, elle achève de prendre ses distances avec le tueur ardennais dans un revirement spectaculaire : la taiseuse Monique Olivier se décide à parler et détruit l'alibi qui l'innocentait jusqu'ici dans l'affaire Estelle Mouzin. Lui avait toujours affirmé avoir appelé son fils depuis son domicile de Sart-Custinne, en Belgique, au moment de la disparition de la petite fille, en 2003 en Seine-et-Marne. Alors qu'elle avait toujours soutenu cette version, Monique Olivier affirme finalement, face à la juge Sabine Khéris, avoir elle-même passé cet appel à la demande de Michel Fourniret, précisant qu'il n'était pas chez lui à ce moment-là. Entendue pendant près de trois heures, elle ajoute alors que la fillette de 9 ans "était tout à fait le genre de jeune fille qui pouvait satisfaire" son ex-mari. Ce dernier finira par avouer quatre mois plus tard sa responsabilité dans cette disparition.
En décembre 2020, sur les indications de Monique Olivier, la magistrate lance une série d'importantes fouilles dans le parc du château du Sautou (Ardennes) pour tenter de retrouver le corps de la fillette. Il n'en ressort rien. En avril 2021, Sabine Khéris décide d'entendre une nouvelle fois Monique Olivier. Après six heures d'interrogatoire acharné, la septuagénaire reconnaît ainsi avoir joué un rôle dans la séquestration de la fillette. Elle donne des informations inédites qui vont orienter les enquêteurs vers un morceau de forêt, à quelques kilomètres seulement d'une maison ayant appartenu à la sœur de Michel Fourniret à Ville-sur-Lumes (Ardennes). Elle assure avoir attendu au bout d'un chemin, dans leur camionnette blanche, que Michel Fourniret enterre le corps de la petite fille. Dès lors, Monique Olivier apparaît plus que jamais comme la clef des meurtres de son ex-mari, resté, lui, mutique jusqu'à son dernier souffle.
Après l'avoir extraite de sa cellule, les gendarmes ont suivi les indications de la détenue aux longs cheveux blancs pendant plusieurs jours, aidés de pelleteuses, d'un drone, d'un géoradar pour sonder le sol et d'experts archéologues. La terre a été retournée, parcelle par parcelle. Plus d'un hectare et demi a été ratissé et déboisé. En vain. Le corps d'Estelle Mouzin aurait-il disparu naturellement ? C'est une terrible possibilité. Monique Olivier pourrait-elle avoir menti ? Possible aussi.
Le nombre de victimes dépasserait "largement la trentaine"
Avec la mort de Michel Fourniret, le 10 mai, elle "focalise désormais toutes les attentions", déclare son avocat, Me Richard Delgenes, qui se demande si le fait de rester la seule protagoniste à répondre de ces crimes ne risque pas de la "bloquer" pour parler à l'avenir. Les secrets de "l'Ogre" sont pourtant encore nombreux et sa mort réduit les chances de retrouver les corps de Lydie Logé et Marie-Angèle Domece. Et peut-être bien d'autres.
A la maison d'arrêt de Rennes, Monique Olivier avait confié à une codétenue que "le nombre d'enfants qu'ils avaient enlevés […] dépassait largement la trentaine". Au moins 10 ADN inconnus ont été identifiés en septembre 2020 sur un matelas saisi dans la maison de la sœur de Michel Fourniret et pas moins de 25 autres ont aussi été identifiés dans sa camionnette, rapporte Le Parisien. Selon le quotidien, ces traces font l'objet de rapprochements par les enquêteurs avec 21 affaires de meurtres ou de disparitions non élucidées, dont celles de la petite Marion Wagon, enlevée à Agen en 1996 à l'âge de 10 ans, ou de Cécile Vallin, disparue en Savoie en 1997 à l'âge de 17 ans. Mais "Monique Olivier ne sait pas tout des crimes de Michel Fourniret et ne pourra pas donner toutes les réponses que les familles attendent", tempère Richard Delgenes au Parisien. Son attitude face à la justice n'en restera pas moins déterminante pour permettre aux familles des victimes d'obtenir, un jour, la vérité sur ce qui est arrivé à tous ces enfants.
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