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Douze élèves par classe de CP-CE1 en ZEP : cinq questions sur la promesse d’Emmanuel Macron

La mesure du candidat d'En marche ! concernerait 280 000 enfants et serait financée par "des économies sur le baccalauréat".

Article rédigé par franceinfo - Mathilde Goupil
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Emmanuel Macron en visite à l'école Dombrowski, à Lille (Nord), le 24 janvier 2017. (SARAH ALCALAY/SIPA)

C'est une mesure emblématique du programme d'Emmanuel Macron. Pour lutter contre l'échec et les inégalités scolaires, le favori du second tour de la présidentielle souhaite limiter "à 12 [le nombre d']élèves par enseignant dans les classes de CP et de CE1 en zone prioritaire"Franceinfo décrypte cette mesure en cinq questions.

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De quoi s’agit-il ?

En matière d'éducation, le candidat d'En marche ! veut privilégier les territoires réputés "difficiles". Pour cela, il propose qu'il n'y ait plus que 12 élèves dans chacune des 12 000 classes de CP et de CE1 des "réseaux d'éducation prioritaire" (REP et REP+, anciennement ZEP). La mesure aurait pour effet de doubler le nombre de classes, qui passerait de 12 000 à 24 000 dans ces zones. Environ 280 000 enfants seraient concernés par ce changement, selon les chiffres de la rentrée 2015 du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et Pegc (SNUipp-FSU)

La proposition n'est pas nouvelle. Dans un rapport de 2010 intitulé "Vaincre l'échec à l'école primaire", l'institut Montaignecercle de réflexion dont le dirigeant a participé au lancement d'En marche !, proposait déjà de réduire le nombre d'élèves par classe. Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, candidats malheureux à la présidentielle, souhaitaient eux aussi limiter les effectifs (à 20 élèves) dans les classes des zones prioritaires. Le socialiste étendait cette mesure à l'Outre-mer et aux territoires ruraux, tandis que pour le leader de la France insoumise, le dispositif concernait l'ensemble des niveaux et des territoires. 

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Afin d'inciter les enseignants à venir dans les établissements concernés, Emmanuel Macron leur propose une "prime annuelle de 3 000 euros net". A cette mesure s'en ajoute une autre : le candidat souhaite que, d'ici à 2022, plus aucun professeur ne soit affecté en zone prioritaire pendant ses trois premières années d'enseignement. Les enseignants de REP ne seraient "pas forcément des jeunes mais des volontaires, choisis par le chef d’établissement", précisait-il dans une interview à La Voix du Nord, en janvier. Selon Les Echos, cette "autonomie de recrutement" déployée "à titre expérimental" permettrait d'attirer plus d'enseignants "dans les écoles qui ont du mal à recruter".

Combien ça coûterait ?

Pour mettre en place sa promesse, Emmanuel Macron prévoit "12 000 instituteurs de plus". "Ils seront pour partie des créations nouvelles de postes et pour partie des embauches qui restent à faire sur les 60 000 programmées pour le quinquennat Hollande", expliquait-il à La Voix du Nord en janvier. Dans le détail, 4 000 à 5 000 nouveaux profs seraient embauchés, les autres, dont l'embauche était déjà prévue par le quinquennat précédent, étant réorientés vers les établissements des zones prioritaires.

Pour financer ces embauches, Emmanuel Macron reste flou, et dit compter sur la "correction des inefficacités du système actuel, notamment le coût du baccalauréat, sur lequel plusieurs centaines de millions d’euros peuvent être économisées", rapporte La Voix du Nord. L'organisation de l'examen du bac est aujourd'hui estimée à 1,5 milliard d'euros par an.

Qui seraient les gagnants ?

La mesure devrait plaire aux enseignants, puisque deux tiers d'entre eux réclament une réduction du nombre d'élèves par classe, selon un sondage Ifop publié en mars (PDF). Elle devrait aussi profiter aux enfants, selon Emmanuel Macron, qui part d'un constat : "Notre système scolaire est aujourd'hui largement en échec, expliquait-il à La Voix du Nord. Nous sommes maintenant au point où, selon les tests Pisa ou TIMSS [qui évaluent les capacités des élèves dans le monde], nous perdons de la performance académique et donc économique." 

Les zones d'éducation prioritaires (ZEP), créées en 1981, sont majoritairement situées dans les académies de Créteil, Versailles, Aix-Marseille, Lille et Lyon. Mais, "en zone prioritaire, la moyenne est maintenant de 23 élèves par classe, soit seulement quelques-uns de moins que dans les autres classes", regrette Francette Popineau, porte-parole du SNUipp-FSU. La promesse d'Emmanuel Macron doit donc donner un coup de pouce supplémentaire aux zones prioritaires.

On a perdu la différence qu’il y avait dans les écoles prioritaires.

Francette Popineau, porte-parole du SNUipp-FSU

à franceinfo

Qui seraient les perdants ? 

Si elle est approuvée par de nombreux professeurs, certains estiment que la mesure proposée par Emmanuel Macron peut provoquer des dommages collatéraux. Du côté des syndicats, on redoute que les postes nécessaires à sa mise en œuvre soient piochés dans "les dispositifs de prévention qui ont fait leurs preuves". Au cœur des inquiétudes, le dispositif "plus de maîtres que de classes" lancé en 2012, qui permet de mieux accompagner les élèves par l'affectation d'un enseignant supplémentaire dans l'école. 

Un autre possible effet pervers, selon Francette Popineau, serait que "les effectifs du reste des classes" de l'enseignement primaire et secondaire "augmentent" pour compenser le transfert des enseignants vers les petites classes des zones prioritaires.

"C'est une mesure nécessaire, mais pas suffisante", pointe de son côté Marc Douaire, ancien prof et président de l'Observatoire des zones prioritaires, une association créée en 1990. "Pour faire mieux, l'allègement des effectifs n'est pas suffisant. Il faut aussi une évolution des pratiques professionnelles en classe, en donnant plus d'autonomie aux enseignants et en permettant une plus grande coopération entre élèves", assure-t-il. La formation dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) doit aussi être repensée, selon lui. 

Quand ils sortent de formation, les professeurs ne sont pas aptes à enseigner. Il faut mettre en place une formation plus longue, avec plus de place laissée à l'éducation prioritaire.

Marc Douaire, président de l'Observatoire des zones prioritaires

à franceinfo

Autre regret, que la mesure ne soit "pas du tout pensée pour le milieu rural", selon Stéphane Crochet, secrétaire national de l'Unsa, deuxième syndicat parmi les enseignants du premier et du second degré. "Il existe des besoins en éducation prioritaire dans ces territoires aussi, mais ils ne sont pas les mêmes. Les classes y sont souvent à double ou triple niveaux. Ce qu'il faut, c'est mettre plus de profs par classe, et pas forcément réduire le nombre d'élèves."

Est-ce réaliste ?

S'ils en saluent "l'objectif", les syndicats demandent que l'application de la mesure soit "explicitée". Francette Popineau rappelle que "les communes devront investir dans le matériel et les locaux en plus qui seront nécessaires. Je ne vois pas comment elles vont faire."

Quand on se retrouve avec deux classes au lieu d'une, ce n'est pas seulement une question de profs supplémentaires, il faut que la structure matérielle suive.

Francette Popineau, porte-parole du SNUipp - FSU

à franceinfo

Surtout, la syndicaliste se demande comment le candidat "compte embaucher 4 000 à 5 000 nouveaux profs, alors qu'il prévoit 120 000 suppressions de postes de fonctionnaires". "L'Education nationale sera forcément touchée", imagine-t-elle.

Enfin, les syndicats sont sceptiques sur l'effet de la prime de 3 000 euros proposée par Emmanuel Macron. "Comment fera-t-on en Seine-Saint-Denis ou en Guyane, où l'on est quasiment partout en éducation prioritaire ?" s'interroge Stéphane Crochet. "Compte tenu des heures passées à travailler et de l'énergie demandée, la prime ne sera pas suffisamment attractive et les jeunes instits préféreront rentrer dans leur région d'origine", pronostique-t-il. 

En résumé...

Pour lutter contre l'échec et les inégalités scolaires, Emmanuel Macron propose que les classes de CP et de CE1 des écoles en zone prioritaire soient limitées à 12 élèves. Le financement de la mesure, qui nécessiterait l'embauche de 4 000 à 5 000 nouveaux professeurs des écoles, est encore flou, mais passerait par l'économie de "centaines de millions d'euros" sur l'organisation du baccalauréat. Les syndicats d'enseignants sont séduits par cette promesse, mais ont encore des doutes sur sa faisabilité. Ils refusent notamment que son financement passe par l'augmentation des effectifs d'élèves ailleurs, ou par le sacrifice d'autres dispositifs éducatifs présents dans les zones prioritaires.

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