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Supprimer la taxe d'habitation pour 80% des ménages : cinq questions sur la promesse d'Emmanuel Macron

C'était une des mesures phares du candidat d'En marche ! en matière économique : la suppression de la taxe d'habitation pour 80% des ménages. Quel est l'objectif ? Quel est le coût de cette mesure ? Décryptage.

Article rédigé par Sophie Brunn
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Emmanuel Macron, le 7 mars 2017 aux Mureaux (Yvelines). (MAXPPP)

La promesse d'exonérer de taxe d'habitation 80% des ménages français avait été largement mise en avant par le candidat Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle. Mais depuis son arrivée au pouvoir, le nouvel exécutif a pris soin d'entretenir le flou sur le calendrier de mise en œuvre de cette réforme qui inquiète les collectivités locales. 

Lors de son discours de politique générale, le 4 juillet, Edouard Philippe avait évoqué l'échéance de la fin du quinquennat, soit 2022. Mais selon les informations de franceinfo, le chef de l'Etat a finalement choisi, dimanche 9 juillet, d'inscrire cette réforme (ainsi que celle de l'impôt sur la fortune) au budget en préparation pour 2018.

Quel est l'objectif de cette mesure, comment est-elle financée, qui en sortira gagnant, qui en sortira perdant ? Franceinfo a passé cette proposition au crible.

1De quoi s'agit-il ?

La promesse d'Emmanuel Macron était de faire en sorte que huit ménages sur dix ne paient plus la taxe d'habitation. Actuellement, cet impôt est exigé pour chaque logement, que l'on en soit propriétaire, locataire ou occupant à titre gratuit. Seuls les foyers aux très faibles revenus en sont exonérés. La taxe est calculée en fonction de la valeur locative du logement (surface, confort), de la commune et de la date de construction du bâtiment. Le taux d'imposition est fixé par les communes, qui perçoivent le produit de la taxe d'habitation.

L'objectif du candidat d'En marche ! était de s'attaquer à un impôt qu'il jugeait injuste : "La taxe d'habitation (...) pèse particulièrement sur les classes populaires et moyennes. [Pour ces dernières], elle consomme une part importante du revenu, alors qu'elle représente une faible part des revenus des ménages aisés. C'est donc un impôt régressif, qui renforce l'injustice fiscale."

Par ailleurs, la taxe d'habitation est souvent plus élevée dans les communes pauvres que dans les communes riches. Et, comme l'explique Le Figaro, dans une même commune, un appartement ancien et prestigieux du centre-ville sera moins taxé qu'un autre construit dans les années 1960 en périphérie. Car les valeurs locatives n'ont pas été revues depuis les années 1970.

2Combien cela coûterait-il ?

En 2015, la taxe d'habitation a rapporté 21,7 milliards d'euros aux collectivités locales, selon Les Echos. Pendant la campagne, Emmanuel Macron chiffrait le coût annuel de sa mesure à 10 milliards d'euros. Les quelque 12 milliards d'euros restants continueront à être payés par les 20% de ménages qui ne seront pas exonérés.

Le candidat assure que l'Etat compensera à l'euro près le manque à gagner pour les collectivités locales, à condition que celles-ci n'augmentent pas le taux d'imposition qui s'applique sur la taxe d'habitation. En clair, si la taxe est supprimée pour une partie des Français en 2020, l'Etat versera aux communes le manque à gagner correspondant au calcul de la taxe en 2020, et le même montant sera versé les années suivantes.

3Qui seraient les gagnants ?

Actuellement, 80% des foyers fiscaux payent la taxe d'habitation, selon Vincent Drezet, secrétaire général du syndicat Solidaires finances publiques, cité par Le Monde. Et 20% en sont déjà exonérés (ce qui correspond à un revenu fiscal de référence en 2016 inférieur à 10 708 euros pour la première part, plus 2 859 euros pour chaque demi-part supplémentaire).

Le candidat Emmanuel Macron a promis d'inverser la proportion : 80% des foyers en seront dispensés. Les gagnants seront donc les 60% nouvellement exonérés, qui appartiennent principalement aux classes moyennes. D'après les estimations d'En marche !, l'objectif est que les ménages dont le revenu fiscal par an et par part est inférieur à 20 000 euros ne soient plus assujettis à cette taxe. Un couple avec deux enfants serait par exemple exonéré tant que ses revenus restent inférieurs à 5 000 euros par mois.

4Qui seraient les perdants ?

Pendant la campagne, l'équipe d'En marche ! assurait qu'il n'y aurait pas de perdants, et que "l'autonomie fiscale des collectivités locales sera[it] totalement préservée". Ce n'était pas l'avis de la puissante Association des maires de France (AMF), présidée par François Baroin (Les Républicains), mais qui regroupe des communes de tous bords politiques. Elle critiquait alors une mesure "démagogique, non financée par l'Etat et attentatoire aux libertés locales".

Les maires redoutent que la compensation promise par Emmanuel Macron ne soit pas à la hauteur. D'autant que si les communes augmentent le taux d'imposition, l'Etat ne prendra pas en charge la différence. Sera-t-elle alors uniquement payée par les 20% de foyers encore imposables, qui seraient les grands perdants de la réforme ?

Autres perdants potentiels : les communes elles-mêmes, qui pourraient perdre une partie de la liberté qu'elles avaient de fixer les taux d'imposition locaux. Car d'après l'AMF, la taxe d'habitation représente 36% des ressources propres des communes et des intercommunalités. "Je sais cette réforme attendue par les contribuables, mais redoutée par les élus", disait, mardi dernier, le Premier ministre, Edouard Philippe, devant le Parlement. Il présidera mi-juillet une Conférence nationale des territoires au Sénat pour tenter de trouver un terrain d'entente avec les élus, rapporte Le Figaro.

5Est-ce réaliste ?

Le constat que dresse Emmanuel Macron sur "l'injustice fiscale" de la taxe d'habitation n'est pas nouveau. En mai 2010, un rapport de la Cour des comptes (en PDF) relevait déjà que "le montant des prélèvements fiscaux ne dépend presque pas du revenu perçu par les contribuables locaux. Dans certaines situations, la fiscalité directe locale tend même à être régressive par rapport au revenu", relevaient les magistrats de la rue Cambon.

La réforme de la taxe d'habitation est un serpent de mer de la fiscalité française. Une révision des bases locatives a d'ailleurs été lancée en 2011, rappelle Le Figaro (article payant), mais n'a toujours pas abouti. "Puisque la taxe d'habitation n‘est pas aisément réformable, on la supprime", résumait en avril Richard Ferrand, alors secrétaire général d'En marche ! Mais pour cela, l'Etat devra trouver chaque année 10 milliards d'euros d'économies pour financer la mesure. Au détriment de quoi, et de qui ? Sans parler de la fronde des maires qui ne manquera pas de se produire…

En résumé…

Emmanuel Macron veut supprimer la taxe d'habitation pour 80% des ménages, assurant que c'est la mesure "la plus essentielle et la plus juste pour le pouvoir d'achat". Cela bénéficierait surtout aux classes moyennes. Convaincues du caractère injuste de la taxe d'habitation, la gauche comme la droite souhaitent la réformer depuis des années. Mais cette proposition est coûteuse : 10 milliards d'euros par an pour les finances publiques. Les communes, elles, craignent que la suppression de cette taxe ne leur fasse perdre des ressources, malgré la compensation prévue par l'Etat.

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