Des lycéens à genoux, mains sur la tête : ce que l'on sait de l'interpellation collective de 151 adolescents à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines
Des images montrant plusieurs dizaines de jeunes agenouillés, les mains sur la nuque, et entourés de policiers armés, ont suscité l'indignation.
Une scène jugée "intolérable", "inadmissible" et "glaçante". Une vidéo, diffusée par l'Observatoire national des violences policières sur Twitter et authentifiée par la préfecture des Yvelines, montre plusieurs dizaines d'adolescents et de jeunes adultes en rangées, agenouillés, les mains sur la nuque et entourés de policiers, jeudi 6 décembre, dans le quartier du Val Fourré, à Mantes-la-Jolie. "Voilà une classe qui se tient sage", lance un homme, visiblement l'auteur de la vidéo.
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Au total, 151 jeunes ont été interpellés pour "participation à un attroupement armé" près des lycées Saint-Exupéry et Jean-Rostand, après de "violentes échauffourées" avec les forces de l'ordre, selon le ministère de l'Intérieur, dans le cadre de blocages de lycéens pour s'opposer à la réforme du baccalauréat et à Parcoursup, mais aussi en soutien aux "gilets jaunes". Que s'est-il passé exactement ? Quelles sont les réactions ? Et que répondent les autorités ? Explications.
Que s'est-il passé ?
Mantes-la-Jolie est depuis plusieurs jours le théâtre de heurts en marge du mouvement des lycéens. "Les 3, 4 et 5 décembre, la commune a été le théâtre de mouvements autour des lycées. Au fil des jours, des lycéens auteurs de blocages ont été rejoints par une centaine d'individus encagoulés et armés, avec la ferme intention d'en découdre avec les forces de l'ordre", a expliqué Christophe Castaner, le ministre de l'Intérieur, lors d'une conférence de presse vendredi matin.
Jeudi, "de violentes échauffourées opposant les forces de l'ordre à des individus" ont éclaté, selon un communiqué de la Place Beauvau, et deux véhicules ont été incendiés. D'après Christopher Castaner, les auteurs de ces violences "n'ont pas hésité à construire de nombreuses barrières de feu, à s'en prendre aux automobilistes, à saccager des pavillons". Les 151 jeunes ont été arrêtés. La plupart des jeunes interpellés l'ont été devant le lycée Saint-Exupéry, a déclaré le procureur de la République de Versailles, Vincent Lesclous.
"37 des présents, la plupart encagoulés, étaient trouvés porteurs de bâtons, battes de base-ball et conteneurs de gaz lacrymogène", a précisé le ministère de l'Intérieur. "C'étaient vraiment des casseurs. Ils n'étaient pas là pour manifester : je les ai vus brûler des voitures et caillasser au hasard des gens qui passaient dans la rue", raconte à franceinfo un riverain témoin de la scène. Ces jeunes, qui ont eu l'ordre de se mettre à genoux ou de s'asseoir au sol, et de placer leurs mains dans le dos ou sur la tête, ont ensuite été rassemblés par les forces de l'ordre dans une maison des associations, et dans le jardin d'une habitation, selon une journaliste de l'AFP présente sur place.
Interrogée par franceinfo, Joëlle, responsable des bénévoles des Restos du cœur de Mantes-la-Jolie, a reçu les lycéens dans ses locaux. "Tout s'est passé dans le calme. J'ai réussi à les canaliser. Ils étaient surtout morts de trouille. Ils sont restés 20-25 minutes jusqu'à ce que les policiers viennent les chercher", relate-t-elle, précisant qu'il n'y a eu "aucun dégât, aucune bagarre. (...) Ils sont sortis avec eux dans le calme".
70 policiers ont procédé à ces interpellations, a précisé à franceinfo Thierry Laurent, directeur de cabinet du préfet des Yvelines. Les personnes interpellées ont entre douze et vingt ans. Qui a tourné ces images de l'interpellation ? Interrogé par franceinfo, l'Observatoire national des violences policières explique que la vidéo vient "apparemment d'un policier qui l'a filmée et diffusée sur les réseaux sociaux". "On l'entend bien parler, il ne peut y avoir qu'un policier qui peut filmer", assure l'association, qui dit avoir pris connaissance de la vidéo grâce à une mère d'élève leur ayant signalé.
Comment réagissent les autorités ?
Christophe Castaner a reconnu des "images dures", tout en les justifiant du fait du contexte de violences et de dégradations, depuis trois jours à Mantes-la-Jolie. Le commissaire de la ville, interrogé par l'AFP, a assuré vouloir "interrompre un processus incontrôlé" en ayant recours à cette technique d'interpellation. "L'interpellation d'un nombre aussi important d'individus a nécessité de prendre des mesures de sécurité complémentaires", a justifié pour sa part le ministère de l'Intérieur, dans un communiqué.
Les policiers manquaient de menottes, a assuré une source policière à France 2, expliquant ainsi les jeunes agenouillés lors de leur interpellation. Selon cette même source, l'interpellation en position "à genoux et mains sur la tête" était "réglementaire" et les jeunes ont été placés dans cette position dans l'attente de renforts.
Il faut bien trouver le moyen de s'assurer qu'ils ne peuvent pas s'enfuir dans l'attente de leur transfert vers les commissariats de l'ensemble du département qui ont été mobilisés à cette occasion.
Thierry Laurentà franceinfo
"Ces images sont indubitablement dures et inhabituelles, reconnaît toutefois le directeur de cabinet du préfet des Yvelines. Il faut pour autant les mettre en rapport avec les violences qui ont été commises à Mantes-la-Jolie par ces individus depuis trois jours." Et Thierry Laurent de préciser qu'"il n'y a pas eu de volonté d'humiliation". "Ces images sont impressionnantes, mais aucun jeune n'a été blessé, ni maltraité, nous n'avons enregistré aucune plainte", a insisté le préfet des Yvelines, Jean-Jacques Brot, auprès du Monde.
"L'image est forcément choquante et il y a eu des images choquantes parce qu'on est dans un climat de violence exceptionnelle", a commenté de son côté le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, vendredi matin sur France Inter, tout en appelant à "faire attention aux images découpées".
Jean-Michel Blanquer (@jmblanquer) : "Il y a eu des images choquantes parce qu'on est dans un climat de violence exceptionnelle" #le79Inter #MantesLaJolie pic.twitter.com/pSUpiLKYzp
— France Inter (@franceinter) December 7, 2018
Que dit la classe politique ?
Ces images, dès leur apparition sur les réseaux sociaux, ont choqué de nombreux internautes, et fait réagir plusieurs figures politiques, particulièrement à gauche. "Il faut dire les choses posément mais fermement : ce qui s'est passé avec les lycéens de Mantes-la-Jolie (...) est simplement intolérable", a réagi Cécile Duflot, ex-ministre du Logement, sur Twitter.
Il faut dire les choses posément mais fermement : ce qui s'est passé avec les lycéens de Mantes-la-jolie - ces scènes dont il existe de nombreuses photos et vidéos - est simplement intolérable.
— Cécile Duflot (@CecileDuflot) December 6, 2018
pic.twitter.com/mD1aFWZulz
Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a quant à lui estimé que "rien ne justifie cette humiliation de mineurs". "Glaçant, inadmissible. Cela n'est pas la République. La jeunesse française humiliée. Mais que cherche le pouvoir sinon la colère en retour ?" s'interroge pour sa part Benoît Hamon, ancien candidat à la présidentielle et leader du mouvement Génération.s.
Quels que soient les faits reprochés rien ne justifie cette humiliation de mineurs filmée et commentée. Messieurs @CCastaner et @jmblanquer il est de votre responsabilité de réagir vite et bien ! Le feu couve ne l'attisez pas ! https://t.co/dwA2w2H4cP
— Olivier Faure (@faureolivier) December 7, 2018
Glaçant, inadmissible. Cela n'est pas la République. La jeunesse Française humiliée. Mais que cherche le pouvoir sinon la colère en retour ? https://t.co/NJ9N0saBs5
— Benoît Hamon (@benoithamon) December 6, 2018
"Que penser d'un pouvoir qui traite ainsi sa jeunesse ?" a aussi réagi François Ruffin, député de La France insoumise, tout comme la sénatrice Europe Ecologie-Les Verts de Paris, Esther Benbassa. "La France, pays des droits de l'homme. Comment certains policiers y traitent les mineurs. Où vivons-nous donc ?" s'indigne-t-elle.
Que penser d'un pouvoir qui traite ainsi sa jeunesse? Qu'il ne tient que par la force des matraques. Qu'il n a plus d'avenir. Qu'il est à l'agonie. https://t.co/1uV2CUG1if
— François Ruffin (@Francois_Ruffin) December 6, 2018
#MantesLaJolie. La France, pays des Droits de l’Homme. Comment certains policiers y traitent les mineurs. Où vivons-nous donc? Sous quel régime? Sénatrice, mais prof aussi, je ne souhaite à aucune classe, jamais, d’être «sage» comme l’est celle-là. pic.twitter.com/0rhQLmOdUM
— Esther Benbassa (@EstherBenbassa) 6 décembre 2018
Les réactions ont dépassé la gauche. A l'opposé de l'échiquier politique, Gilbert Collard, député du Rassemblement national, a lui aussi commenté ces images.
Voilà où nous mènent Macron et l'obstination de son gouvernement. https://t.co/9pbLNeJPQj
— Gilbert Collard (@GilbertCollard) December 6, 2018
"Quand j'ai vu ces images hier soir, j'ai été, comme beaucoup de Français, d'abord choqué", a noté pour sa part le vice-président LREM de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, Laurent Saint-Martin. "Les images sont choquantes, on peut être indigné quand on voit ces images. (...) Si effectivement il y a eu faute, nous serons les premiers à les condamner", a-t-il assuré.
Où en est l'enquête ?
Interrogé par franceinfo, le parquet de Versailles a précisé que 140 personnes avaient été placées en garde à vue jeudi soir après l'interpellation de ces 151 jeunes à Mantes-la-Jolie. Le préfet Jean-Jacques Brot a également annoncé sur RTL l'ouverture d'une enquête administrative, afin de retrouver l'auteur de la vidéo de l'interpellation.
"Je souhaite que toute la transparence soit faite et je m'engage devant vous à rendre publiques les conclusions des enquêtes qui seront menées", a promis Christophe Castaner, le ministre de l'Intérieur, en conférence de presse.
Le Défenseur des droits a également annoncé qu'il ouvrait une enquête "sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées des interpellations de lycéens à Mantes-la-Jolie", selon un communiqué de cette autorité indépendante chargée de "veiller au respect de la déontologie" des forces de l'ordre et de défendre "l'intérêt supérieur de l'enfant".
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