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Tabac, alcool, cannabis… Que cache la baisse de consommation des adolescents ?

Article rédigé par Rachel Rodrigues
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Selon une enquête de l'OFDT, moins d'un jeune de 17 ans sur deux déclare avoir déjà fumé au moins une cigarette au cours de sa vie. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Si le rapport à l'alcool des ados continue d'inquiéter les spécialistes, l'image du tabac, elle, est en train de se transformer durablement dans l'esprit des jeunes.

L'image de l'ado qui "fume sa clope" à la sortie du lycée est-elle en train de disparaître ? Les données révélées le 9 mars dans une enquête de l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) ont de quoi interroger. Selon les résultats d'auditions menées auprès de près de 23 000 jeunes âgés de 17 ans, la consommation de tabac, d'alcool et de cannabis est en baisse chez les adolescents

>> Moins nombreux et plus âgés... Qui sont les fumeurs de cannabis en France ?

En 2022, moins d'un jeune sur deux (46,5%) déclare avoir déjà fumé au moins une cigarette au cours de sa vie – contre 59% en 2017. Concernant l'alcool, la baisse est moins significative, mais l'enquête note que de plus en plus d'adolescents de 17 ans n'ont jamais bu : ils sont près d'un sur cinq en 2022 (19,4%) – contre 14,3% en 2017. Enfin, si près de la moitié des jeunes de 17 ans (47,8%) avait déjà expérimenté le cannabis en 2014, ils ne sont plus que 29,9% en 2022.

Selon Olivier Le Nezet, chargé d'études à l'Observatoire français des drogues et toxicomanies, co-auteur de l'enquête, ce fléchissement s'inscrit dans une dynamique de diminution "constante depuis les années 2000", notamment pour les consommations d'alcool et de tabac. "C'est une vraie victoire de santé publique", se réjouit Damien Scliffet, psychiatre et addictologue au CHU de Lille. 

Un impact après trois ans de pandémie

Selon les auteurs de l'étude, cette baisse significative s'explique en partie par l'impact de la crise sanitaire sur les jeunes générations. Pendant près de deux ans, "de nombreux ados" ont été privés de la moindre occasion de sortir, à cause des confinements, couvre-feux, et autres fermetures, résume Marie Jauffret-Roustide, sociologue à l'Inserm et spécialiste des politiques de lutte contre les drogues.

"On sait pertinemment que l'alcool et le cannabis sont particulièrement consommés dans le cadre de ces moments de sociabilité"

Marie Jauffret-Roustide, sociologue

à franceinfo

A cet âge-là, "l'initiation" à l'alcool, au tabac et au cannabis se fait "auprès des pairs", appuie Damien Scliffet. Résultat : le manque d'opportunités, en raison des mesures de restriction dues à la pandémie, a retardé, voire découragé, une bonne partie des "premières consommations" de drogues.

Cette réduction va-t-elle se résorber, au sortir de la crise sanitaire ? L'enquête suggère que "ces usages moindres semblent durablement inscrits dans les comportements de la population adolescente". Selon Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et addictologue, "les ados d'aujourd'hui sont de moins en moins confrontés à l'autre". Ainsi, les jeunes, "qui souffrent de plus en plus d'anxiété sociale, ont moins besoin de ces artifices".

Le tabac est devenu ringard

Par ailleurs, l'image des cigarettes "s'est dégradée dans l'esprit des plus jeunes", explique Olivier Le Nezet. Les multiples politiques de santé publique développées contre le tabagisme à partir des années 1990 ont pu jouer un rôle. En 1991, la loi Evin a interdit toute publicité sur le tabagisme et a également supprimé le droit de fumer dans les lieux publics. Fini les volutes de fumée dans les hôpitaux, les restaurants ou les avions. De fait, les générations qui ont grandi dans les années 2000 et 2010 sont nées après le début de l'encadrement du tabac.

>> Retour sur 30 ans de politique de lutte contre le tabagisme

Fin de la publicité, photos repoussantes de poumons décatis et de dents abîmées accolées au dos des paquets, augmentation des prix chez les buralistes... Les mesures de santé publique entreprises afin de prévenir des dangers des cigarettes "ont totalement remodelé la représentation que les jeunes s'en faisaient", remarque Marie Jauffret-Roustide

"Contrairement aux générations plus anciennes qui ont grandi avec des cigarettes glamourisées dans les films, les adolescents d'aujourd'hui sont pleinement conscients de la nocivité de la substance."

Marie Jauffret-Roustide, sociologue

à franceinfo

Par extension, le rite de passage de la cigarette, selon lequel "les jeunes fument pour copier leurs camarades à la sortie du lycée", n'est plus automatique, selon Damien Scliffet. Pour le psychiatre, "il existe aujourd'hui d'autres façons d'exister au sein d'un groupe", notamment à travers les réseaux sociaux, qui aident les ados à atteindre l'objectif "d'intégration sociale" souvent recherché dans la consommation de drogues. D'autres spécialistes tentent une autre hypothèse : soucieux de leur santé, certains mineurs pourraient être moins intéressés par le tabac.

De nouvelles sources d'addiction 

Si la jeunesse se détourne peu à peu du tabac, elle montre toutefois un intérêt en hausse pour la cigarette électronique puisque le vapotage a augmenté entre 2017 et 2022. L'an dernier, quasiment 6 adolescents sur 10 (56,9%) avaient déjà vapoté – contre 52,4% en 2017. C'est la plus forte hausse constatée dans l'enquête, poussée "par une consommation féminine en très nette progression", note Olivier Le Nezet.

Le marketing mis en place ces dernières années a payé. Fraise, caramel, chocolat, vanille... "Les différents goûts ont été mis en avant à visée d'un jeune public", explique Damien Scliffet. Il déplore qu'on les "incite à consommer" des cigarettes électroniques, quand "l'objectif affiché était plutôt de mettre fin à une pratique addictive". Et ce, pas forcément avec l'objectif "vendu au départ" d'écraser sa dernière clope. "Les vapoteuses comportent généralement de la nicotine, ce qui entretient l'addiction", rappelle Georges Brousse, psychiatre et addictologue au CHU de Clermont-Ferrand. 

"Avec un tel marketing autour de la cigarette électronique, on recrée à 100% un risque de dépendance à la nicotine."

Georges Brousse, psychiatre

à franceinfo

De nouvelles substances arrivent aussi sur le marché, selon la plupart des experts interrogés par franceinfo, comme le sirop à base de codéine ou encore le protoxyde d'azote, aussi appelé "gaz hilarant", généralement commercialisé sous la forme de bonbonnes dans les épiceries et sur internet. "Le pourcentage d'ados ayant déclaré consommer ce gaz hilarant n'est pas élevé (2%), mais étant donné les risques qu'il pose, notamment neurologiques, un nombre important de jeunes est exposé", détaille Damien Scliffet. "Il s'agit de substances qui circulent rapidement sur les réseaux sociaux et dont on ne connaît pas les compositions. Il faut s'en inquiéter", alerte Fatma Bouvet de la Maisonneuve. 

Un rapport aux drogues toujours inquiétant

Concernant l'alcool, l'explication est un peu plus complexe. "Cette baisse ne signifie pas qu'il n'y a pas de problème", rétorque Fatma Bouvet de la Maisonneuve. A ce titre, la propension des adolescents à boire de grandes quantités en quelques heures (ce que l'on appelle le "binge-drinking") se confirme, selon l'enquête de l'OFDT. Plus d'un tiers des mineurs de 17 ans interrogés déclarent s'être adonnés à une telle pratique "au moins une fois dans le mois". Une tendance d'autant plus inquiétante que près de la moitié de ses adeptes ne sont pas des "consommateurs réguliers", mais bien des usagers "occasionnels". "Cela confirme le fait que cette pratique soit répandue chez les ados", note Olivier Le Nezet. 

La volonté de prendre de la drogue à des fins de "défonce" persiste aussi, abonde Georges Brousse. Pour le psychiatre, ce rapport aux drogues des ados s'inscrit dans une tendance sociétale où "l'on cherche constamment à augmenter ses performances". Le propre, donc, de substances telles que la cocaïne, l'ecstasy ou l'amphétamine. Le psychiatre Dan Véléa s'inquiète d'une démocratisation de ces produits, à travers notamment "une meilleure accessibilité" avec des prix de plus en plus bas. "Le potentiel addictif de ces drogues est très fort", rappelle-t-il.

"Ce n'est plus tant la substance elle-même qui inquiète, mais le rapport que les ados entretiennent avec elle."

Dan Véléa, psychiatre

à franceinfo

"Les adolescents consomment pour anesthésier une souffrance", ajoute cet addictologue. Un constat partagé par plusieurs de ses confrères, qui rappellent les nombreuses études de ces derniers mois sur la dégradation de la santé mentale des jeunes. "Entre les confinements, les incertitudes sur leur avenir, l'angoisse climatique, la guerre en Ukraine, et plus récemment l'inflation, ils se sentent anxieux pour tout un tas de raisons", détaille Damien Scliffet. "La crise du Covid-19 a amplifié cette tendance à prendre des substances pour oublier les problèmes", abonde Georges Brousse. A ce titre, l'enquête de l'OFDT relève que près d'un jeune sur deux déclare souffrir d'un trouble de santé mentale. Preuve que si les ados consomment moins, ils ne vont pas forcément mieux.

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